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Président! cela vaut la peine.

Je n'ai pas fait mon droit, mais, avec mon argent,
On m'en dispensera, puisque cela s'achète.
Tandis qu'il rêve et qu'il projette,

Sa servante vient l'avertir

Que les jeunes gens du village

Dans la cour du château sont à se divertir.
Le dimanche, c'était l'usage,

Le seigneur se plaisait à danser avec eux.
Oh! ma foi, répond-il, j'ai bien d'autres affaires;
Que l'on danse sans moi. L'esprit plein de chimères,
Il s'enferme tout seul pour se tourmenter mieux.
Ensuite il va joindre à sa somme
Un petit sac d'argent, reste du mois dernier.
Dans l'instant arrive un pauvre homme
Qui, tout en pleurs, vient le prier
De vouloir lui prêter vingt écus pour sa taille:
Le collecteur, dit-il, va me mettre en prison,
Et n'a laissé dans ma maison

Que six enfans sur de la paille.
Notre nouveau Crésus lui répond durement
Qu'il n'est point en argent comptant.

Le pauvre malheureux le regarde, soupire
Et s'en retourne sans mot dire.

Mais il n'était pas loin, que notre bon seigneur
Retrouve tout-à-coup son cœur ;

Il court au paysan, l'embrasse
De cent écus lui fait le don,

Et lui demande encor pardon.

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Ensuite il fait crier que sur la grande place
Le village assemblé se rende dans l'instant.
On obéit; notre bon homme

Arrive avec toute sa somme,
En un seul monceau la répand.

Mes amis, leur dit-il, vous voyez cet argent:
Depuis qu'il m'appartient, je ne suis plus le même ;
Mon ame est endurcie, et la voix du malheur
N'arrive plus jusqu'à mon cœur.

Mes enfans, sauvez-moi de ce péril extrême,
Prenez et partagez ce dangereux métal;
Emportez votre part chacun dans votre asile:
Entre tous divisé, cet or peut être utile:
Réuni chez un seul, il ne fait que du mal.
Soyons contens du nécessaire
Sans jamais souhaiter des trésors superflus;
Il faut les redouter autant que la misère,
Comme elle ils chassent les vertus.

FABLE XLIX.

LE PRÊTRE DE JUPITER.

Un prêtre de Jupiter,

Père de deux grandes filles,
Toutes deux assez gentilles,

De bien les marier fit son soin le plus cher.
Les prêtres de ce temps vivaient de sacrifices,
Et n'avaient point de bénéfices:
La dot était fort mince. Un jeune jardinier
Se présenta pour gendre; on lui donna l'aînée.
Bientôt après cet hyménée

La cadette devint la femme d'un potier.
A quelques jours de là, chaque épouse établie
Chez son époux, le père va les voir.

Bonjour, dit il: je viens savoir

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Si le choix que j'ai fait rend heureuse ta vie
S'il ne te manque rien, si je peux y pourvoir.
Jamais, répond la jardinière,
Vous ne fîtes meilleure affaire:

La paix et le bonheur habitent ma maison;
Je tâche d'être bonne, et mon époux est bon;
Il sait m'aimer sans jalousie,

Je l'aime sans coquetterie :

Ainsi tout est plaisir, tout jusqu'à nos travaux ;
Nous ne désirons rien, sinon qu'un peu de pluie
Fasse pousser nos artichauts.

Tu seras satisfaite,

-C'est là tout? - Oui vraiment.
Dit le vieillard: demain je célèbre la fête
De Jupiter; je lui dirai deux mots.
Adieu, ma fille. Adieu, mon père.
Le prêtre de ce pas s'en va chez la potière,
L'interroger, comme sa sœur,

'Sur son mari, sur son bonheur.

Oh! répond celle-ci, dans mon petit ménage,
Le travail, l'amour, la santé,

Tout va fort bien, en vérité;

Nous ne pouvons suffire à la vente, à l'ouvrage :
Notre unique désir serait que le soleil
Nous montrât plus souvent son visage vermeil
Pour sécher notre poterie.

Vous, pontife du dieu de l'air,

Obtenez-nous cela, mon père, je vous prie;
Parlez pour nous à Jupiter.

Très volontiers, ma chère amie :
Mais je ne sais comment accorder mes enfans:
Tu me demandes du beau temps,

Et ta sœur a besoin de pluie.

Ma foi, je me tairai de peur d'être en défaut.
Jupiter, mieux que nous, sait bien ce qu'il nous faut;
Prétendre le guider serait folie extrême.

Sachons prendre le temps comme il veut l'envoyer.
L'homme est plus cher aux dieux qu'il ne l'est à lui-même;
Se soumettre, c'est les prier.

FABLE L.

LE CHIEN COUPABLE.

Mon frère, sais-tu la nouvelle ?
Mouflar, le bon Mouflar, de nos chiens le modèle,
Si redouté des loups, si soumis au berger,
Mouflar vient, dit-on, de manger
Le petit agneau noir, puis la brebis sa mère,
Et puis sur le berger s'est jeté furieux.

-Serait-il vrai?—Très vrai, mon frère.

—A qui donc se fier? grands dieux!

C'est ainsi que parlaient deux moutons dans la plaine ;
Et la nouvelle était certaine.
Mouflar, sur le fait même pris,
N'attendait plus que le supplice;

Et le fermier voulait qu'une prompte justice
Effrayât les chiens du pays.

La procédure en un jour est finie.
Mille témoins pour un déposent l'attentat :
Récolés, confrontés, aucun d'eux ne varie;
Mouflar est convaincu du triple assassinat:
Mouflar recevra donc deux balles dans la tête

Sur le lieu même du délit.
A son supplice qui s'apprête-
Toute la ferme se rendit.

Les agneaux de Moufar demandèrent la grâce;
Elle fut refusée. On leur fit prendre place:
Les chiens se rangèrent près d'eux,

Tristes, humiliés, mornes, l'oreille basse,
Plaignant, sans l'excuser, leur frère malheureux.
Tout le monde attendait dans un profond silence.
Mouflar paraît bientôt, conduit par deux pasteurs 14
Il arrive; et, levant au ciel ses yeux en pleurs,
pino Il harangue ainsi l'assistance: Pol
O vous qu'en ce moment je n'ose et je ne puis
Nommer, comme autrefois, mes frères, mes amis,
Témoins de mon heure dernière,
Voyez où peut conduire un coupable désir!
De la vertu quinze ans j'ai suivi la carrière,
Un faux pas m'en a fait sortir.
Apprenez mes forfaits. Au lever de l'aurore,
Seul auprès du grand bois, je gardais le troupeau;
Un loup vient, emporte un agneau,
Et tout en fuyant le dévore.

Je cours, j'atteins le loup, qui, laissant son festin,
Vient m'attaquer: je le terrasse,

Et je l'étrangle sur la place.

C'était bien jusque-là: mais, pressé par la faim,
De l'agneau dévoré je regarde le reste,
J'hésite, je balance... A la fin, cependant,
J'y porte une coupable dent:

Voilà de mes malheurs l'origine funeste.
La brebis vient dans cet instant,
Elle jette des cris de mère...

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