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Les moutons par les loups, les cerfs par la panthère,
Partout le faible terrassé,

Le bœuf travaillant sans salaire,
Et le singe récompensé.

Le jeune lionceau frémissait de colère:
Mon père, disait-il, de pareils attentats

Sont-ils connus du roi ? Comment pourraient-ils l'être ?
Disait le chien: les grands approchent seuls du maître,
Et les mangés ne parlent pas.

Ainsi, ons raisonner de vertu, de prudence,
Notre ne lion devenait tous les jours
Vertueux et prudent; car c'est l'expérience
Qui corrige, et non les discours.
A cette bonne école il acquit avec l'âge
Sagesse, esprit, force et raison.
Que lui fallait-il davantage?
Il ignorait pourtant encor qu'il fût lion;
Lorsqu'un jour qu'il parlait de sa reconnaissance
A son maître, à son bienfaiteur,
Un tigre furieux, d'une énorme grandeur,
Paraissant tout-à-coup, contre le chien s'avance.
Le lionceau plus prompt s'élance,

Il hérisse ses crins, il rugit de fureur,

Bat ses flancs de sa queue, et ses griffes sanglantes
Ont bientôt dispersé les entrailles fumantes
De son redoutable ennemi.

A peine il est vainqueur qu'il court à son ami:
Oh! quel bonheur peur moi d'avoir sauvé ta vie !
Mais quel est mon étonnement!

Sais-tu que l'amitié, dans cet heureux moment,
M'a donné d'un lion la force et la furie ?

Vous l'êtes, mon cher fils, oui, vous êtes mon roi,

Dit le chien tout baigné de larmes.

Le voilà donc venu, ce moment plein de charmes,
Où, vous rendant enfin tout ce que je vous doi,
Je peux vous dévoiler un important mystère !
Retournons à la cour, mes travaux sont finis.
Cher prince, malgré moi cependant je gémis,
Je pleure; pardonnez, tout l'état trouve un père,
Et moi je vais perdre mon fils.

FABLE XLIV.

LE LINOT.

Une linotte avait un fils,

Qu'elle adorait selon l'usage;

C'était l'unique fruit du plus doux mariage,
Et le plus beau linot qui fût dans le pays.
Sa mère en était folle, et tous les témoignages
Que peuvent inventer la tendresse et l'amour
Etaient pour cet enfant épuisés chaque jour.
Notre jeune linot, fier de ces avantages,
Se croyait un phénix, prenait l'air suffisant,
Tranchait du petit important
Avec les oiseaux de son âge;
Persiflait la mésange ou bien le roitelet,
Donnait à chacun son paquet,
Et se faisait haïr de tout le voisinage.

Sa mère lui disait: Mon cher fils, sois plus sage,
Plus modeste surtout. Hélas! je conçois bien
Les dons, les qualités qui furent ton partage;
Mais feignons de n'en savoir rien,

Pour qu'on les aime davantage.
A tout cela notre linot

Répondait par quelque bon mot;

La mère en gémissait dans le fond de son ame.
Un vieux merle, ami de la dame,
Lui dit: Laissez aller votre fils au grand bois;
Je vous réponds qu'avant un mois
Il sera sans défauts. Vous jugez des alarmes
De la mère, qui pleure et frémit du danger;
Mais le jeune linot brûlait de voyager;

Il partit donc malgré ses larmes.
A peine est-il dans la forêt,
Que notre petit personnage
Du pivert entend le ramage,
Et se moque de son fausset.
Le pivert, qui prit mal cette plaisanterie,
Vient à bons coups de bec plumer le persifleur,
Et, deux jours après, une pie
Le dégoûte à jamais du métier de railleur.
Il lui restait encor la vanité secrète

De se croire excellent chanteur;
Le rossignol et la fauvette
Le guérirent de son erreur.
Bref, il retourna chez sa mère
Doux, poli, modeste et charmant.

Ainsi l'adversité fit, dans un seul moment,
Ce que tant de leçons n'avaient jamais pu faire.

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Certain roi qui régnait sur les rives du Tage,
Et que l'on surnomma le Sage,

Non parce qu'il était prudent,
Mais parce qu'il était savant;
Alphonse fut surtout un habile astronome.
Il connaissait le ciel bien mieux que son royaume,
Et quittait souvent son conseil
Pour la lune ou pour le soleil.

Un soir qu'il retournait à son observatoire,
Entouré de ses courtisans:

Mes amis, disait-il, enfin j'ai lieu de croire
Qu'avec mes nouveaux instrumens

Je verrai, cette nuit, des hommes dans la lune.
Votre majesté les verra,

Répondait-on; la chose est même trop commune,
Elle doit voir mieux que cela.

Pendant tous ces discours, un pauvre, dans la rue,
S'approche en demandant humblement, chapeau bas,
Quelques maravédis; le roi ne l'entend pas,
Et sans le regarder son chemin continue.
Le pauvre suit le roi, toujours tendant la main,
Toujours renouvelant sa prière importune;

Mais, les yeux vers le ciel, le roi, pour tout refrain,
Répétait: Je verrai des hommes dans la lane.
Enfin le pauvre le saisit

Par son manteau royal, et gravement lui dit:
Ce n'est pas de là-haut, c'est des lieux où nous sommes
Que Dieu vous a fait sonverain.

Regardez à vos pieds; là vous verrez des hommes Et des hommes manquant de pain.

FABLE XLVI.

LE LAPIN ET LA SARCELLE.

Unis dès leurs jeunes ans
D'une amitié fraternelle,
Un lapin, une sarcelle,

Vivaient heureux et contens.

Le terrier du lapin était sur la lisière
D'un parc bordé d'une rivière.
Soir et matin nos bons amis,
Profitant de ce voisinage,

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Tantôt au bord de l'eau, tantôt sous le feuillage,
L'un chez l'autre étaient réunis.

Là, prenant leurs repas, se contant des nouvelles,
Ils n'en trouvaient point de si belles
Que de se répéter qu'ils s'aimeraient toujours.
Ce sujet revenait sans cesse en leurs discours.
Tout était en commun, plaisir, chagrin, souffrance :
Ce qui manquait à l'un, l'autre le regrettait;
Si l'un avait du mal, son ami le sentait;
Si d'un bien au contraire il goûtait l'espérance,
Tous deux en jouissaient d'avance.

Tel était leur destin, lorsqu'un jour, jour affreux!
Le lapin, pour dîner venant chez la sarcelle,
Ne la retrouve plus: inquiet, il l'appelle;
Personne ne répond à ses cris douloureux.
Le lapin, de frayeur l'ame toute saisie,

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