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Va, vient, fait mille tours, cherche dans les roseaux,
S'incline par-dessus les flots,

Et voudrait s'y plonger pour trouver son amie.
Hélas! s'écriait-il, m'entends-tu ? réponds-moi,
Ma sœur,
ma compagne chérie,

Ne prolonge pas mon effroi:

Encor quelques momens, c'en est fait de ma vie :
J'aime mieux expirer que de trembler pour toi.
Disant ces mots, il court, il pleure,

Et, s'avançant le long de l'eau,

Arrive enfin près du château

Où le seigneur du lieu demeure.
Là, notre désolé lapin

Se trouve au milieu d'un parterre,
Et voit une grande volière

Où mille oiseaux divers volaient sur un bassin.
L'amitié donne du courage.

Notre ami, sans rien craindre, approche du grillage,
Regarde, et reconnaît... ô tendresse! ô bonheur !
La sarcelle: aussitôt il pousse un cri de joie;
Et, sans perdre de temps à consoler sa sœur
De ses quatre pieds il s'emploie

A creuser un secret chemin

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Pour joindre son amie, et, par ce souterrain,
Le lapin tout-à-coup entre dans la volière,
Comme un mineur qui prend une place de guerre.
Les oiseaux effrayés se pressent en fuyant.
Lui court à la sarcelle, il l'entraîne à l'instant
Dans son obscur sentier, la conduit sous la terre,
Et, la rendant au jour, il est prêt à mourir

De plaisir.

Quel moment pour tous deux! Que ne sais-je le peindre

Comme je saurais le sentir!

Nos bons amis croyaient n'avoir plus rien à craindre ;
Ils n'étaient pas au bout. Le maître du jardin,
En voyant le dégât commis dans sa volière,
Jure d'exterminer jusqu'au dernier lapin :
Mes fusils, mes furets! criait-il en colère.
Aussitôt fusils et furets
Sont tout prêts.

Les gardes et les chiens vont dans les jeunes tailles,
Fouillant les terriers, les broussailles;
Tout lapin qui paraît trouve un affreux trépas:
Les rivages du Styx sont bordés de leurs mânes:
Dans le funeste jour de Cannes,

On mit moins de Romains à bas.

La nuit vient; tant de sang n'a point éteint la rage
Du seigneur, qui remet au lendemain matin
La fin de l'horrible carnage.
Pendant ce temps notre lapin,

Tapi sous des roseaux auprès de la sarcelle,
Attendait, en tremblant, la mort,
Mais conjurait sa sœur de fuir à l'autre bord
Pour ne pas mourir devant elle.
Je ne te quitte point, lui répondait l'oiseau;
Nous séparer serait la mort la plus cruelle.
Ah! si tu pouvais passer l'eau !

Pourquoi pas ? Attends-moi... La sarcelle le quitte,
Et revient traînant un vieux nid

Laissé par des canards; elle l'emplit bien vite
De feuilles de roseau, les presse, les unit
Des pieds, du bec, en forme un batelet capable
De supporter un lourd fardeau ;

Puis elle attache à ce vaisseau

Un brin de jonc qui servira de câble.
Cela fait, et le bâtiment

Mis à l'eau, le lapin entre tout doucement
Dans le léger esquif, s'assied sur son derrière,
Tandis que devant lui la sarcelle nageant,
Tire le brin de jonc, et s'en va dirigeant
Cette nef à son cœur si chère.

On aborde, on débarque, et jugez du plaisir !
Non loin du port on va choisir

Un asile où, coulant des jours dignes d'envie,
Nos bons amis, libres, heureux,
Aimèrent d'autant plus la vie,
Qu'ils se la devaient tous les deux.

FABLE XLVII.

LE PAYSAN ET LA RIVIère.

Je veux me corriger, je veux changer de vie,
Me disait un ami: dans des liens honteux
Mon ame s'est trop avilie;

J'ai cherché le plaisir, guidé par la folie,
Et mon cœur n'a trouvé que le remords affreux.
C'en est fait, je renonce à l'indigne maîtresse
Que j'adorai toujours sans jamais l'estimer;
Tu connais pour le jeu ma coupable faiblesse,
Eh bien! je vais la réprimer;

Je vais me retirer du monde ;
Et, calme désormais, libre de tout soucis,
Dans une retraite profonde,
pour la sagesse et pour mes seuls amis.

Vivre

Que de fois vous l'avez promis!

Toujours en vain, lui répondis-je.

Cà, quand commencez-vous?-Dans huit jours, sûrement. Pourquoi pas aujourd'hui ? Ce long retard m'afflige. -Oh! je ne puis dans un moment

Briser une si forte chaîne:

Il me faut un prétexte; il viendra, j'en réponds.
Causant ainsi, nous arrivons
Jusque sur les bords de la Seine,
Et j'aperçois un paysan

Assis sur une large pierre,

Regardant l'eau couler d'un air impatient.
-L'ami, que fais-tu là ?-Monsieur, pour une affaire
Au village prochain je suis contraint d'aller :
Je ne vois point de pont pour passer la rivière,
Et j'attends que cette eau cesse enfin de couler.

Mon ami, vous voilà, cet homme est votre image:
Vous perdez en projets les plus beaux de vos jours:
Si vous voulez passer, jetez-vous à la nage;

Car cette eau coulera toujours.

FABLE XLVIII.

LE BON HOMME ET LE TRÉSOR.

Un bon homme de mes parens,
Que j'ai connu dans mon jeune âge,
Se faisait adorer de tout son voisinage;
Consulté, vénéré des petits et des grands,
Il vivait dans sa terre en véritable sage.
Il n'avait pas beaucoup d'écus,

Mais cependant assez pour vivre dans l'aisance;
En revanche, force vertus,

Du sens, de l'esprit par-dessus,

Et cette aménité que donne l'innocence.
Quand un pauvre venait le voir,
S'il avait de l'argent, il donnait des pistoles;
Et, s'il n'en avait point, du moins par ses paroles
Il lui rendait un peu de courage et d'espoir.
Il raccommodait les familles,

Corrigeait doucement les jeunes étourdis,
Riait avec les jeunes filles,

Et leur trouvait de bons maris.
Indulgent aux défauts des autres,

Il répétait souvent: N'avons-nous pas les nôtres ?
Ceux-ci sont nés boiteux, ceux-là sont nés bossus,
L'un un peu moins, l'autre un peu plus:
La nature de cent manières

Voulut nous affliger: marchons ensemble en paix,
Le chemin est assez mauvais

Sans nous jeter encor des pierres.
Or il arriva certain jour

Que notre bon vieillard trouva dans une tour
Un trésor caché sous la terre.
D'abord il n'y voit qu'un moyen
De pouvoir faire plus de bien;
Il le prend, l'emporte et le serre.
Puis, en réfléchissant, le voilà qui se dit:
Cet or que j'ai trouvé ferait plus de profit
Si j'en augmentais mon domaine;
J'aurais plus de vassaux, je serais plus puissant.
Je peux mieux faire encor: dans la ville prochaine
Achetons une charge, et soyons président.

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