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Et payant de raisons le Raminagrobis :
Laissez-moi vivre ; une souris
De ma taille et de ma dépense
Est-elle à charge en ce logis ?
Affamerais-je, à votre avis,

L'hôte, l'hôtesse, et tout leur monde?
D'un grain de blé je me nourris ;
Une noix me rend toute ronde.

A présent je suis maigre; attendez quelque temps:
Réservez ce repas à messieurs vos enfans.
Ainsi parlait au chat la souris attrapée.

L'autre lui dit: Tu t'es trompée :

Est-ce à moi que l'on tient de semblables discours?
Tu gagnerais autant de parler à des sourds.
Chat, et vieux, pardonner! cela n'arrive guères.
Selon ces lois, descends la-bas,
Meurs, et va-t'en tout de ce pas
Haranguer les sœurs filandières :

Mes enfans trouveront assez d'autres repas.
Il tint parole. Et pour ma fable
Voici le sens moral qui peut y convenir :

La jeunesse se flatte, et croit tout obtenir;
La vieillesse est impitoyable.

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Le paon se plaignait à Junon : Déesse, disait-il, ce n'est pas sans raison

Que je me plains, que je murmure;
Le chant dont vous m'avez fait don
Déplaît à toute la nature :

Au lieu qu'un rossignol, chétive créature,
Forme des sons aussi doux qu'éclatans,
Est lui seul l'honneur du printemps.
Junon répondit, en colère:

Oiseau jaloux, et qui devrais te taire,
Est-ce à toi d'envier la voix du rossignol,
Toi que l'on voit porter à l'entour de ton col
Un arc-en-ciel nué de cent sortes de soies;
Qui te panades, qui déploies

Une si riche queue, et qui semble à nos yeux
La boutique d'un lapidaire !

Est-il quelque oiseau sous les cieux
Plus que toi capable de plaire ?

Tout animal n'a pas toutes propriétés.
Nous vous avons donné diverses qualités :
Les uns ont la grandeur et la force en partage;
Le faucon est léger, l'aigle plein de courage,
Le corbeau sert pour le présage,

La corneille avertit des malheurs à venir,

Tous sont contens de leur ramage. Cesse donc de te plaindre; ou bien, pour te punir, Je t'ôterai ton plumage.

FABLE LXXII.

L'IVROGNE ET SA FEMME.

Chacun a son défaut, où toujours il revient:

Honte ni peur n'y remédie.
Sur ce propos, d'un conte il me souvient:
Je ne dis rien que je n'appuie

De quelque exemple. Un suppôt de Bacchus
Altérait sa santé, son esprit et sa bourse :
Telles gens n'ont pas fait la moitié de leur course,
Qu'ils sont au bout de leurs écus.

Un jour que celui-ci, plein du jus de la treille,
Avait laissé ses sens au fond d'une bouteille,
Sa femme l'enferma dans un certain tombeau.
Là, les vapeurs du vin nouveau

Cuvèrent à loisir. A son réveil il treuve
L'attirail de la mort à l'entour de son corps,
Un luminaire, un drap des morts.

Oh! dit-il, qu'est ceci? Ma femme est-elle veuve?
Là-dessus son épouse, en habit d'Alecton,
Masquée, et de sa voix contrefaisant le ton,
Vient au prétendu mort, approche de sa bière,
Lui présente un chaudeau propre pour Lucifer.
L'époux alors ne doute en aucune manière
Qu'il ne soit citoyen d'enfer.

Quelle personne es-tu? dit-il à ce fantôme.
La cellérière du royaume

De Satan, reprit-elle ; et je porte à manger
A ceux qu'enclôt la tombe noire.
Le mari repart, sans songer:
Tu ne leur portes point à boire?

FABLE LXXIII.

LES LOUPS ET LES BREBIS.

Après mille ans et plus de guerre déclarée,
Les loups firent la paix avecque les brebis.
C'était apparemment le bien des deux partis :
Car, si les loups mangeaient mainte bête égarée,
Les bergers de leur peau se faisaient maints habits.
Jamais de liberté, ni pour les pâturages,

Ni d'autre part pour les carnages:

Ils ne pouvaient jouir, qu'en tremblant, de leurs biens.
La paix se conclut donc : on donne des ôtages;
Les loups, leurs louveteaux; et les brebis, leurs chiens.
L'échange en étant fait aux formes ordinaires,
Et réglé par des commissaires,

Au bout de quelque temps que messieurs les louvats
Se virent loups parfaits et friands de tuerie,
Ils vous prennent le temps que dans la bergerie
Messieurs les bergers n'étaient pas,
Etranglent la moitié des agneaux les plus gras,
Les emportent aux dents, dans les bois se retirent.
Ils avaient averti leurs gens secrètement.

Les chiens, qui, sur leur foi, reposaient sûrement,
Furent étranglés en dormant:

Cela fut sitôt fait, qu'à peine ils le sentirent.
Tout fut mis en morceaux; un seul n'en échappa.

Nous pouvons conclure de là

Qu'il faut faire aux méchans guerre continuelle.
La paix est fort bonne de soi;

J'en conviens: mais de quoi sert-elle
Avec des ennemis sans foi?

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Dans un bois où chantait la pauvre Philomèle.
Ma sœur, lui dit Progné, comment vous portez-vous ?
Voici tantôt mille ans que l'on ne vous a vue:
Je ne me souviens point que vous soyez venue,
Depuis le temps de Thrace, habiter parmi nous.
Dites-moi, que pensez-vous faire ?
Ne quitterez-vous point ce séjour solitaire ?
Ah! reprit Philomèle, en est-il de plus doux ?
Progné lui repartit: Eh quoi! cette musique,
Pour ne chanter qu'aux animaux,

Tout au plus à quelque rustique !
Le désert est-il fait pour des talens si beaux ?
Venez faire aux cités éclater leurs merveilles :
Aussi bien, en voyant les bois,

Sans cesse il vous souvient que Térée autrefois,
Parmi des demeures pareilles,

Exerça sa fureur sur vos divins appas.
Et c'est le souvenir d'un si cruel outrage
Qui fait, reprit sa sœur, que je ne vous suis pas :
En voyant les hommes, hélas !

Il m'en souvient bien davantage.

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