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Et les fontaines jaillissantes
Roulant leurs ondes bondissantes

A côté des lits de brocard.

Près de ce beau palais, juste devant l'entrée,
Une étroite chaumière, antique et délabrée,
D'un pauvre tisserand était l'humble réduit.
Là, content du petit produit

D'un grand travail, sans dette et sans soucis pénibles,
Le bon vieillard, libre, oublié,
Coulait des jours doux et paisibles,
Point envieux, point envié.

J'ai déjà dit que sa retraite
Masquait le devant du palais.

Le vizir veut d'abord, sans forme de procès,
Qu'on abatte la maisonnette;

Mais le calife veut que d'abord on l'achète.
Il fallut obéir: on va chez l'ouvrier,

On lui porte de l'or. Non, gardez votre somme,
Répond doucement le pauvre homme;

Je n'ai besoin de rien avec mon atelier.

Et, quant à ma maison, je ne puis m'en défaire;
C'est là que je suis né, c'est là qu'est mort mon père,,
Je prétends y mourir aussi.

Le calife, s'il veut, peut me chasser d'ici,
Il peut détruire ma chaumière;
Mais, s'il le fait, il me verra

Venir, chaque matin, sur la dernière pierre
M'asseoir et pleurer ma misère.
Je connais Almamon, son cœur en gémira.
Cet insolent discours excita la colère
Du vizir, qui voulait punir ce téméraire
Et sur-le-champ raser sa chétive maison.

Mais le calife lui dit: Non,
J'ordonne qu'à mes frais elle soit réparée;
Ma gloire tient à sa durée:

Je veux que nos neveux, en la considérant,
Y trouvent de mon règne un monument auguste;
En voyant le palais ils diront: Il fut grand;
En voyant la chaumière ils diront: 11 fut juste.

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Un bon père cheval, veuf, et n'ayant qu'un fils,
L'élevait dans un pâturage

Où les eaux, les fleurs et l'ombrage

Présentaient à la fois tous les biens réunis.
Abusant pour jouir, comme on fait à cet âge,
Le poulain tous les jours se gorgeait de sainfoin,
Se vautrait dans l'herbe fleurie,
Galopait sans objet, se baignait sans envie,
Ou se reposait sans besoin.
Oisif et gras à lard, le jeune solitaire
S'ennuya, se lassa de ne manquer de rien:
Le dégoût vint bientôt; il va trouver son père:
Depuis long-temps, dit-il, je ne me sens pas bien;
Cette herbe est malsaine et me tue,

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Ce trèfle est sans saveur cette onde est corrompue; L'air qu'on respire ici m'attaque les poumons;

Bref, je meurs si nous ne partons.

Mon fils, répond le père, il s'agit de ta vie,
A l'instant même il faut partir.

Sitôt dit, sitôt fait, ils quittent leur patrie.
Le jeune voyageur bondissait de plaisir :

Le vieillard, moins joyeux, allait un train plus sage;
Mais il guidait l'enfant, et le faisait gravir
Sur des monts escarpés, arides, sans herbage,
Où rien ne pouvait le nourrir.

Le soir vint, point de pâturage ;

On s'en passa. Le lendemain,
Comme l'on commençait à souffrir de la faim,
On prit du bout des dents une ronce sauvage.
On ne galopa plus le reste du voyage;
A peine, après deux jours, allait-on même au pas,
Jugeant alors la leçon faite,

Le père va reprendre une route secrète
Que son fils ne connaissait pas,
Et le ramène à la prairie,

Au milieu de la nuit. Dès que notre poulain
Retrouve un peu d'herbe fleurie,

Il se jette dessus: Ah! l'excellent festin,

La bonne herbe! dit-il: comme elle est douce et tendre!
Mon père, il ne faut pas s'attendre
Que nous puissions rencontrer mieux;
Fixons-nous pour jamais dans ces aimables lieux;
Quel pays peut valoir cet asile champêtre?
Comme il parlait ainsi, le jour vint à paraître :
Le poulain reconnaît le pré qu'il a quitté;
Il demeure confus. Le père, avec bonté,
Lui dit: Mon cher enfant, retiens cette maxime
Quiconque jouit trop est bientôt dégoûté;
Il faut au bonheur du régime.

FABLE XLIII.

L'ÉDUCATION DU LION.

Enfin le roi lion venait d'avoir un fils ;
Partout dans ses états on se livrait en proie
Aux transports éclatans d'une bruyante joie :
Les rois heureux ont tant d'amis !

Sire lion, monarque sage,

Songeait à confier son enfant bien-aimé
Aux soins d'un gouverneur vertueux, estimé,
Sous qui le lionceau fit son apprentissage.
Vous jugez qu'un choix pareil

Est d'assez grande importance
Pour que long-temps on y pense.
Le monarque indécis assemble son conseil :
En peu de mots il expose

Le point dont il s'agit, et supplie instamment Chacun des conseillers de nommer franchement Celui qu'en conscience il croit propre à la chose. Le tigre se leva: Sire, dit-il, les rois

N'ont de grandeur que par la guerre ; Il faut que votre fils soit l'effroi de la terre: Faites donc tomber votre choix

Sur le guerrier le plus terrible, Le plus craint après vous des hôtes de ces bois. Votre fils saura tout, s'il sait être invincible, L'ours fut de cet avis : il ajouta pourtant Qu'il fallait un guerrier prudent, Un animal de poids, de qui l'expérience Du jeune lionceau sût régler la vaillance Et mettre à profit ses exploits.

Après l'ours, le renard s'explique,
Et soutient que la politique

Est le premier talent des rois;

Qu'il faut donc un Mentor d'une finesse extrême
Pour instruire le prince et pour le bien former.
Ainsi chacun, sans se nommer,
Clairement s'indiqua soi-même :

De semblables conseils sont communs à la cour.
Enfin le chien parle à son tour:

Sire, dit-il, je sais qu'il faut faire la guerre,
Mais je crois qu'un bon roi ne la fait qu'à regret;
L'art de tromper ne me plaît guère:

Je connais un plus beau secret

Pour rendre heureux l'état, pour en être le père,
Pour tenir ses sujets, sans trop les alarmer,
Dans une dépendance entière;
Ce secret, c'est de les aimer.

Voilà pour bien régner la science suprême;
Et si vous désirez la voir dans votre fils,
Sire, montrez-la-lui vous-même.
Tout le conseil resta muet à cet avis.

Le lion court au chien: Ami, je te confie
Le bonheur de l'état et celui de ma vie ;

Prends mon fils, sois son maître, et, loin de tout flatteur,
S'il se peut, va former son cœur.

Il dit, et le chien part avec le jeune prince.
D'abord à son pupille il persuade bien

Qu'il n'est point lionceau, qu'il n'est qu'un pauvre chien,
Son parent éloigné. De province en province
Il le fait voyager, montrant à ses regards
Les abus du pouvoir, des peuples la misère,
Les lièvres, les lapins mangés par les renards,

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