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Demeura sans réplique à ma prosopopée.
Il sortit tout à coup et, murmurant tout bas
Quelques termes d'aigreur que je n'entendis pas,
S'en alla chez Binsfeld, ou chez Basile Ponce
Sur l'heure à mes raisons chercher une réponse.

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1. Deux défenseurs de la fausse attrition (Boileau).

ART POÉTIQUE

1674

NOTICE HISTORIQUE ET ANALYTIQUE

Venu après les « Arts Poétiques » de Thomas Sibilet (en prose, 1548), de Ronsard (en prose, 1565), de Vauquelin de La Fresnaye (en vers, 1604), l'Art poétique de Boileau ne leur doit rien. Il est tout entier inspiré par l'Art poétique d'Horace, avec cette différence que l'œuvre de Boileau est vraiment un traité didactique, tandis que l'Epître aux Pisons, selon son vrai titre, est une causerie familière et nullement un traité en forme. Boileau tira parti aussi, sans doute, de la Poétique de Jules César Scaliger (1561), ouvrage depuis longtemps classique. Le CHANT 1 est occupé par des conseils d'une portée générale. Après avoir proclamé la nécessité du talent naturel, l'auteur traite de la rime, de la raison, du bon sens. Il conseille d'éviter également le burlesque et l'enflure. Il examine diverses questions de versification (la césure, l'hiatus, etc.). Il expose la réforme de Malherbe, vante la clarté et la correction, montre le travail nécessaire et la critique utile.

Le CHANT Il est consacré aux petits genres: idylle, élégie, ode, sonnet, épigramme, rondeau, madrigal, ballade, satire, vaudeville, chanson. Le CHANT III traite des grands genres : d'abord de la tragédie, de ses ressorts: la terreur et la pitié; de l'exposition, des trois unités, de la vraisemblance; de l'origine de la tragédie, de l'histoire du théâtre français, de l'emploi de l'amour au théâtre, du style tragique, etc. Puis il est question de l'épopée ; l'auteur blâme l'usage du merveilleux chrétien, montre que l'emploi du merveilleux païen peut se concilier avec une foi sincère, traite des caractères, des sujets, des descriptions épiques et invoque l'exemple d'Homère et de Virgile. Enfin il aborde la comédie, raconte ses origines, loue Molière et distingue avec soin le comique de la bouffonnerie.

Le CHANT IV contient de nouveau des conseils généraux, et par un défaut de composition assez sensible, revient sur des points déjà traités dans le premier. Il y est question encore de la vocation et de l'uti

lité de la critique. Le poète y parle surtout du caractère de poète, qu'il veut être honnête homme et désintéressé en principe il n'admet pas qu'il travaille pour de l'argent. Il termine par un éloge du roi et par un encouragement aux poètes.

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La rime est une esclave et ne doit qu'obéir.
Ce ne sont que festons, ce ne sont qu'astragales.
Qui ne sait se borner ne sut jamais écrire.

Souvent la peur d'un mal nous conduit dans un pire.
Passer du grave au doux, du plaisant au sévère.
Enfin Malherbe vint....

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.
Sans la langue, en un mot, l'auteur le plus divin
Est toujours, quoi qu'il fasse, un méchant écrivain.
Hâtez-vous lentement; et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage :
Polissez-le sans cesse et le repolissez.

Aimez qu'on vous conseille et non pas qu'on vous loue.
Un sot trouve toujours un plus sot qui l'admire.

(CH. I.)

Chez elle (l'ode) un beau désordre est un effet de l'art.
Un sonnet sans défaut vaut seul un long poème.

Le latin dans les mots brave l'honnêteté,
Mais le lecteur français veut être respecté.
Le Français, né malin, forma le vaudeville.

(CH. II.)

Il n'est point de serpent ni de monstre odieux,
Qui, par l'art imité, ne puisse plaire aux yeux.
Le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable.
Pour me tirer des pleurs, il faut que vous pleuriez,
C'est avoir profité que de savoir s'y plaire.
Chaque âge a ses plaisirs, son esprit et ses mœurs.
(CH. III.)

Soyez plutôt maçon, si c'est votre talent.
Il n'est point de degrés du médiocre au pire.
Le vers se sent toujours des bassesses du cœur.

(CH. IV.)

CHANT PREMIER

C'EST en vain qu'au Parnasse un téméraire auteur
Pense de l'art des vers atteindre la hauteur :
S'il ne sent point du ciel l'influence secrète,
Si son astre en naissant ne l'a formé poète,
Dans son génie étroit il est toujours captif;
Pour lui Phébus est sourd, et Pégase est rétif.

