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Celui-ci, dès le grand matin,

Travaillait en chantant quelque joyeux refrain,
Bêchait, arrosait tout du pêcher à l'oseille.
Sur ce qu'il ignorait sans vouloir discourir,
Il semait bonnement pour pouvoir recueillir.
Aussi dans son terrain tout venait à merveille;
Il avait des écus, des fruits et du plaisir.

Ce fut lui qui nourrit son frère ;

Et quand monsieur Jean tout surpris
S'en vint lui demander comment il savait faire:
Mon ami, lui dit-il, voici tout le mystère:
Je travaille, et tu réfléchis;
Lequel rapporte davantage?
Tu te tourmentes, je jouis;
Qui de nous deux est le plus sage?

FABLE XXXVIII.

LE BOUVREUIL ET LE CORBEAU.

Un bouvreuil, un corbeau, chacun dans une cage, Habitaient le même logis.

L'un enchantait par son ramage

La femme, le mari, les gens, tout le ménage :
L'autre les fatiguait sans cesse par ses cris;
Il demandait du pain, du rôti, du fromage,
Qu'on se pressait de lui porter,

Afin qu'il voulût bien se taire.

Le timide bouvreuil ne faisait que chanter
Et ne demandait rien: aussi, pour l'ordinaire,
On l'oubliait; le pauvre oiseau

Manquait souvent de grain et d'eau.
Ceux qui louaient le plus de son chant l'harmonie
N'auraient pas fait le moindre pas
Pour voir si l'ange était remplie.

Ils l'aimaient bien pourtant, mais ils n'y pensaient pas;
Un jour on le trouva mort de faim dans sa cage.
Ah! quel malheur! dit-on: las! il chantait si bien !
De quoi donc est-il mort? Certes, c'est grand dommage,
Le corbeau crie encore et ne manque de rien.

FABLE XXXIX.

L'éCUREUIL, LE CHIEN ET LE RENARD.

Un gentil écureuil était le camarade,

Le tendre ami d'un beau danois.

Un jour qu'ils voyageaient comme Oreste et Pylade,
La nuit les surprit dans un bois.
En ce lieu point d'auberge; ils eurent de la peine
A trouver où se bien coucher.

Enfin le chien se mit dans le creux d'un vieux chêne,
Et l'écureuil plus haut grimpa pour se nicher.
Vers minuit, c'est l'heure des crimes,
Long-temps après que nos amis,

En se disant bonsoir, se furent endormis,
Voici qu'un vieux renard, affamé de victimes,
Arrive au pied de l'arbre; et, levant le museau,
Voit l'écureuil sur un rameau.

Il le mange des yeux, humecte de sa langue
Ses lèvres, qui de sang brûlent de sabreuver.
Mais jusqu'à l'écureuil il ne peut arriver;

Il faut donc, par une harangue,
L'engager à descendre; et voici son discours :
Ami, pardonnez, je vous prie,

Si de votre sommeil j'ose troubler le cours;
Mais le pieux transport dont mon ame est remplie
Ne peut se contenir: je suis votre cousin

Germain ;

Votre mère était sœur de feu mon digne père.
Cet honnête homme, hélas! à son heure dernière,
M'a tant recommandé de chercher son neveu,
Pour lui donner moitié du peu

Qu'il m'a laissé de bien! Venez donc, mon cher frère,
Venez, par un embrassement,

Combler le doux plaisir que mon ame ressent.
Si je pouvais monter jusqu'aux lieux où vous êtes,
Oh! j'y serais déjà, soyez-en bien certain.
Les écureuils ne sont pas bêtes,

Et le mien était fort malin.

11 reconnaît le patelin,

Et répond d'un ton doux: Je meurs d'impatience
De vous embrasser, mon cousin ;

Je descends: mais, pour mieux lier la connaissance,,
Je veux vous présenter mon plus fidèle ami,
Un parent qui prit soin de nourrir mon enfance;
Il dort dans ce trou-là: frappez un peu; je pense
Que vous serez charmé de le connaître aussi.
Aussitôt maître renard frappe,
Croyant en manger deux: mais le fidèle chien
S'élance de l'arbre, le happe,

Ceci

Et vous l'étrangle bel et bien.

prouve deux points: d'abord, qu'il est utile

Dans la douce amitié de placer son bonheur;
Puis, qu'avec de l'esprit, il est souvent facile
Au piége qu'il nous tend de surprendre un trompeur.

FABLE XL.

LE VIEUX ARBRE ET LE JARDINIER.

Un jardinier, dans son jardin,
Avait un vieux arbre stérile;

C'était un grand poirier qui jadis fut fertile :
Mais il avait vieilli, tel est notre destin.
Le jardinier ingrat veut l'abattre un matin;
Le voilà qui prend sa cognée.
Au premier coup l'arbre lui dit:
Respecte mon grand âge, et souviens-toi du fruit
Que je t'ai donné chaque année.

La mort va me saisir, je n'ai plus qu'un instant;
N'assassine pas un mourant

Qui fut ton bienfaiteur. Je te coupe avec peine,
Répond le jardinier; mais j'ai besoin de bois.
Alors, gazouillant à la fois,

De rossignols une centaine

S'écrie: Épargne-le, nous n'avons plus que lui:
Lorsque ta femme vient s'asseoir sous son ombrage,
Nous la réjouissons par notre doux ramage;
Elle est seule souvent, nous charmons son ennui.
Le jardinier les chasse et rit de leur requête;
Il frappe un second coup. D'abeilles un essaim
Sort aussitôt du tronc, en lui disant: Arrête,
Écoute-nous, homme inhumain :
Si tu nous laisses cet asile,

Chaque jour nous te donnerons

Un miel délicieux dont tu peux à la ville
Porter et vendre les rayons;

Cela te touche-t-il? J'en pleure de tendresse,
Répond l'avare jardinier:

Eh! que ne dois-je pas à ce pauvre poirier
Qui m'a nourri dans sa jeunesse ?

Ma femme quelquefois vient ouïr ces oiseaux;
C'en est assez pour moi : qu'ils chantent en repos.
Et vous qui daignerez augmenter mon aisance,
Je veux pour vous de fleurs semer tout ce canton.
Cela dit, il s'en va, sûr de sa récompense
Et laisse vivre le vieux tronc.

Comptez sur la reconnaissance
Quand l'intérêt vous en répond.

FABLE XLI.

LE CALIFE.

Autrefois dans Bagdad le calife Almamon
Fit bâtir un palais plus beau, plus magnifique,
Que ne le fut jamais celui de Salomon.

Cent colonnes d'albâtre en formaient le portique;
L'or, le jaspe, l'azur, décoraient le parvis ;
Dans les appartemens embellis de sculpture,
Sous les lambris de cèdre, on voyait réunis
Et les trésors du luxe et ceux de la nature,
Les fleurs, les diamans, les parfums, la verdure,
Les myrtes odorans, les chefs-d'œuvre de l'art,

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