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Au savant,

Vous vous croyez considérable :

Mais, dites-moi, tenez-vous table?

Que sert à vos pareils de lire incessamment ?
Ils sont toujours logés à la troisième chambre,
Vêtus au mois de juin comme au mois de décembre,
Ayant pour tout laquais leur ombre seulement.
La république a bien affaire

De gens qui ne dépensent rien !

Je ne sais d'homme nécessaire

Que celui dont le luxe épand beaucoup de bien.
Nous en usons, Dieu sait! notre plaisir occupe
L'artisan, le vendeur, celui qui fait la jupe
Et celle qui la porte, et vous qui dédiez

A messieurs les gens de finance
De méchans livres bien payés.
Ces mots remplis d'impertinence
Eurent le sort qu'ils méritaient.

L'homme lettré se tut; il avait trop à dire.
La guerre le vengea bien mieux qu'une satire.
Mars détruisit le lieu que nos gens habitaient :
L'un et l'autre quitta la ville.
L'ignorant resta sans asile;

Il reçut partout des mépris:

L'autre reçut partout quelque faveur nouvelle.
Cela décida leur querelle.

Laissez dire les sots: Le savoir a son prix.

FABLE L.

LE GLAND ET LA CITROUILLE.

Dieu fait bien ce qu'il fait. Sans en chercher la preuve
En tout cet univers, et l'aller parcourant,
Dans les citrouilles je la treuve.

Un villageois, considérant

Combien ce fruit est gros et sa tige menue:
A quoi sangeait, dit-il, l'auteur de tout cela ?
Il a bien mal placé cette citrouille-la!

Hé parbleu! je l'aurais pendue

A l'un des chênes que voilà;
C'eût été justement l'affaire :

Tel fruit, tel arbre, pour bien faire.

C'est dommage, Garo, que tu n'es point entré
Au conseil de celui que prêche ton curé;

Tout en eût été mieux: car pourquoi, par exemple,
Le gland, qui n'est pas gros comme mon petit doigt,
Ne pend-il pas en cet endroit ?

Dieu s'est mépris: plus je contemple
Ces fruits ainsi placés, plus il semble à Garo
Que l'on a fait un quiproquo.

Cette réflexion embarrassant notre homme:
On ne dort point, dit-il, quand on a tant d'esprit.,
Sous un chêne aussitôt il va prendre son somme.
Un gland tombe: le nez du dormeur en pâtit.
Il s'éveille; et, portant la main sur son visage,
Il trouve encor le gland pris au poil du menton.
Son nez meurtri le force à changer de langage.
Oh! oh! dit-il, je saigne! Et que serait-ce donc
S'il fût tombé de l'arbre une masse plus lourde,

Et que ce gland eût été gourde? Dieu ne l'a pas voulu : sans doute il eut raison; J'en vois bien à présent la cause. En louant Dieu de toute chose Garo retourne à la maison.

FABLE LI.

LE FOU QUI VEND LA SAGESSE.

Jamais auprès des fous ne te mets à portée:
Je ne te puis donner un plus sage conseil.
Il n'est enseignement pareil

A celui-là, de fuir une tête éventée.

On en voit souvent dans les cours:

Le prince y prend plaisir; car ils donnent toujours Quelque trait aux fripons, aux sots, aux ridicules.

Un fol allait criant par tous les carrefours
Qu'il vendait la sagesse: et les mortels crédules
De courir à l'achat; chacun fut diligent.
On essuyait force grimaces;

Puis on avait pour son argent,

Avec un bon soufflet, un fil long de deux brasses. La plupart s'en fâchaient; mais que leur servait-il ? C'étaient les plus moqués: le mieux était de rire, Ou de s'en aller sans rien dire

Avec son soufflet et son fil.

De chercher du sens à la chose,

On se fut fait siffler ainsi qu'un ignorant.
La raison est-elle garant

De ce que fait un fou? le hasard est la cause

De tout ce qui se passe en un cerveau blessé.
Du fil et du soufflet pourtant embarrassé,
Un des dupes un jour alla trouver un sage,
Qui, sans hésiter davantage,

Lui dit: Ce sont ici hiéroglyphes tout purs:
Les gens bien conseillés, et qui voudront bien faire,
Entre eux et les gens fous mettront, pour l'ordinaire,
La longueur de ce fil; sinon je les tiens sûrs
De quelque semblable caresse.

Vous n'êtes point trompé, ce fou vend la sagesse.

FABLE LII.

L'HUITRE ET LES PLAIDEURS.

Un jour deux pélerins sur le sable rencontrent
Une huître, que le flot y venait d'apporter :
Ils l'avalent des yeux, du doigt ils se la montrent;
A l'égard de la dent, il fallut contester.
L'un se baissait déjà pour ramasser la proie;
L'autre le pousse, et dit: Il est bon de savoir
Qui de nous en aura la joie.
Celui qui le premier a pu l'apercevoir
En sera le gobeur; l'autre le verra faire.
Si par-là l'on juge l'affaire,

Reprit son compagnon, j'ai l'œil bon, Dieu merci.
Je ne l'ai pas mauvais aussi,

Dit l'autre, et je l'ai vue avant vous, sur ma vie.
Eh bien! vous l'avez vue ; et moi je l'ai sentie.
Pendant tout ce bel incident,

Perrin Dandin arrive: ils le prennent pour juge.

Perrin, fort gravement, ouvre l'huître, et la gruge,
Nos deux messieurs le regardant.

Ce repas fait, il dit, d'un ton de président :
Tenez, la cour vous donne à chacun une écaille
Sans dépens; et qu'en paix chacun chez soi s'en aille.

Mettez ce qu'il en coûte à plaider aujourd'hui ;
Comptez ce qu'il en reste à beaucoup de familles :
Vous verrez que Perrin tire l'argent à lui,
Et ne laisse aux plaideurs que le sac et les quilles.

FABLE LIII.

LE MILAN ET LE ROSSIGNOL.

Après que le milan, manifeste voleur,
Eut répandu l'alarme en tout le voisinage,
Et fait crier sur lui les enfans du village,
Un rossignol tomba dans ses mains par malheur.
Le héraut du printemps lui demande la vie.
Aussi bien, que manger en qui n'a que le son?
Écoutez plutôt ma chanson:

Je vous raconterai Térée et son envie.

Qui, Térée ? Est-ce un mets propre pour les milans ?—
Non pas c'était un roi dont les feux violens

Me firent ressentir leur ardeur criminelle.
Je m'en vais vous en dire une chanson si belle,
Qu'elle vous ravira; mon chant plait à chacun.
Le milan alors lui réplique:

Vraiment, nous voici bien! lorsque je suis à jeun,
Tu me viens parler de musique !

J'en parle bien aux rois.-Quand un roi te prendra,

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