O vous donc qui, brûlant d'une ardeur périlleuse,
Courez du bel esprit la carrière épineuse,
N'allez pas sur des vers sans fruit vous consumer,
Ni prendre pour génie un amour de rimer :
Craignez d'un vain plaisir les trompeuses amorces,
Et consultez longtemps votre esprit et vos forces.
La nature, fertile en esprits excellents,
Sait entre les auteurs partager les talents:
L'un peut tracer en vers une amoureuse flamme;
L'autre d'un trait plaisant aiguiser l'épigramme :
Malherbe d'un héros peut vanter les exploits ;
Racan, chanter Philis, les bergers et les bois :
Mais souvent un esprit qui se flatte et qui s'aime
Méconnaît son génie et s'ignore soi-même :
Ainsi tel1 autrefois qu'on vit avec Faret 2
Charbonner de ses vers les murs d'un cabaret,
S'en va, mal à propos, d'une voix insolente,
Chanter du peuple hébreu la fuite triomphante,
Et, poursuivant Moïse au travers des déserts,
Court avec Pharaon se noyer dans les mers.

Quelque sujet qu'on traite, ou plaisant, ou sublime,
Que toujours le bon sens s'accorde avec la rime :
L'un l'autre vainement ils semblent se haïr;
La rime est une esclave et ne doit qu'obéir.
Lorsqu'à la bien chercher d'abord on s'évertue,
L'esprit à la trouver aisément s'habitue;
Au joug de la raison sans peine elle fléchit
Et, loin de la gêner, la sert et l'enrichit.
Mais lorsqu'on la néglige, elle devient rebelle ;
Et pour la rattraper le sens court après elle.
Aimez donc la raison : que toujours vos écrits
Empruntent d'elle seule et leur lustre et leur prix.

1. Saint-Amant, auteur du Moïse sauvé (Boileau), v. p. 31. 2. Nicolas Faret, né vers 1596, mort en 1646, littérateur et moraliste, un des fondateurs de l'Académie française, auteur de l'Honnête homme ou l'Art de plaire à la

cour.

La plupart, emportés d'une fougue insensée, Toujours loin du droit sens vont chercher leur pensée : Ils croiraient s'abaisser, dans leurs vers monstrueux, S'ils pensaient ce qu'un autre a pu penser comme eux. Évitons ces excès laissons à l'Italie

De tous ces faux brillants l'éclatante folie.

Tout doit tendre au bon sens : mais pour y parvenir
Le chemin est glissant et pénible à tenir ;

Pour peu qu'on s'en écarte, aussitôt on se noie.
La raison pour marcher n'a souvent qu'une voie.
Un auteur quelquefois trop plein de son objet
Jamais sans l'épuiser n'abandonne un sujet.
S'il rencontre un palais, il m'en dépeint la face ;
Il me promène après de terrasse en terrasse ;
Ici s'offre un perron; là règne un corridor ;
Là ce balcon s'enferme en un balustre d'or.
Il compte des plafonds les ronds et les ovales;

« Ce ne sont que festons, ce ne sont qu'astragales 1.
Je saute vingt feuillets pour en trouver la fin,
Et je me sauve à peine au travers du jardin.
Fuyez de ces auteurs l'abondance stérile,
Et ne vous chargez point d'un détail inutile.
Tout ce qu'on dit de trop est fade et rebutant;
L'esprit rassasié le rejette à l'instant.

Qui ne sait se borner ne sut jamais écrire.

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Souvent la peur d'un mal nous conduit dans un pire : Un vers était trop faible, et vous le rendez dur ;

J'évite d'être long, et je deviens obscur ;

L'un n'est point trop fardé, mais sa muse est trop nue;
L'autre a peur de ramper, il se perd dans la nue.
Voulez-vous du public mériter les amours ?

Sans cesse en écrivant variez vos discours.
Un style trop égal et toujours uniforme

En vain brille à nos yeux, il faut qu'il nous endorme.
On lit peu ces auteurs, nés pour nous ennuyer,
Qui toujours sur un ton semblent psalmodier.

Heureux qui, dans ses vers, sait d'une voix légère
Passer du grave au doux, du plaisant au sévère !
Son livre, aimé du ciel et chéri des lecteurs,
Est souvent chez Barbin entouré d'acheteurs.

Quoi que vous écriviez, évitez la bassesse:
Le style le moins noble a pourtant sa noblesse.
Au mépris du bon sens, le burlesque effronté 2
Trompa les yeux d'abord, plut par sa nouveauté.
On ne vit plus en vers que pointes triviales;
Le Parnasse parla le langage des halles ;
La licence à rimer alors n'eut plus de frein;

1. «Vers de Scudéri (Boileau),» dans l'Alaric. 2. Le style burlesque fut extrêmement en vogue depuis le commencement du siècle dernier jusque vers 1669 qu'il tomba (B.).

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