Armé de diamant, qui tenta cette route, Et le premier osa l'abîme défier!
Celui-ci, pendant son voyage,
Tourna les yeux vers son village
Plus d'une fois, essuyant les dangers Des pirates, des vents, du calme et des rochers, Ministres de la Mort: avec beaucoup de peines On s'en va la chercher en des rives lointaines, La trouvant assez tôt sans quitter la maison. L'homme arrive au Mogol: on lui dit qu'au Japon La fortune pour lors distribuait ses grâces. Il y court. Les mers étaient lasses De le porter: et tout le fruit
Qu'il tira de ses longs voyages,
Ce fut cette leçon que donnent les sauvages: Demeure en ton pays, par la nature instruit. Le Japon ne fut pas plus heureux à cet homme Que le Mogol l'avait été :
Ce qui lui fit conclure en somme Qu'il avait à grand tort son village quitté. Il renonce aux courses ingrates, Revient en son pays, voit de loin ses pénates, Pleure de joie, et dit: Heureux qui vit chez soi, De régler ses désirs faisant tout son emploi ! Il ne sait que par ouï-dire
Ce que c'est que la cour, la mer, et ton empire, Fortune, qui nous fais passer devant les yeux Des dignités, des biens, que jusqu'au bout du monde On suit, sans que l'effet aux promesses réponde. Désormais je ne bouge, et ferai cent fois mieux. En raisonnant de cette sorte
Et contre la Fortune ayant pris ce conseil,
Il la trouve assise à la porte De son ami, plongé dans un profond sommeil.
LA MORT ET LE MOURANT.
La Mort ne surprend point le sage; Il est toujours prêt à partir,
S'étant su lui-même avertir
Du temps où l'on se doit résoudre à ce passage. Ce temps, hélas ! embrasse tous les temps: Qu'on le partage en jours, en heures, en momens, Il n'en est point qu'il ne comprenne Dans le fatal tribut: tous sont de son domaine; Et le premier instant où les enfans des rois Ouvrent les yeux à la lumière Est celui qui vient quelquefois Fermer pour toujours leur paupière. Défendez-vous par la grandeur;
Alléguez la beauté, la vertu, la jeunesse ; La mort ravit tout sans pudeur: Un jour le monde entier accroîtra sa richesse. Il n'est rien de moins ignoré;
Et, puisqu'il faut que je le die, Rien où l'on soit moins préparé.
Un mourant, qui comptait plus de cent ans de vie, Se plaignait à la Mort que précipitamment Elle le contraignait de partir tout-à-l'heure, Sans qu'il eût fait son testament,
Sans l'avertir au moins. Est-il juste qu'on meure Au pied levé? dit-il: attendez quelque peu;
Ma femme ne veut pas que je parte sans elle; Il me reste à pourvoir un arrière-neveu ; Souffrez qu'à mon logis j'ajoute encore une aile. Que vous êtes pressante, ô déesse cruelle! Vieillard, lui dit la Mort, je ne t'ai point surpris. Tu te plains sans raison de mon impatience: Eh! n'as-tu pas cent ans? Trouve-moi dans Paris Deux mortels aussi vieux; trouve-m'en dix en France. Je devais, ce dis-tu, te donner quelque avis Qui te disposât à la chose:
J'aurais trouvé ton testament tout fait, Ton petit-fils pourvu, ton bâtiment parfait. Ne te donna-t-on pas des avis, quand la cause Du marcher et du mouvement,
Quand les esprits, le sentiment,
Quand tout faillit en toi? Plus de goût, plus d'ouïe ; Toute chose pour toi semble être évanouie; Pour toi l'astre du jour prend des soins superflus : Tu regrettes des biens qui ne te touchent plus. Je t'ai fait voir tes camarades,
Ou morts, ou mourans, ou malades: Qu'est-ce que tout cela, qu'un avertissement? Allons, vieillard, et sans réplique. Il n'importe à la république
Que tu fasses ton testament.
La Mort avait raison: je voudrais qu'à cet âge On sortît de la vie ainsi que d'un banquet, Remerciant son hôte; et qu'on fît son paquet: Car de combien peut-on retarder le voyage? Tu murmures, vieillard! vois ces jeunes mourir ; Vois-les marcher, vois-les courir
A des morts, il est vrai, glorieuses et belles, Mais sûres cependant, et quelquefois cruelles. J'ai beau te le crier; mon zèle est indiscret: Le plus semblable aux morts meurt le plus à regret.
LE RIEUR ET LES POISSONS.
On cherche les rieurs; et moi je les évite. Cet art veut, sur tout autre, un suprême mérite : Dieu ne créa que pour les sots
Les méchans diseurs de bons mots. J'en vais peut-être en une fable Introduire un peut-être aussi
Que quelqu'un trouvera que j'aurai réussi.
Un rieur était à la table
D'un financier, et n'avait en son coin Que de petits poissons: tous les gros étaient loin. Il prend donc les menus, puis leur parle à l'oreille; Et puis il feint, à la pareille,
D'écouter leur réponse. On demeura surpris: Cela suspendit les esprits.
Le rieur alors, d'un ton sage,
Dit qu'il craignait qu'un sien ami, Pour les grandes Indes parti,
N'eût depuis un an fait naufrage.
Il s'en informait donc à ce menu fretin:
Mais tous lui répondaient qu'ils n'étaient pas d'un âge A savoir au vrai son destin;
Les gros en sauraient davantage.
N'en puis-je donc, messieurs, un gros interroger? De dire si la compagnie
Prit goût à sa plaisanterie,
J'en doute: mais enfin il les sut engager
A lui servir d'un monstre assez vieux pour lui dire Tous les noms des chercheurs de mondes inconnus Qui n'en étaient pas revenus,
Et que depuis cent ans sous l'abîme avaient vus Les anciens du vaste empire.
LE TRÉSOR ET LES DEUX HOMMES.
Un homme n'ayant plus ni crédit ni ressource, Et logeant le diable en sa bourse, C'est-à-dire n'y logeant rien, S'imagina qu'il ferait bien
De se pendre, et finir lui-même sa misère, Puisque aussi bien sans lui la faim le viendrait faire: Genre de mort qui ne duit pas
A gens peu curieux de goûter le trépas. Dans cette intention une vieille masure Fut la scène où devait se passer l'aventure: Il y porte une corde; et veut avec un clou Au haut d'un certain mur attacher le licou. La muraille, vieille et peu forte,
S'ébranle aux premiers coups, tombe avec un trésor. Notre désespéré le ramasse, et l'emporte; Laisse là le licou, s'en retourne avec l'or,
Sans compter: ronde ou non, la somme plut au sire, Tandis que le galant à grands pas se retire,
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