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FLORIAN.

FABLE I.

LES DEUX VOYAGEURS.

Le compère Thomas et son ami Lubin
Allaient à pied tous deux à la ville prochaine,
'Thomas trouve sur son chemin
Une bourse de Louis pleine;

Il l'empoche aussitôt. Lubin, d'un air content,
Lui dit: Pour nous la bonne aubaine!
Non, répond Thomas froidement,

Pour nous n'est pas bien dit, pour moi c'est différent.
Lubin ne souffle plus; mais, en quittant la plaine,
Ils trouvent des voleurs cachés au bois voisin.

Thomas tremblant, et non sans cause,
Dit: Nous sommes perdus! Non, lui répond Lubin,
Nous n'est pas le vrai mot; mais toi c'est autre chose.
Cela dit, il s'échappe à travers les taillis.
Immobile de peur, Thomas est bientôt pris:
Il tire la bourse et la donne.

Qui ne songe qu'à soi quand sa fortune est bonne,
Dans le malheur n'a point d'amis.

FABLE U.

LE ROSSIGNOL ET LE PRINCE.

Un jeune prince avec son gouverneur,
Se promenait dans un bocage,
Et s'ennuyait, suivant l'usage:
C'est le profit de la grandeur.
Un rossignol chantait sous le feuillage :
Le prince l'aperçoit et le trouve charmant;
Et, comme il était prince, il veut dans le moment
L'attraper et le mettre en cage.

Mais pour le prendre il fait du bruit,
Et l'oiseau fuit.

Pourquoi donc, dit alors son altesse en colère,
Le plus aimable des oiseaux

Se tient-il dans les bois, farouche et solitaire,
Tandis que mon palais est rempli de moineaux ?
C'est, lui dit le Mentor, afin de vous instruire
De ce qu'un jour vous devez éprouver:
Les sots savent tous se produire,

Le mérite se cache; il faut l'aller trouver.

FABLE III.

L'ENFANT ET LE MIROIR.

Un enfant élevé dans un pauvre village
Revint chez ses parens, et fut surpris d'y voir

Un miroir.

D'abord il aima son image ;

Et puis, par un travers bien digne d'un enfant,
Et même d'un être plus grand,

Il veut outrager ce qu'il aime,

Lui fait une grimace, et le miroir la rend.
Alors son dépit est extrême;

Il lui montre un poing menaçant,
Il se voit menacé de même.

Notre marmot fâché s'en vient, en frémissant,
Battre cette image insolente;

Il se fait mal aux mains. Sa colère en augmente;
Et, furieux, au désespoir,

Le voilà, devant ce miroir,
Criant, pleurant, frappant la glace.

Sa mère, qui survient, le console, l'embrasse,
Tarit ses pleurs, et doucement lui dit :
N'as-tu pas commencé par faire la grimace
A ce méchant enfant qui cause ton dépit?

Oui.

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Regarde à présent: tu souris, il sourit ; Tu tends vers lui les bras, il te les tend de même; Tu n'es plus en colère, il ne se fâche plus : De la société tu vois ici l'emblême;

Un avare,

Le bien, le mal, nous sont rendus.

FABLE IV.

L'AVARE ET SON FILS.

Par je ne sais quelle aventure,

un beau jour voulant se bien traiter, Au marché courut acheter

Des pommes pour sa nourriture.

Dans son armoire il les porta,

Les compta, rangea, recompta,

Ferma les doubles tours de sa double serrure,
Et chaque jour les visita.

Ce malheureux, dans sa folie,
Les bonnes pommes ménageait;

Mais, lorsqu'il en trouvait quelqu'une de pourrie,
En soupirant il la mangeait.

Son fils, jeune écolier, faisant fort maigre chère,
Découvrit à la fin les pommes de son père.
Il attrape les clefs, et va dans ce réduit,
Suivi de deux amis d'excellent appétit.
Or vous pouvez juger le dégât qu'ils y firent,
Et combien de pommes périrent!
L'avare arrive en ce moment,
De douleur, d'effroi palpitant:

Mes pommes! criait-il: coquins, il faut les rendre,
Ou je vais tous vous faire pendre.
Mon père, dit le fils, calmez-vous, s'il vous plaît;
Nous sommes d'honnêtes personnes :

Et quel tort vous avons-nous fait ?
Nous n'avons mangé que les bonnes.

FABLE V.

LA BREBIS ET LE CHIEN.

La brebis et le chien, de tous les temps amis,
Se racontaient un jour leur vie infortunée.
Ah! disait la brebis, je pleure et je frémis
Quand je songe aux malheurs de notre destinée.

Toi, l'esclave de l'homme, adorant des ingrats,
Toujours soumis, tendre et fidèle,

Tu reçois, pour prix de ton zèle,
Des coups et souvent le trépas.
Moi qui tous les ans les habille,

Qui leur donne du lait et qui fume leurs champs,
Je vois chaque matin quelqu' un de ma famille
Assassiné par ces méchans.

Leurs confrères les loups dévorent ce qui reste.
Victimes de ces inhumains,

Travailler pour eux seuls, et mourir par leurs mains,
Voilà notre destin funeste!

Il est vrai, dit le chien: mais crois-tu plus heureux
Les auteurs de notre misère ?

Va, ma sœur, il vaut encor mieux
Souffrir le mal que de le faire.

FABLE VI.

LE LIERRE ET LE THYM.

Que je te plains, petite plante!
Disait un jour le lierre au thym:
Toujours ramper, c'est ton destin;
Ta tige chétive et tremblante

Sort à peine de terre, et la mienne dans l'air,
Unie au chêne altier que chérit Jupiter,
S'élance avec lui dans la nue.

Il est vrai, dit le thym, ta hauteur m'est connue ;
Je ne puis sur ce point disputer avec toi :

Mais je me soutiens par moi-même ;

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