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FABLE XVII.

LE LEOPARD ET L'ECUREUIL.

Un écureuil sautant, gambadant sur un chêne,
Manqua sa branche, et vint, par un triste hasard,
Tomber sur un vieux léopard
Qui faisait sa méridienne.

Vous jugez s'il eut peur! En sursaut s'éveillant,
L'animal irrité se dresse;

Et l'écureuil, s'agenouillant,

Tremble et se fait petit aux pieds de son altesse.
Après l'avoir considéré,

Le léopard lui dit: Je te donne la vie,
Mais à condition que de toi je saurai
Pourquoi cette gaîté, ce bonheur que j'envie,
Embellissent tes jours, ne te quittent jamais,
Tandis que moi, roi des forêts,

Je suis si triste et je m'ennuie.
Sire, lui répond l'écureuil,
Je dois à votre bon accueil
La vérité: mais, pour la dire,

Sur cet arbre un peu haut je voudrais être assis.

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Mon grand secret pour être heureux
C'est de vivre dans l'innocence:

L'ignorance du mal fait toute ma science;

Mon cœur est toujours pur, cela rend bien joyeux. Vous ne connaissez pas la volupté suprême

De dormir sans remords; vous mangez les chevreuils, Tandis que je partage à tous les écur euils

Mes feuilles et mes fruits; vous haïssez, et j'aime :
Tout est dans ces deux mots. Soyez bien convaincu
De cette vérité que je tiens de mon père:
Lorsque notre bonheur nous vient de la vertu,
La gaîté vient bientôt de notre caractère.

FABLE XVIII.

L'AVEUGLE ET LE PARALYTIQUE.

Aidons-nous mutuellement,

La charge des malheurs en sera plus légère;
Le bien que l'on fait à son frère

Pour le mal que l'on souffre est un soulagement.
Confucius l'a dit; suivons tous sa doctrine:
Pour la persuader aux peuples de la Chine,
Il leur contait le trait suivant.

Dans une ville de l'Asie

Il existait deux malheureux,

L'un perclus, l'autre aveugle, et pauvres tous les deux
Ils demandaient au ciel de terminer leur vie :
Mais leurs cris étaient superflus,
Ils ne pouvaient mourir. Notre paralytique,
Couché sur un grabat dans la place publique,
Souffrait sans être plaint; il en souffrait bien plus.
L'aveugle, à qui tout pouvait nuire,

Etait sans guide, sans soutien,
Sans avoir même un pauvre chien
Pour l'aimer et pour le conduire.
Un certain jour il arriva

Que l'aveugle à tâtons, au détour d'une rue,
Près du malade se trouva;

Il entendit ses cris, son ame en fut émue.
Il n'est tels que les malheureux

Pour se plaindre les uns les autres.

J'ai mes maux, lui dit-il, et vous avez les vôtres :
Unissons-les, mon frère, ils seront moins affreux.
Hélas! dit le perclus, vous ignorez, mon frère,
Que je ne puis faire un seul pas;
Vous-même vous n'y voyez pas;

A quoi nous servirait d'unir notre misère ?
A quoi? répond l'aveugle, écoutez: à nous deux
Nous possédons le bien à chacun nécessaire;
J'ai des jambes, et vous des yeux:

Moi, je vais vous porter; vous, vous serez mon guide:
Vos yeux dirigeront mes pas mal assurés;

Mes jambes, à leur tour, iront où vous voudrez.
Ainsi, sans que jamais notre amitié décide
Qui de nous deux remplit le plus utile emploi,
Je marcherai pour vous, vous y verrez pour moi.

FABLE XIX.

L'ENFANT ET LE DATTIER.

Non loin des rochers de l'Atlas,

Au milieu des déserts où cent tribus errantes
Promènent au hasard leurs chameaux et leurs tentes,
Un jour certain enfant précipitait ses pas.
C'était le jeune fils de quelque musulmane
Qui s'en allait en caravane.

Quand sa mère dormait, il courait le pays.
Dans un ravin profond, loin de Faride plaine,
Notre enfant trouve une fontaine,

Auprès un beau dattier tout couvert de ses fruits.
O quel bonheur ! dit-il, ces dattes, cetté eau claire,
M'appartiennent; sans moi, dans ce lieu solitaire,
Ces trésors cachés, inconnus,
Demeuraient à jamais perdus.

Je les ai découverts, ils sont ma récompense.
Parlant ainsi, l'enfant vers le dattier s'élance
Et jusqu'à son sommet tâche de se hisser.
L'entreprise était périlleuse;
L'écorce tantôt nue, et tantôt raboteuse,
Lui déchirait les mains ou les faisait glisser.
Deux fois il retomba; mais, d'une ardeur nouvelle,
Il recommence de plus belle

Et parvient enfin, haletant,
A ces fruits qu'il désirait tant.
Il se jette alors sur les dattes,

Se tenant d'une main, de l'autre fourrageant,
Et mangeant

Sans choisir les plus délicates.
Tout-à-coup voilà notre enfant
Qui réfléchit et qui descend.

11 court chercher sa bonne mère
Prend avec lui son jeune frère,

Les conduit au dattier. Le cadet incliné,
S'appuyant au tronc qu'il embrasse,
Présente son dos à l'aîné;

L'autre y monte, et de cette place,

Libre de ses deux bras, sans efforts, sans danger, Cueille et jette les fruits; la mère les ramasse,

Puis sur un linge blanc prend soin de les ranger.
La récolte achevée, et la nappe étant mise,
Les deux frères tranquillement,

Souriant à leur mère au milieu d'eux assise,
Viennent au bord de l'eau faire un repas charmant.

De la société ceci nous peint l'image:

Je ne connais de biens que ceux que l'on partage. Cœurs dignes de sentir le prix de l'amitié, Retenez cet ancien adage:

Le tout ne vaut pas la moitié.

FABLE XX.

LE CROCODILE ET L'ESTUrgeon.

Sur la rive du Nil un jour deux beaux enfans
S'amusaient à faire sur l'onde,

Avec des cailloux plats, ronds, légers et tranchans,
Les plus beaux ricochets du monde.
Un crocodile affreux arrive entre deux eaux,
S'élance tout-à-coup, happe l'un des marmots,
Qui crie, et disparaît dans sa gueule profonde.
L'autre fuit, en pleurant son pauvre compagnon.
Un honnête et digne esturgeon,
Témoin de cette tragédie,

S'éloigne avec horreur, se cache au fond des flots;
Mais bientôt il entend le coupable amphibie
Gémir et pousser des sanglots:

Le monstre a des remords, dit-il: 6 Providence!
Tu venges souvent l'innocence;
Pourquoi ne la sauves-tu pas ?

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