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Ne possédait pas l'or, mais l'or le possédait.
Il avait dans la terre une somme enfouie,
Son cœur avec, n'ayant autre déduit
Que d'y ruminer jour et nuit,

Et rendre sa chevance à lui-même sacrée.

Qu'il allat ou qu'il vint, qu'il but ou qu'il mangeât,
On l'eût pris de bien court, à moins qu'il ne songeât
A l'endroit où gisait cette somme enterrée.

Il y fit tant de tours qu'un fossoyeur le vit,
Se douta du dépôt, l'enleva sans rien dire.
Notre avare un beau jour ne trouva que le nid.
Voilà mon homme aux pleurs; il gémit, il soupire,
Il se tourmente, il se déchire.

Un passant lui demande à quel sujet ces cris.
C'est mon trésor que l'on m'a pris.

Votre trésor! ou pris? - Tout joignant cette pierre. Eh! sommes-nous en temps de guerre

Pour l'apporter si loin? N'eussiez-vous pas mieux fait De le laisser chez vous en votre cabinet,

Que de le changer de demeure?

Vous auriez pu sans peine y puiser à toute heure.
A toute heure! bons dieux! ne tient-il qu'à cela?
L'argent vient-il comme il s'en va?

Je n'y touchais jamais.

Dites-moi donc, de grâce, Reprit l'autre, pourquoi vous vous affligez tant: Puisque vous ne touchiez jamais à cet argent, Mettez une pierre à la place,

Elle vous vaudra tout autant.

FABLE XXXI.

LE PETIT POISSON ET LE PÊCHEUR.

Petit poisson deviendra grand,
Pourvu que Dieu lui prête vie.
Mais le lâcher en attendant,

Je tiens, pour moi, que c'est folie;
Car de le rattraper il n'est pas trop certain.

Un carpeau, qui n'était encore que fretin,
Fut pris par un pêcheur au bord d'une rivière.
Tout fait nombre, dit l'homme en voyant son butin;
Voilà commencement de chère et de festin;
Mettons-le en notre gibecière.
Le pauvre carpillon lui dit en sa manière:
Que ferez-vous de moi? je ne saurais fournir
Au plus qu'une demi-bouchée.
Laissez-moi carpe devenir;

Je serai par vous repêchée;
Quelque gros partisan m'achètera bien cher.
Au lieu qu'il vous en faut chercher
Peut-être encor cent de ma taille

Pour faire un plat ; quel plat! croyez-moi, rien qui vaille.
Rien qui vaille! eh bien! soit, repartit le pêcheur:
Poisson, mon bel ami, qui faites le prêcheur,
Vous irez dans la poêle; et, vous avez beau dire,
Dès ce soir on vous fera frire.

Un Tiens vaut, ce dit-on, mieux que deux Tu l'auras: L'un est sûr, l'autre ne l'est pas.

FABLE XXXII.

LA POULE AUX OEUFS D'OR.

L'avarice perd tout en voulant tout gagner.
Je ne veux, pour le témoigner,

Que celui dont la poule, à ce que dit la fable,
Pondait tous les jours un œuf d'or.

Il crut que dans son corps elle avait un trésor;
II la tua, l'ouvrit, et la trouva semblable
A celles dont les œufs ne lui rapportaient rien,
S'étant lui-même ôté le plus beau de son bien.
Belle leçon pour les gens chiches!

Pendant ces derniers temps, combien en a-t-on vus
Qui du soir au matin sont pauvres devenus
Pour vouloir trop tôt être riches!

FABLE XXXIII.

LES DEUX MULETS.

Deux mulets cheminaient, l'un d'avoine chargé,
L'autre portant l'argent de la gabelle.
Celui-ci, glorieux d'une charge si belle,
N'eût voulu pour beaucoup en être soulagé.
Il marchait d'un pas relevé,

Et faisait sonner sa sonnette;
Quand l'ennemi se présentant,
Comme il en voulait à l'argent,

Sur le mulet du fisc une troupe se jette,
Le saisit au frein, et l'arrête.

Le mulet, en se défendant,

Se sent percer de coups; il gémit, il soupire:
Est-ce donc là, dit-il, ce qu'on m'avait promis ? .
Ce mulet qui me suit du danger se retire;
Et moi, j'y tombe et je péris!

Ami, lui dit son camarade,

Il n'est pas toujours hon d'avoir un haut emploi ; Si tu n'avais servi qu'un meunier, comme moi, Tu ne serais pas si malade.

FABLE XXXIV.

LA GÉNISSE, LA CHÈVRE ET LA BREBIS,
EN SOCIété AVEC LE LION.

La génisse, la chèvre, et leur sœur la brebis,
Avec un fier lion, seigneur du voisinage,
Firent société, dit-on, au temps jadis,

Et mirent en commun le gain et le dommage.
Dans les lacs de la chèvre un cerf se trouva pris.
Vers les associés aussitôt elle envoie.

Eux venus,
le lion par ses ongles compta;
Et dit: Nous sommes quatre à partager la proie.
Puis en autant de parts le cerf il dépéça;
Prit pour lui la première, en qualité de sire:
Elle doit être à moi, dit-il; et la raison,
C'est que je m'appelle lion:

A cela l'on n'a rien à dire.

La seconde, par droit, me doit échoir encor :
Ce droit, vous le savez, c'est le droit du plus fort.
Comme le plus vaillant, je préténds la troisième.

Si quelqu'une de vous touche à la quatrième,
Je l'étranglerai tout d'abord.

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LES VOLEURS ET L'ANE.

Pour un âne enlevé deux voleurs se battaient : L'un voulait le garder, l'autre le voulait vendre. Tandis que coups de poing trottaient, Et que nos champions songeaient à se défendre, Arrive un troisième larron,

Qui saisit maître Aliboron.

L'âne, c'est quelquefois une pauvre province :
Les voleurs sont tel et tel prince,

Comme le Transilvain, le Turc et le Hongrois.
Au lieu de deux j'en ai rencontré trois :
Il est assez de cette marchandise.

De nul d'eux n'est souvent la province conquise:
Un quart voleur survient qui les accorde net
En se saisissant du baudet.

FABLE XXXVI.

L'ENFANT ET LE MAITRE D'ÉCOLE.

Dans ce récit je prétends faire voir
D'un certain sot la remontrance vaine.

Un jeune enfant dans l'eau se laissa choir,
En badinant sur les bords de la Seine.

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