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Les pasteurs amoureux qui chantent leur bergères
On les écarte mal avec un chalumeau.

Ah! comme je rirais !... Dans l'instant le loup passe,
Comme pour lui faire plaisir ;

Mais à peine il paraît, que, prompt à le saisir,
Un chien s'élance et le terrasse.

Au bruit qu'ils font en combattant,

Deux moutons effrayés s'écartent dans la plaine:
Un autre chien part, les ramène,
Et pour rétablir l'ordre il suffit d'un instant.
Le berger voyait tout couché dessus l'herbette,
Et ne quittait pas sa musette.

Alors le roi presque en courroux

Lui dit: Comment fais-tu? Les bois sont pleins de loups,
Tes moutons gras et beaux sont au nombre de mille,
Et, sans en être moins tranquille,

Dans cet heureux état, toi seul tu les maintiens!
Sire, dit le berger, la chose est fort facile;
Tout mon secret consiste à choisir de bons chiens.

FABLE XXXI.

LES DEUX LIONS.

Sur les bords africains, aux lieux inhabités
Où le char du soleil roule en brûlant la terre,
Deux énormes lions, de la soif tourmentés,
Arrivèrent au pied d'un désert solitaire.
Un filet d'eau coulait, faible et dernier effort
De quelque naïade expirante.,

Les deux lions courent d'abord

Au bruit de cette eau murmurante. Ils pouvaient boire ensemble; et la fraternité, Le besoin, leur donnaient ce conseil salutaire : Mais l'orgueil disait le contraire

Et l'orgueil fut seul écouté.

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Chacun veut boire seul : d'un œil plein de colère
L'un l'autre ils vont se mesurans,

Hérissent de leur cou l'ondoyante crinière;
De leur terrible queue ils se frappent les flancs,
Et s'attaquent avec de tels rugissemens,

Qu'à ce bruit, dans le fond de leur sombre tanière,
Les tigres d'alentour vont se cacher tremblans.
Egaux en vigueur, eu courage,

Ce combat fut plus long qu'aucun de ces combats Qui d'Achille ou d'Hector signalèrent la rage; Car les dieux ne s'en mêlaient pas.

Après une heure ou deux d'efforts et de morsures, Nos héros fatigués, déchirés, haletans,

S'arrêtèrent en même temps.

Couverts de sang et de blessures,

N'en pouvant plus, morts à demi, Se trainant sur le sable, à la source ils vont boire, Mais, pendant le combat, la source avait tari.

lls expirent auprès.

Vous lisez votre histoire,

Malheureux insensés, dont les divisions,

L'orgueil, les fureurs, la folie,

Consument en douleurs le moment de la vie ;>
Hommes, vous êtes ces lions;

Vos jours, c'est l'eau qui s'est tarie.

FABLE XXXII.

LES SERINS ET LE CHARDONNERET.

Un amateur d'oiseaux avait, en grand secret,
Parmi les œufs d'une serine

Glissé l'œuf d'un chardonneret.

La mère des serins, bien plus tendre que fine,
Ne s'en aperçut point, et couva comme sien
Cet œuf qui dans peu vint à bien.
Le petit étranger, sorti de sa coquille,
Des deux époux trompés reçoit les tendres soins,
Par eux traité ni plus ni moins

Que s'il était de la famille.

Couché dans le duvet, il dort le long du jour
A côté des serins dont il se croit le frère,
Reçoit la becquée à son tour,
Et repose la nuit sous l'aile de la mère.
Chaque oisillon grandit, et, devenant oiseau,
D'un brillant plumage s'habille ;
Le chardonneret seul ne devient point jonquille,
Et ne s'en croit pas moins des serins le plus beau.
Ses frères pensent tout de même :

Douce erreur qui toujours fait voir l'objet qu'on aime
Ressemblant à nous trait pour trait!

Jaloux de son bonheur, un vieux chardonneret Vient lui dire: Il est temps enfin de vous connaître ; Ceux pour qui vous avez de si doux sentimens

Ne sont point du tout vos parens.

C'est d'un chardonneret que le sort vous fit naître.
Vous ne fûtes jamais serin: regardez-vous,
Vous avez le corps fauve et la tête écarlate,

Le bec... Oui, dit l'oiseau; j'ai ce qu'il vous plaira: Mais je n'ai point une ame ingrate,

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Et mon cœur toujours chérira

Ceux qui soignèrent mon enfance.

Si mon plumage au leur ne ressemble pas bien,
J'en suis fâché; mais leur cœur et le mien

Ont une grande ressemblance.

Vous prétendez prouver que je ne leur suis rien,
Leurs soins me prouvent le contraire:
Rien n'est vrai comme ce qu'on sent.
Pour un oiseau reconnaissant
Un bienfaiteur est plus qu'un père.

FABLE XXXIII.

LE CHATEAU DE CARTES.

Un bon mari, sa femme et deux jolis enfans
Coulaient en paix leurs jours dans le simple ermitage
Où, paisibles comme eux, vécurent leurs parens.
Ces époux, partageant les doux soins du ménage,
Cultivaient leur jardin, recueillaient leurs moissons;
Et le soir, dans l'été, soupant sous le feuillage,
Dans l'hiver devant leurs tisons,

Ils prêchaient à leurs fils la vertu, la sagesse,
Leur parlaient du bonheur qu'ils procurent toujours ;
Le père par un conte égayait ses discours,
La mère par une caresse.

L'aîné de ces enfans, né grave, studieux,
Lisait et méditait sans cesse ;

Le cadet, vif, léger, mais plein de gentillesse,
Sautait, riait toujours, ne se plaisait qu'aux jeux.

Un soir, selon l'usage, à côté de leur père,
Assis près d'une table où s'appuyait la mère,
L'aîné lisait Rollin: le cadet, peu soigneux
D'apprendre les hauts faits des Romains ou des Parthes,
Employait tout son art, toutes ses facultés,
A joindre, à soutenir par les quatre côtés
Un fragile château de cartes.

Il n'en respirait pas d'attention, de peur.
Tout-à-coup voici le lecteur

Qui s'interrompt: Papa, dit-il, daigne m'instruire
Pourquoi certains guerriers sont nommés conquérans,
Et d'autres fondateurs d'empire:

Ces deux noms sont-ils différens ?

Le père méditait une réponse sage,
Lorsque son fils cadet, transporté de plaisir,
Après tant de travail, d'avoir pu parvenir
A placer son second étage,

S'écrie: Il est fini! Son frère murmurant

Se fâche, et d'un seul coup détruit son long ouvrage ;
Et voilà le cadet pleurant.

Mon fils, répond alors le père,
Le fondateur c'est votre frère,
Et vous êtes le conquérant.

FABLE XXXIV.

LE CHAT ET LE MOINEAU.

La prudence est bonne de soi; Mais la pousser trop loin est une duperie: L'exemple suivant en fait foi.

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