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Apres les béliers, les moutons;

Tout est en l'air, tout saute; et Colas les excite
En s'applaudissant du moyen.

Les béliers, les moutons sautèrent assez bien:
Mais les brebis vinrent ensuite,

Les agneaux,

les vieillards, les faibles, les peureux,
Les mutins, corps toujours nombreux,
Qui refusaient le saut ou sautaient de colère,
Et, soit faiblesse, soit dépit,

Se laissaient choir dans la rivière.
Il s'en noya le quart; un autre quart s'enfuit,
Et sous la dent du loup périt.

Colas, réduit à la misère,

S'aperçut, mais trop tard, que pour un bon pasteur, Le plus court n'est pas le meilleur.

FABLE XIII.

LA CARPE ET LES CARPILLONS.

Prenez garde, mes fils, côtoyez moins le bord,
Suivez le fond de la rivière;
Craignez la ligne meurtrière,

Ou l'épervier plus dangereux encor.
C'est ainsi que parlait une carpe de Seine
A de jeunes poissons qui l'écoutaient à peine.
C'était au mois d'avril: les neiges, les glaçons,
Fondus par les zéphyrs, descendaient des montagnes ;
Le fleuve enflé par eux s'élève à bouillons,

gros

Et déborde dans les campagnes.
Ah! ah! criaient les carpillons,

Qu'en dis-tu, carpe radoteuse?
Crains-tu pour nous les hameçons?

Nous voilà citoyens de la mer orageuse;
Regarde: on ne voit plus que les eaux et le ciel,
Les arbres sont cachés sous l'onde,

Nous sommes les maîtres du monde,
C'est le déluge universel.

Ne croyez pas cela, répond la vieille mère;
Pour que l'eau se retire il ne faut qu'un instant:
Ne vous éloignez point, et, de peur d'accident,
Suivez, suivez toujours le fond de la rivière.
Bah! disent les poissons, tu répètes toujours
Même discours.

Adieu, nous allons voir notre nouveau domaine.
Parlant ainsi, nos étourdis

Sortent tous du lit de la Seine,

Et s'en vont dans les eaux qui couvrent le pays;
Qu'arriva-t-il? Les eaux se retirèrent,
Et les carpillons demeurèrent;
Bientôt ils furent pris %
Et frits.

Pourquoi quittaient-ils la rivière ?
Pourquoi? Je le sais trop, hélas !

C'est qu'on se croit toujours plus sage que sa mère,
C'est qu'on veut sortir de sa sphère,

C'est que... c'est que... Je ne finirais pas.

FABLE XIV.

LES ENFANS ET LES PERDREAUX.

Deux enfans d'un fermier, gentils, espiègles, beaux,
Mais un peu gâtés par leur père,
Cherchant des nids dans leur enclos,
Trouvèrent de petits perdreaux

Qui voletaient après leur mère.

Vous jugez de leur joie, et comment mes bambins
A la troupe qui s'éparpille

Vont partout couper les chemins,
Et n'ont pas assez de leurs mains
Pour prendre la pauvre famille!

La perdrix, traînant l'aile, appelant ses petits,
Tourne en vain, voltige, s'approche;
Déjà mes jeunes étourdis

Ont toute sa couvée en poche.

Ils veulent partager, comme de bons amis;
Chacun en garde six, il en reste un treizième:
L'aîné le veut, l'autre le veut aussi.

-Tirons au doigt mouillé.-Parbleu non.-Parbleu si,
-Cède, ou bien tu verras.-Mais tu verras toi-même.
De propos en propos, l'ainé, peu patient,
Jette à la tête de son frère

Le perdreau disputé. Le cadet, en colère,
D'un des sien's riposte à l'instant.

L'aîné recommence d'autant;

Et ce jeu qui leur plaît couvre autour d'eux la terre
De pauvres perdreaux palpitans.

Le fermier, qui passait en revenant des champs,
Voit ce spectacle sanguinaire,

Accourt, et dit à ses enfans:

Comment donc! petits rois, vos discordes cruelles
Font que tant d'innocens expirent par vos coups!
De quel droit, s'il vous plaît, dans vos tristes querelles,
Faut-il que l'on meure pour vous?

FABLE XV.

LE POISSON VOLANT.

Certain poisson volant, mécontent de son sort,
Disait à sa vieille grand'mère:

Je ne sais comment je dois faire
Pour me préserver de la mort.

De nos aigles marins je redoute la serre
Quand je m'élève dans les airs;

Et les requins me font la guerre
Quand je me plonge au fond des mers.

La vieille lui répond: Mon enfant, dans ce monde,
Lorsqu'on n'est pas aigle ou requin,
Il faut tout doucement suivre un petit chemin,
En nageant près de l'air, et volant près de l'onde.

FABLE XVI.

L'ANÉ ET la flute.

Les sots sont un peuple nombreux,
Trouvant toutes choses faciles :

Il faut le leur passer, souvent ils sont heureux;
Grand motif de se croire habiles.

Un âne, en broutant ses chardons,

Regardait un pasteur jouant, sous le feuillage,
D'une flûte dont les doux sons

Attiraient et charmaient les bergers du bocage.
Cet âne mécontent disait: Ce monde est fou!
Les voilà tous, bouche béante,

Admirant un grand sot qui sue et se tourmente
A souffler dans un petit trou.

C'est par de tels efforts qu'on parvient à leur plaire,
Tandis que moi... Suffit... Allons-nous-en d'ici,
Car je me sens trop en colère.
Notre âne, en raisonnant ainsi,
Avance quelques pas, lorsque, sur la fougère,
Une flûte, oubliée en ces champêtres lieux
Par quelque pasteur amoureux,

Se trouve sous ses pieds. Notre âne se redresse,
Sur elle de côté fixe ses deux gros yeux;
Une oreille en avant, lentement il se baisse,
Applique son naseau sur le pauvre instrument,
Et souffle tant qu'il peut. O hasard incroyable!
Il en sort un son agréable.

L'âne se croit un grand talent,

Et, tout joyeux, s'écrie, en faisant la culbute:
Eh! je joue aussi de la flâte.

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