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Il répondit: Je n'y demande rien.
Une d'argent succède à la première :
Il la refuse. Enfin une de bois.
Voilà, dit-il, la mienne cette fois :
Je suis content si j'ai cette dernière.
Tu les auras, dit le dieu, toutes trois:
Ta bonne foi sera récompensée.
En ce cas-là je les prendrai, dit-il.
L'histoire en est aussitôt dispersée:
Et boquillons de perdre leur outil,
Et de crier pour se le faire rendre.
Le roi des dieux ne sait auquel entendre.
Son fils Mercure aux criards vient encor:
A chacun d'eux il en montre une d'or.
Chacun eût cru passer pour une bête
De ne pas dire aussitôt: La voilà!
Mercure, au lieu de donner celle-là,
Leur en décharge un grand coup sur la tête.

Ne point mentir, être content du sien,
C'est le plus sûr: cependant on s'occupe
A dire faux pour attraper du bien.
Que sert cela? Jupiter n'est pas dupe.

FABLE LXII.

LE LIVRE ET LA PERDRIX.

Il ne se faut jamais moquer des misérables:
Car qui peut s'assurer d'être toujours heureux ?
Le sage Esope dans ses fables

Nous en donne un exemple ou deux.

Celui qu'en ces vers je propose,

Et les siens, ce sont même chose.

Le lièvre et la perdrix, concitoyens d'un champ, Vivaient dans un état, ce semble, assez tranquille; Quand une meute, s'approchant,

Oblige le premier à chercher un asile :

Il s'enfuit dans son fort, met les chiens en défaut, Sans même en excepter Brifaut.

Enfin il se trahit lui-même

Par les esprits sortant de son corps échauffé.
Miraut, sur leur odeur ayant philosophé,
Conclut que c'est son lièvre, et d'une ardeur extrême
Il le pousse; et Rustaut, qui n'a jamais menti,
Dit que le lièvre est reparti.

Le pauvre malheureux vient mourir à son gîte.
La perdrix le raille, et lui dit :

Tu te vantais d'être si vite!

Qu'as-tu fait de tes pieds? Au moment qu'elle rit, Son tour vient, on la trouve.

Elle croit que ses ailes

La sauront garantir à toute extrémité:
Mais la pauvrette avait compté
Sans l'autour aux serres cruelles.

FABLE LXIII.

LE LION S'EN ALLANT EN GUERRE.

Le lion dans sa tête avait une entreprise :
Il tint conseil de guerre, envoya ses prévôts,
Fit avertir les animaux.

Tous furent du dessein, chacun selon sa guise:
L'éléphant devait sur son dos

Porter l'attirail nécessaire,
Et combattre à son ordinaire ;
L'ours s'apprêter pour les assauts;

Le renard ménager de secrètes pratiques;
Et le singe amuser l'ennemi par ses tours.
Renvoyez, dit quelqu'un, les ânes, qui sont lourds,
Et les lièvres, sujets à des terreurs paniques.
Point du tout, dit le roi; je les veux employer:
Notre troupe sans eux ne serait pas complète.
L'âne effraîra les gens, nous servant de trompette ;
Et le lièvre pourra nous servir de courrier.

Le

monarque prudent et sage De ses moindres sujets sait tirer quelque usage, Et connaît les divers talens.

Il n'est rien d'inutile aux personnes de sens.

FABLE LXIV.

LE COCHET, LE CHAT ET LE SOURICEAU.

Un souriceau tout jeune, et qui n'avait rien vu,
Fut presque pris au dépourvu.

Voici comme il conta l'aventure à sa mère.

J'avais franchi les monts qui bornent cet état,
Et trottais comme un jeune rat

Qui cherche à se donner carrière,
Lorsque deux animaux m'ont arrêté les yeux :
L'un doux, benin et gracieux :

Et l'autre turbulent et plein d'inquiétude ;
Il a la voix perçante et rude,

Sur la tête un morceau de chair,

Une sorte de bras dont il s'élève en l'air
Comme pour prendre sa volée,
La queue en panache étalée.

Or, c'était un cochet dont notre souriceau
Fit à sa mère le tableau,

Comme d'un animal venu de l'Amérique.
Il se battait, dit-il, les flancs avec ses bras,
Faisant tel bruit et tel fracas,

Que moi, qui grâce aux dieux de courage me pique,
En ai pris la fuite de peur,

Le maudissant de très bon cœur.
Sans lui j'aurais fait connaissance

Avec cet animal qui m'a semblé si doux :
Il est velouté comme nous,

Marqueté, longue queue, une humble contenance,
Un modeste regard, et pourtant l'œil luisant.
Je le crois fort sympathisant

Avec messieurs les rats: car il a des oreilles
En figure aux nôtres pareilles.

Je l'allais aborder, quand d'un son plein d'éclat
L'autre m'a fait prendre la fuite.

Mon fils, dit la souris, ce doucet est un chat,
Qui, sous son minois hypocrite,

Contre toute ta parenté

D'un malin vouloir est porté.

L'autre animal, tout au contraire,

Bien éloigné de nous malfaire,

Servira quelque jour peut-être à nos repas.
Quant au chat, c'est sur nous qu'il fonde sa cuisine.

Garde-toi, tant que tu vivras,

De juger des gens sur la mine.

FABLE LXV.

LE CERF SE VOYANT DANS L'EAU.

Dans le cristal d'une fontaine
Un cerf se mirant autrefois
Louait la beauté de son bois,
Et ne pouvait qu'avecque peine
Souffrir ses jambes de fuseaux,

Dont il voyait l'objet se perdre dans les eaux.
Quelle proportion de mes pieds à ma tête!
Disait-il, en voyant leur ombre avec douleur:
Des taillis les plus hauts mon front atteint le faîte;
Mes pieds ne me font point d'honneur.
Tout en parlant de la sorte,

Un limier le fait partir.

Il tâche à se garantir;

Dans les forêts il s'emporte:
Son bois, dommageable ornement,
L'arrêtant à chaque moment,
Nuit à l'office que lui rendent

Ses pieds, de qui ses jours dépendent.

Il se dédit alors, et maudit les présens
Que le ciel lui fait tous les ans.

Nous faisons cas du beau, nous méprisons l'utile:
Et le beau souvent nous détruit,
Ce cerf blâme ses pieds qui le rendent agile;
Il estime un bois qui lui nuit.

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