Le ciel permit qu'un saule se trouva, Dont le branchage, après Dieu, le sauva. S'étant pris, dis-je, aux branches de ce saule, Par cet endroit passe un maître d'école; L'enfant lui crie: Au secours! je péris! Le magister, se tournant à ses cris, D'un ton fort grave, à contre-temps s'avise De le tancer: Ah! le petit babouin! Voyez, dit-il, où l'a mis sa sottise! Et puis, prenez de tels fripons le soin! Que les parens sont malheureux, qu'il faille Toujours veiller à semblable canaille! Qu'ils ont de maux! et que je plains leur sort! Ayant tout dit, il mit l'enfant à bord.
Je blâme ici plus de gens qu'on ne pense. Tout babillard, tout censeur, tout pédant, Se peut connaître au discours que j'avance. Chacun des trois fait un peuple fort grand: Le créateur en a béni l'engeance.
En toute affaire ils ne font que songer Au moyen d'exercer leur langue. Hé! mon ami, tire-moi de danger; Tu feras après ta harangue.
LES DEUX TAUREAUX ET LA GRENOUILLE.
Deux taureaux combattaient à qui posséderait Une génisse avec l'empire. Une grenouille en soupirait.
Qu'avez-vous? se mit à lui dire Quelqu'un du peuple coassant. Eh! ne voyez-vous pas, dit-elle, Que la fin de cette querelle
Sera l'exil de l'un; que l'autre, le chassant, Le fera renoncer aux campagnes fleuries ? Il ne régnera plus sur l'herbe des prairies, Viendra dans nos marais régner sur les roseaux; Et, nous foulant aux pieds jusques au fond des eaux, Tantôt l'une, et puis l'autre, il faudra qu'on pâtisse Du combat qu'a causé madame la génisse. Cette crainte était de bon sens.
L'un des taureaux en leur demeure S'alla cacher à leurs dépens:
Il en écrasait vingt par heure.
Hélas! on voit que de tout temps Les petits ont pâti des sottises des grands.
LE LION ET L'ANE CHASSANT.
Le roi des animaux se mit un jour en tête De giboyer. Il célébrait sa fête.
Le gibier du lion, ce ne sont pas moineaux, Mais beaux et bons sangliers, daims et cerfs bons et beaux. Pour réussir dans cette affaire,
Il se servit du ministère
De l'âne, à la voix de Stentor.
L'âne à messer lion fit office de cor. Le lion le posta, le couvrit de ramée,
Lui commanda de braire, assuré qu'à ce son Les moins intimidés fuiraient de leur maison. Leur troupe n'était pas encore accoutumée A la tempête de sa voix ;
L'air en retentissait d'un bruit épouvantable; La frayeur saisissait les hôtes de ces bois; Tous fuyaient, tous tombaient au piége inévitable Où les attendait le lion.
N'ai-je pas bien servi dans cette occasion ? Dit l'âne en se donnant tout l'honneur de la chasse. Oui, reprit le lion, c'est bravement crié : Si je ne connaissais ta personne et ta race J'en serais moi-même effrayé.
L'âne, s'il eût osé, se fût mis en colère, Encor qu'on le raillât avec juste raison. Car qui pourrait souffrir un âne fanfaron? Ce n'est pas là leur caractère.
LE MEUNIER, SON FILS, ET L'ANE.
J'ai lu dans quelque endroit qu'un meûnier et son fils, L'un vieillard, l'autre enfant, non pas des plus petits, Mais garçon de quinze ans, si j'ai bonne mémoire, Allaient vendre leur âne un certain jour de foire. Afin qu'il fût plus frais et de meilleur débit, On lui lia les pieds, on vous le suspendit;
Puis cet homme et son fils le portent comme un lustre. Pauvres gens! idiots! couple ignorant et rustre! Le premier qui les vit de rire s'éclata:
Quelle farce, dit-il, vont jouer ces gens-là? Le plus âne des trois n'est pas celui qu'on pense. Le meunier, à ces mots, connaît son ignorance: Il met sur pieds sa bête, et la fait détaler. L'âne, qui goûtait fort l'autre façon d'aller, Se plaint en son patois. Le meunier n'en a cure ; Il fait monter son fils, il suit; et, d'aventure, Passent trois bons marchands. Cet objet leur déplut. Le plus vieux au garçon s'écria tant qu'il put: Oh là! oh! descendez, que l'on ne vous le dise, Jeune homme, qui menez laquais à barbe grise! C'était à vous de suivre, au vieillard de monter. Messieurs, dit le meunier, il vous faut contenter. L'enfant met pied à terre, et puis le vieillard monte; Quand trois filles passant, l'une dit: C'est grand'honte Qu'il faille voir ainsi clocher ce jeune fils, Tandis que ce nigaud, comme un évêque assis, Fait le veau sur son âne, et pense être bien sage. Il n'est, dit le meunier, plus de veaux à mon âge: Passez votre chemin, la fille, et m'en croyez. Après maints quolibets coup sur coup renvoyés, L'homme crut avoir tort, et mit son fils en croupe. Au bout de trente pas, une troisième troupe
Trouve encore à gloser. L'un dit: Ces gens sont fous! Le baudet n'en peut plus; il mourra sous leurs coups. Hé quoi! charger ainsi cette pauvre bourrique! N'ont-ils point de pitié de leur vieux domestique ? Sans doute qu'à la foire ils vont vendre sa peau. Parbleu! dit le meunier, est bien fou du cerveau Qui prétend contenter tout le monde et son père. Essayons toutefois si, par quelque manière,
Nous en viendrons à bout. Ils descendent tous deux.
L'âne se prélassant marche seul devant eux. Un quidam les rencontre, et dit: Est-ce la mode Que baudet aille à l'aise, et meunier s'incommode? Qui de l'âne ou du maître est fait pour se lasser? Je conseille à ces gens de le faire enchâsser. Ils usent leurs souliers, et conservent leur âne. Nicolas, au rebours; car, quand il va voir Jeanne, Il monte sur sa bête; et la chanson le dit. Beau trio de baudets! Le meunier repartit: Je suis âne, il est vrai, j'en conviens, je l'avoue; Mais que dorénavant on me blâme, on me loue, Qu'on dise quelque chose, ou qu'on ne dise rien, J'en veux faire à ma tête. Il le fit, et fit bien
LA VIEILLE ET LES DEUX SERVANTES.
Il était une vieille ayant deux chambrières : Elles filaient si bien, que les sœurs filandières Ne faisaient que brouiller auprès de celles-ci. La vieille n'avait point de plus pressant souci Que de distribuer aux servantes leur tâche. Dès que Thétis chassait Phébus aux crins dorés, Tourets entraient en jeu, fuseaux étaient tirés, Deçà, delà, vous en aurez :
Point de cesse, point de relâche. Dès que l'Aurore, dis-je, en son char remontait, Un misérable coq à point nommé chantait: Aussitôt notre vieille, encor plus misérable, S'affublait d'un jupon crasseux et détestable,
« PreviousContinue » |