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Et leur troupe à la fin se rendit familière
Jusqu'à sauter sur l'épaule du roi.

'Le bon sire le souffre, et se tient toujours coi.
Jupin en a bientôt la cervelle rompue:
Donnez-nous, dit ce peuple, un roi qui se remue!
Le monarque des dieux leur envoie une grue,
Qui les croque, qui les tue,

Qui les gobe à son plaisir;

Et grenouilles de se plaindre,

Et Jupin de leur dire: Eh quoi! votre désir
A ses lois croit-il nous astreindre ?
Vous avez da premièrement
Garder votre gouvernement;

Mais, ne l'ayant pas fait, il vous devait suffire
Que votre premier roi fût débonnaire et doux:
De celui-ci contentez-vous,
De peur d'en rencontrer un pire.

FABLE XXVII.

LE RENARD ET LE BOUC.

Capitaine renard allait de compagnie
Avec son ami bouc des plus hauts encornés:
Celui-ci ne voyait pas plus loin que son nez;
L'autre était passé maître en fait de tromperie.
La soif les obligea de descendre en un puits:
Là, chacun d'eux se désaltère.

Après qu'abondamment tous deux en eurent pris,
Le renard dit au bouc: Que ferons-nous, compère?
Ce n'est pas tout de boire, il faut sortir d'ici.

Lève tes pieds en haut, et tes cornes aussi;
Mets-les contre le mur : le long de ton échine
Je grimperai premièrement;
Puis, sur tes cornes m'élevant,
A l'aide de cette machine,
De ce lieu-ci je sortirai,
Après quoi je t'en tirerai.

Par ma barbe ! dit l'autre, il est bon; et je loue
Les gens bien sensés comme toi.
Je n'aurais jamais, quant à moi,
Trouvé ce secret, je l'avoue.

Le renard sort du puits, laisse son compagnon,
Et vous lui fait un beau sermon

Pour l'exhorter à patience:

Si le ciel t'eût, dit-il, donné par excellence
Autant de jugement que de barbe au menton,
Tu n'aurais pas, à la légère,

Descendu dans ce puits. Or, adieu, j'en suis hors:
Tâche de t'en tirer, et fais tous tes efforts;

Car,

, pour moi, j'ai certaine affaire Qui ne me permet pas d'arrêter en chemin.

En toute chose il faut cosidérer la fin.

FABLE XXVIII.

L'ANE ET LE PETIT CHIEN.

Ne forçons point notre talent;
Nous ne ferions rien avec grâce:
Jamais un lourdaud, quoi qu'il fasse,
Ne saurait passer pour galant.

Peu de gens, que le ciel chérit et gratifié,
Ont le don d'agréer infus avec la vie.

C'est un point qu'il leur faut laisser,
Et ne pas ressembler à l'âne de la fable,

Qui, pour se rendre plus aimable
Et plus cher à son maître, alla le caresser.
Comment! disait-il en son ame,

Ce chien, parce qu'il est mignon,
Vivra de pair à compagnon
Avec monsieur, avec madame:
Et j'aurai des coups de bâton!
Que fait-il? Il donne la patte;
Puis aussitôt il est baisé.

S'il en faut faire autant afin que l'on me flatte,
Cela n'est pas bien malaisé.

Dans cette admirable pensée,

Voyant son maître en joie, il s'en vient lourdement,
Lève une corne tout usée,

La lui porte au menton fort amoureusement,
Non sans accompagner, pour plus grand ornement,
De son chant gracieux cette action hardie.
Oh! oh! quelle caresse! et quelle mélodie!
Dit le maître aussitôt. Holà, Martin-bâton!
Martin-bâton accourt: l'âne change de ton.
Ainsi finit la comédie.

FABLE XXIX.

LE VIEILLARD ET SES ENFANS.

Toute puissance est faible, à moins que d'être unie.

Ecoutez la-dessus l'esclave de Phrygie.
Si j'ajoute du mien à son invention,

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C'est pour peindre nos mœurs et non point par enyie ;
Je suis trop au-dessous de cette ambition.

Phèdre enchérit souvent par un motif de glorie;
Pour moi, de tels pensers me seraient malséans.
Mais venons à la fable ou plutôt à l'histoire
De celui qui tâcha d'unir tous ses enfans.

Un vieillard près d'aller où la mort l'appelait,
Mes chers enfans, dit-il (à ses fils il parlait),
Voyez si vous romprez ces dards liés ensemble;
Je vous expliquerai le nœud qui les assemble.
L'aîné les ayant pris, et fait tous ses efforts,
Les rendit, en disant; Je le donne aux plus forts.
Un second lui succède, et se met en posture;
Mais en vain, Un cadet tente aussi l'aventure.
Tos perdirent leur temps, le faisceau résista:
De ces dards joints ensemble un seul ne s'éclata.
Faibles gens! dit le père, il faut que je vous montre
Ce que ma force peut en semblable rencontre.
On crut qu'il se moquait; on sourit, mais à tort;
Il sépare les dards, et les rompt sans effort,
Vous voyez, reprit-il, l'effet de la concorde.
Soyez joints, mes enfans que l'amour vous accorde.
Tant que dura son mal, il n'eut d'autre discours.
Enfin, se sentant près de terminer ses jours:
Mes chers enfans, dit-il, je vais où sont nos pères :
Adieu: promettez-moi de vivre comme frères ;
Que j'obtienne de vous cette grâce en mourant.
Chacun de ses trois fils l'en assure en pleurant.
Il prend à tous les mains, il meurt. Et les trois frères

Trouvent un bien fort grand, mais fort mêlé d'affaires.
Un créancier saisit, un voisin fait procès:
D'abord notre trio s'en tire avec succès.
Leur amitié fut courte autant qu'elle était rare.
Le sang les avait joints, l'intérêt les sépare:
L'ambition, l'envie, avec les consultans,
Dans la succession entrent en même temps.
On en vient au partage, on conteste, on chicane:
Le juge sur cent points tour à tour les condamne.
Créanciers et voisins reviennent aussitôt,

Ceux-là sur une erreur, ceux-ci sur un défaut.
Les frères désunis sont tous d'avis contraire:
L'un veut s'accommoder, l'autre n'en veut rien faire.
Tous perdirent leur bien, et voulurent trop tard
Profiter de ces dards unis et pris à part.

FABLE XXX.

L'AVARE QUI A PERDU SON TRÉSOR.

L'usage seulement fait la possession.
Je demande à ces gens de qui la passion

Est d'entasser toujours, mettre somme sur somme,
Quel avantage ils ont que n'ait pas un autre homme.
Diogène là-bas est aussi riche qu'eux,

Et l'avare ici-haut comme lui vit en gueux. L'homme au trésor caché, qu'Esope nous propose, Servira d'exemple à la chose.

Ce malheureux attendait Pour jouir de son bien une seconde vie ;

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