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FABLE III.

LA GRENOUILLE

QUI SE VEUT FAIRE AUSSI GROSSE QUE LE BŒUF.

Une grenouille vit un bœuf

Qui lui sembla de belle taille.

Elle, qui n'était pas grosse en tout comme un œuf,
Envieuse, s'étend, et s'enfle, et se travaille,
Pour égaler l'animal en grosseur;
Disant: Regardez-bien, ma sœur,

Est-ce assez? dites-moi; n'y suis-je point encore?
Nenni.-M'y voici done?-Point du tout.-M'y voilà?-
Vous n'en approchez point. La chétive pécore
S'enfla si bien qu'elle creva.

Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages;
Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs;
Tout petit prince a des ambassadeurs ;
Tout marquis veut avoir des pages.

FABLE IV.

LE RAT DE VILLE ET LE RAT DES CHAMPS.

Autrefois le rat de ville
Invita le rat des champs,
D'une façon fort civile,
A des reliefs d'ortolans.

Sur un tapis de Turquie
Le couvert se trouva mis.
Je laisse à penser la vie
Que firent ces deux amis.

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La raison du plus fort est toujours la meilleure. Nous l'allons montrer tout à l'heure.

Un agneau se désaltérait

Dans le courant d'une onde pure.

Un loup survient à jeun, qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage?
Dit cet animal plein de rage:

Tu seras châtié de ta témérité.
Sire, répond l'agneau, que votre majesté
Ne se mette pas en colère;
Mais plutôt qu'elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant,

Plus de vingt pas au-dessous d'elle;
Et que, par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.
Tu la troubles! reprit cette bête cruelle;
Et je sais que de moi tu médis l'an passé.
Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né?

Reprit l'agneau ; je tète encor ma mère. --
Si ce n'est toi, c'est donc ton frère. →
Je n'en ai point.-C'est donc quelqu'un des tiens;
Car vous ne m'épargnez guère,

Vous, vos bergers et vos chiens.

On me l'a dit : il faut que je me venge.
Là-dessus, au fond des forêts

Le loup l'emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procès.

FABLE VI.

LE RENARD ET LA CIGOGNE.

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Compère le renard se mit un jour en frais
Et retint à diner commère la cigogne.
Le régal fut petit et sans beaucoup d'apprêts:
Le galant, pour toute besogne,

Avait un brouet clair; il vivait chichement.
Ce brouet fut par lui servi sur une assiette :
La cigogne au long bec n'en put attraper mi ette ;
Et le drôle eut lapé le tout en un moment.
Pour se venger de cette tromperie,

A quelque temps de là, la cigogne le prie.
Volontiers, lui dit-il, car avec mes amis
Je ne fais point cérémonie.

A l'heure dite, il courut au logis
De la cigogne son hôtesse;
Loua très fort sa politesse ;

Trouva le dîner cuit à point:

Bon appétit surtout; renards n'en manquent point. Il se réjouissait à l'odeur de la viande

Mise en menus morceaux, et qu'il croyait friande.
On servit, pour l'embarrasser,

En un vase à long col et d'étroite embouchure.
Le bec de la cigogne y pouvait bien passer;
Mais le museau du sire était d'autre mesure.
Il lui fallut à jeun retourner au logis,

Honteux comme un renard qu'une poule aurait pris,
Serrant la queue, et portant bas l'oreille.

Trompeurs, c'est pour vous que j'écris :
Attendez-vous à la pareille.

FABLE VII.

LE COQ ET LA PERLE.

Un jour un coq détourna
Une perle, qu'il donna
Au beau premier lapidaire.
Je la crois fine, dit-il;

Mais le moindre grain de mil
Serait bien mieux mon affaire..

Un ignorant hérita

D'un manuscrit, qu'il porta
Chez son voisin le libraire.
Je crois, dit-il, qu'il est bon;
Mais le moindre ducaton
Serait bien mieux mon affaire.

FABLE VIII.

LE LION ET LE RAT.

Il faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde :
On a souvent besoin d'un plus petit que soi.
De cette vérité deux fables feront foi;

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Tant la chose en preuves abonde.

Entre les pattes d'un lion,

Un rat sortit de terre assez à l'étourdie.
Le roi des animaux, en cette occasion,
Montra ce qu'il était, et lui donna la vie.

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