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FABLE LXVI.

LE SOLEIL ET LES GRENOUILLES.

Aux noces d'un tyran tout le peuple en liesse
Noyait son souci dans les pots.
Esope seul trouvait que les gens étaient sots
De témoigner tant d'alégresse.

Le Soleil, disait-il, eut dessein autrefois
De songer à l'hyménée.
Aussitôt on ouit, d'une commune voix,
Se plaindre de leur destinée
Les citoyennes des étangs.

Que ferons-nous, s'il lui vient des enfans?
Dirent-elles au Sort: un seul Soleil à peine
Se peut souffrir; une demi-douzaine
Mettra la mer à sec et tous ses habitans.
Adieu joncs et marais: notre race est détruite;
Bientôt on la verra réduite

A l'eau du Styx. Pour un pauvre animal,
Grenouilles, à mon sens ne raisonnaient pas mal.

FABLE LXVII.

LE CHARRETIER EMBOURbé.

Le Phaéton d'une voiture à foin

Vit son char embourbé. Le pauvre homme était loin De tout humain secours : c'était à la campagne, Près d'un certain canton de la Basse-Bretagne, Appelé Quimper-Corentin,

On sait assez que le Destin

Adresse là les gens quand il veut qu'on enrage.
Dieu nous préserve du voyage!

Pour venir au chartier embourbé dans ces lieux,
Le voilà qui déteste et jure de son mieux,
Pestant en sa fureur extrême,

Tantôt contre les trous, puis contre ses chevaux,
Contre son char, contre lui-même.

Il invoque à la fin le dieu dont les travaux
Sont si célèbres dans le monde:
Hercule, lui dit-il, aide-moi; si ton dos
A porté la machine ronde,
Ton bras peut me tirer d'ici.

Sa prière étant faite, il entend dans la nue
Une voix qui lui parle ainsi :
Hercule veut qu'on se remue;

Puis il aide les gens. Regarde d'où provient
L'achoppement qui te retient;
Ote d'autour de chaque roue

Ce malheureux mortier, cette maudite boue
Qui jusqu'à l'essieu les enduit ;

Prends ton pic, et me romps ce caillou qui te nuit;
Comble-moi cette ornière. As-tu fait ? Oui, dit l'homme.
Or bien je vais t'aider, dit la voix : prends ton fouet.
Je l'ai pris... Qu'est ceci ! mon char marche à souhait!
Hercule en soit loué! Lors la voix: Tu vois comme
Tes chevaux aisément se sont tirés de là.

Aide-toi, le ciel t'aidera.

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Se croire un personnage est fort commun en France:
On y fait l'homme d'importance,
Et l'on n'est souvent qu'un bourgeois.
C'est proprement le mal françois :

La sotte vanité nous est particulière.

Les Espagnols sont vains, mais d'une autre manière :
Leur orgueil me semble, en un mot,
Beaucoup plus fou, mais pas si sot.
Donnons quelque image du nôtre,
Qui sans doute en vaut bien un autre.

Un rat des plus petits voyait un éléphant
Des plus gros, et raillait le marcher un peu lent
De la bête de haut parage,

Qui marchait à gros équipage.

Sur l'animal à triple étage

Une sultane de renom,

Son chien, son chat, et sa guenon,

Son perroquet, sa vieille, et toute sa maison,
S'en allait en pélerinage.

Le rat s'étonnait que les gens

Fussent touchés de voir cette pesante masse :
Comme si d'occuper ou plus ou moins de place
Nous rendait, disait-il, plus ou moins importans.
Mais qu'admirez-vous tant en lui, vous autres hommes?
Serait-ce ce grand corps qui fait peur aux enfans?
Nous ne nous prisons pas, tout petits que nous sommes,
D'un grain moins que les éléphans.

Il en aurait dit davantage;

Mais le chat, sortant de sa cage,
Lui fit voir en moins d'un instant
Qu'un rat n'est pas un éléphant.

FABLE LXIX.

LE LOUP ET LE RENARD.

Mais d'où vient qu'au renard Esope accorde un point,
C'est d'exceller en tours pleins de matoiserie?
J'en cherche la raison, et ne la trouve point.
Quand le loup a besoin de défendre sa vie,
Ou d'attaquer celle d'autrui,

N'en sait-il pas autant que lui?

Je crois qu'il en sait plus; et j'oserais peut-être
Avec quelque raison contredire mon maître.
Voici pourtant un cas où tout l'honneur échut
A l'hôte des terriers. Un soir il aperçut
La lune au fond d'un puits : l'orbiculaire image
Lui parut un ample fromage.
Deux seaux alternativement
Puisaient le liquide élément :

Notre renard, pressé par une faim canine,
S'accommode en celui qu'au haut de la machine
L'autre seau tenait suspendu.

Voilà l'animal descendu,

Tiré d'erreur, mais fort en peine,
Et voyant sa perte prochaine :

Car comment remonter, si quelqu'autre affamé,
De la même image charmé,

Et succédant à sa misère,

Par le même chemin ne le tirait d'affaire ?

Deux jours s'étaient passés sans qu'ancun vînt au puits.
Le temps, qui toujours marche, avait pendant deux nuits
Echancré, selon l'ordinaire,

De l'astre au front d'argent la face circulaire.
Sire renard était désespéré.
Compère loup, le gosier altéré,

Passe par-là. L'autre dit: Camarade,

Je veux vous régaler; voyez-vous cet objet ?
C'est un fromage exquis. Le dieu Faune l'a fait:
La vache Io donna le lait.
Jupiter, s'il était malade,

Reprendrait l'appétit en tâtant d'un tel mets.
J'en ai mangé cette échancrure;

Le reste vous sera suffisante pâture.
Descendez dans un seau que j'ai là mis exprès.
Bien qu'au moins mal qu'il put il ajustât l'histoire,
Le loup fut un sot de le croire:

Il descend; et son poids, emportant l'autre part,
Reguinde en haut maître renard.

Ne nous en moquons point: nous nous laissons séduire
Sur aussi peu de fondement;

Et chacun croit fort aisément
Ce qu'il craint et ce qu'il désire.

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LE VIEUX CHAT ET LA JEUNE SOURIS

Une jeune souris, de peu d'expérience,
Crut fléchir un vieux chat, implorant sa clémence,

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