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FABLE XVI.

LE POT DE TERRE ET LE FOT DE FER.

Le pot de fer proposa

Au pot de terre un voyage.
Celui-ci s'en excusa,
Disant qu'il ferait que sage
De garder le coin du feu;
Car il lui fallait si peu,
Si peu, que la moindre chose
De son débris serait cause:
Il n'en reviendrait morceau.
Pour vous, dit-il, dont la peau
Est plus dure que la mienne,
Je ne vois rien qui vous tienne.
Nous vous mettrons à couvert,
Repartit le pot de fer:
Si quelque matière dure
Vous menace, d'aventure,
Entre deux je passerai,
Et du coup vous sauverai.
Cette offre le persuade.
Pot de fer son camarade
Se met droit à ses côtés.

Mes gens s'en vont à trois pieds
Clopin, clopant, comme ils peuvent,
L'un contre l'autre jetés

Au moindre hoquet qu'ils treuvent.

Le pot de terre en souffre: il n'eut pas fait cent pas,
Que par son compagnon il fut mis en éclats,
Sans qu'il eût lieu de se plaindre.

Ne nous associons qu'avecque nos égaux;
Ou bien il nous faudra craindre
Le destin d'un de ces pots.

FABLE XVII.

LE LABOUREUR ET SES ENFANS.

Travaillez, prenez de la peine :
C'est le fonds qui manque le moins.

Un riche laboureur, sentant sa fin prochaine,
Fit venir ses enfans, leur parla sans témoins.
Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l'héritage
Que nous ont laissé nos parens:

Un trésor est caché dedans.

Je ne sais pas l'endroit ; mais un peu de courage
Vous le fera trouver : vous en viendrez à bout.
Remuez votre champ dès qu'on aura fait l'août:
Creusez, fouillez, bêchez, ne laissez nulle place
Où la main ne passe et repasse.

Le père mort, les fils vous retournent le champ,
Deçà, delà, partout; si bien qu'au bout de l'an
Il en rapporta davantage.

D'argent, point de caché. Mais le père fut sage
De leur montrer, avant sa mort,

Que le travail est un trésor,

FABLE XVIII.

LE CHIEN,

QUI LACHE SA PROIE POUR L'OMBRE.

Chacun se trompe ici-bas :

On voit courir après l'ombre
Tant de fous, qu'on n'en sait pas,

La plupart du temps, le nombre ;

Au chien dont parle Esope il faut les renvoyer.

Ce chien voyant sa proie en l'eau représentée,
La quitta pour l'image, et pensa se noyer;
La rivière devint tout d'un coup agitée;

A toute peine il regagna les bords,
Et n'eut ni l'ombre ni le corps.

FABLE XIX.

LA MORT ET LE MALHeureux.

Un malheureux appelait tous les jours
La Mort à son secours.

O Mort! lui disait-il, que tu me sembles belle!
Viens vite, viens finir ma fortune cruelle !
La Mort crut, en venant, l'obliger en effet.
Elle frappe à sa porte, elle entre, elle se montre.
Que vois-je ! cria-t-il; ôtez-moi cet objet!

Qu'il est hideux ! que sa rencontre

Me cause d'horreur et d'effroi!
́ô Mort! ô Mort, retire-toi!

N'approche pas,

Mécénas fut un galant homme;

Il a dit quelque part: Qu'on me rende impotent,
Cul-de-jatte, goutteux, manchot, pourvu qu'en somme
Je vive, c'est assez, je suis plus que content.
Ne viens jamais, ô Mort! on t'en dit tout autant.

FABLE XX.

LA MORT ET LE BUCHERON.

Un pauvre bûcheron, tout couvert de ramée,
Sous le faix du fagot, aussi bien que
des ans,
Gémissant et courbé, marchait à pas pesans,
Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée.
Enfin, n'en pouvant plus d'effort et de douleur,
Il met bas son fagot, il songe à son malheur.
Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde?
En est-il un plus pauvre en la machine ronde?
Point de pain quelquefois, et jamais de repos:
Sa femme, ses enfans, les soldats, les impôts,
Le créancier et la corvée,

Lui font d'un malheureux la peinture achevée.
Il appelle la Mort. Elle vient sans tarder,
Lui demande ce qu'il faut faire.
C'est, dit-il, afin de m'aider

A recharger ce bois; tu ne tarderas guère.

Le trépas vient tout guérir;
Mais ne bougeons d'où nous sommes:
PLUTÔT SOUFFRIR QUE MOURIR,
C'est la devise des hommes.

FABLE XXI.

LE CHENE ET LE ROSEAU.

Le chêne un jour dit au roseau :
Vous avez bien sujet d'accuser la nature;
Un roitelet pour vous est un pesant fardeau;
Le moindre vent qui, d'aventure,

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Fait rider la face de l'eau

Vous oblige à baisser la tête;

Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d'arrêter lês rayons du soleil,
Brave l'effort de la tempête.

Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr.
Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,
Vous n'auriez pas tant à souffrir;
Je vous défendrais de l'orage:

Mais vous naissez le plus souvent

Sur les humides bords des royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste.
Votre compassion, lui répondit l'arbuste,
Part d'un bon naturel; mais quittez ce souci:

Les vents me sont moins qu'à vous redoutables;
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici,
Contre leurs coups épouvantables,
Résisté sans courber le dos:

Mais attendons la fin, Comme il disait ces mots, Du bout de l'horizon accourt avec furie

Le plus terrible des enfans

Que le Nord eût portés jusque-là dans ses flancs.
L'arbre tient bon; le roseau plie.

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