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Le vent redouble ses efforts,

Et fait si bien qu'il déracine

Celui de qui la tête au ciel était voisine,
Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts.

FABLE XXII.

L'OISEAU BLESSÉ D'UNE Flèche.

Mortellement atteint d'une flèche empennée,
Un oiseau déplorait sa triste destinée,

Et disait, en souffrant un surcroît de douleur,
Faut-il contribuer à son propre malheur!

Cruels humains! vous tirez de nos ailes De quoi faire voler ces machines mortelles! Mais ne vous moquez point, engeance sans pitié: Souvent il vous arrive un sort comme le nôtre. Des enfans de Japet toujours une moitié Fournira des armes à l'autre.

FABLE XXIII.

LE LION ET LE MOUCHERON.

Va-t'en, chétif insecte, excrément de la terre!
C'est en ces mots que le lion
Parlait un jour au moucheron.
L'autre lui déclara la guerre :

Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de roi
Me fasse peur ni me soucie?

Un bœuf est plus puissant que toi;
Je le mène à ma fantaisie.

A peine il achevait ces mots,
Que lui-même il sonna la charge,
Fut le trompette et le héros.
Dans l'abord il se met au large;

Puis prend son temps, fond sur le cou
Du lion, qu'il rend presque fou.

Le quadrupède écume, et son œil étincelle;
Il rugit. On se cache, on tremble à l'environ;
Et cette alarme universelle

Est l'ouvrage d'un moucheron.

Un avorton de mouche en cent lieux le harcelle
Tantôt pique l'échine, et tantôt le museau,
Tantôt entre au fond du naseau.

La rage alors se trouve à son faîte montée.
L'invisible ennemi triomphe, et rit de voir
Qu'il n'est griffe ni dent en la bête irritée
Qui de la mettre en sang ne fasse son devoir.
Le malheureux lion se déchire lui-même,
Fait résonner sa queue à l'entour de ses flancs,
Bat l'air, qui n'en peut mais; et sa fureur extrême
Le fatigue, l'abat: le voilà sur les dents.
L'insecte du combat se retire avec gloire:
Comme il sonna la charge, il sonne la victoire,
Va partout l'annoncer, et rencontre en chemin
L'embuscade d'une araignée;

Il y rencontre aussi sa fin.

Quelle chose par-là nous peut être enseignée ?
J'en vois deux ; dont l'une est qu'entre nos ennemis
Les plus à craindre sont souvent les plus petits;
L'autre, qu'aux grands périls tel a pu se soustraire
Qui périt pour la moindre affaire.

FABLE XXIV.

LE COQ ET LE RENARD.

Sur la branche d'un arbre était en sentinelle
Un vieux coq adroit et matois.
Frère, dit un renard, adoucissant sa voix,
Nous ne sommes plus en querelle:
Paix générale cette fois.

Je viens te l'annoncer; descends, que je t'embrasse ;
Ne me retarde point, de grâce;

Je dois faire aujourd'hui vingt postes sans manquer.
Les tiens et toi pouvez vaquer,
Sans nulle crainte, à vos affaires;
Nous vous y servirons en frères.
Faites-en les feux dès ce soir;
Et cependant viens recevoir

Le baiser d'amour fraternelle.
Ami, reprit le coq, je ne pouvais jamais
Apprendre une plus douce et meilleure nouvelle
Que celle

De cette paix;

Et ce m'est une double joie
De la tenir de toi. Je vois deux lévriers,
Qui, je m'assure, sont courriers
Que pour ce sujet on envoie ;

Ils vont vite, et seront dans un moment à nous.
Je descends; nous pourrons nous entre-baiser tous.
Adieu, dit le renard, ma traite est longue à faire :
Nous nous réjouirons du succès de l'affaire

Une autre fois. Le galant aussitôt

.

Tire ses grègues, gagne au haut,
Mal content de son stratagème.
Et notre vieux coq en soi-même
Se mit à rire de sa peur;

Car c'est double plaisir de tromper le trompeur.

FABLE XXV.

LE CORBEAU VOULANT IMITER L'AIGLE.

L'oiseau de Jupiter enlevant un mouton,
Un corbeau, témoin de l'affaire,

Et plus faible de reins, mais non pas moins glouton,
En voulut sur l'heure autant faire.

Il tourne à l'entour du troupeau,

Marque entre cent moutons le plus gras, le plus beau,
Un vrai mouton de sacrifice :

On l'avait réservé pour la bouche des dieux.
Gaillard corbeau disait, en le couvant des yeux:
Je ne sais qui fut ta nourrice;

Mais ton corps me paraît en merveilleux état :
Tu me serviras de pâture.

Sur l'animal bêlant, à ces mots, il s'abat.
La moutonnière créature

Pesait plus qu'un fromage, outre que sa toison
Etait d'une épaisseur extrême,

Et mêlée à peu près de la même façon
Que la barbe de Polyphême.

Elle empêtra si bien les serres du corbeau,
Que le pauvre animal ne put faire retraite :
Le berger vient, le prend, l'encage bien et beau,

Le donne à ses enfans pour servir d'amusette.
Il faut se mesurer; la conséquence est nette:
Mal prend aux volereaux de faire les voleurs;

L'exemple est un dangereux leurre:

Tous les mangeurs de gens ne sont pas grands seigneurs; Où la guêpe a passé, le moucheron demeure.

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Les grenouilles, se lassant
De l'état démocratique,

Par leurs clameurs firent tant

Que Jupin les soumit au pouvoir monarchique.
Il leur tomba du ciel un roi tout pacifique :
Ce roi fit toutefois un tel bruit en tombant,
Que la gent marécageuse,

Gent fort sotte et fort peureuse,
S'alla cacher sous les eaux,
Dans les joncs, dans les roseaux,
Dans les trous du marécage,

Sans oser de long-temps regarder au visage
Celui qu'elles croyaient être un géant nouveau.
Or c'était un soliveau,

De qui la gravité fit peur à la première
Qui, de le voir s'aventurant,

Osa bien quitter sa tanière:

Elle approcha, mais en tremblant.

Une autre la suivit, une autre en fit autant;
Il en vint une fourmilière;

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