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Au milieu des légers travers inévitables dans une telle société, la pensée sérieuse et morale du siècle ne laissait pas de se faire jour. « C'est à fortifier le souffle divin, à ranimer la flamme céleste, que tendent aujourd'hui tous les esprits vraiment supérieurs, » écrivait un critique1. « Une génération nouvelle de littérateurs, disait un autre, cherche à rassembler dans un même foyer les rayons épars de nos saintes croyances 2.> Presque tous, il est vrai, entendaient par cette régénération le rétablissement pur et simple de l'autorité monarchique et sacerdotale. C'était alors l'opinion de V. Hugo, l'enfant sublimes, qui venait de publier ses premières Odes; de Lamartine, qui se révélait à la France par ses premières Méditations; de Lamennais, qui écrivait l'Essai sur l'indifférence, et pour qui, selon l'expression de V. Hugo, la gloire était une mission; enfin, c'est ainsi que semblait penser alors le chef glorieux de toute cette école littéraire, celui « sous l'étendard duquel il faut marcher en morale comme en poésie, en religion comme en politique, si l'on veut aller droit et loin", l'illustre Chateaubriand.

Les doctrines littéraires de la Muse française préludaient aux tentatives de réforme qui firent bientôt après tant de bruit. On n'acceptait pas franchement le nom de romantiques"; on déclarait même, et avec raison, qu'on en ignorait profondément le sens; mais on attaquait, avec non moins de justice, les poëtes imitateurs; on se permettait même de sourire de Baour-Lormian, « le plus doux des hommes, » qui, par la verdeur de ses diatribes, n'en avait pas moins mérité le surnom de classique tonnant. M. V. Hugo escarmouchait avec des épigrammes. Il comparait la poésie pseudo-classique à la jument que Roland, dans sa folie, voulait échanger contre un

4. M. V. Hugo, Muse française, t. I, p. 93.

2. M. Soumet, ibid., t II, p. 472.

3. Ainsi l'avait appelé Chateaubriand dans une note du Conservateur. 4. Muse française, t. II, p. 351.

5. Mine de Staël avait la première, en France, prononcé le mot romantique. Elle désignait ainsi la poésie a dont les chants des troubadours ont été l'origine, celle qui est née de la chevalerie et du christianisme. » On sait que ces chants avaient eu pour premier organe les langues néo-latines qu'on appelait romanes, et les poëmes écrits en ces langues et nommés pour cette

raison romans,

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jeune cheval le paladin avouait qu'elle était morte, mais, ajoutait-il, c'est là son unique défaut. Ch. Nodier décochait de spirituelles malices à l'adresse des adorateurs de la périphrase mythologique; il poursuivait Phœbé jusque sur son char d'argent, condamnait l'Aurore tout en pleurs, et gardait rancune au vieillard qui tient dans ses mains le sablier des années. M. Guiraud, dans un style plus grave, conviait la critique à proclamer, non pas de nouvelles doctrines, mais les principes éternels du vrai et du beau, fondés sur les plus anciens livres du monde, la Bible et l'Iliade. » Il saisissait avec netteté le lien qui doit unir une réforme morale et une renaissance littéraire. Nous ne doutons pas, disait-il, que notre littérature ne se ressente poétiquement de cette vie nouvelle qui anime notre société. » Toutes ces doctrines étaient admises avec plus ou moins d'hésitation et de réserve par les rédacteurs de la Muse. Tel voulait qu'on s'en tînt « au goût des Racine et des Boileau;» tel frappait Goethe et Byron d'anathème; un autre voulait qu'on se gardât des exagérations, et conseillait prudemment un juste milieu entre les excès contraires; malheureusement il oubliait de dire avec précision où il le plaçait. En un mot, les disciples de la jeune école de 1823 étaient plutôt unis par des tendances que par des idées; leurs opinions communes appartenaient moins à l'art qu'à la politique et à la religion.

A côté du parti représenté en littérature par ce cercle aristocratique, se trouvait l'opinion libérale avec ses mille nuances, depuis les restes des vieux républicains masqués en constitutionnels, jusqu'aux doctrinaires, en passant par les impérialistes. Ceci n'était point un parti; c'était une opposition d'autant plus nombreuse qu'elle était moins uniforme, et, se grossissant peu à peu, elle tendait à devenir la majorité de la nation. En littérature elle n'avait point donné naissance à une école, mais elle avait aussi ses sympathies et ses inspirations; elle se rattachait plus ou moins intimement aux traditions de Voltaire, elle sentait les douleurs et les hontes de l'invasion étrangère, et célébrait les triomphes de l'Empire comme une consolation et une vengeance. Elle produisit ses poëtes, comme le parti contraire, et plus tard même elle lui enleva les siens:

si d'un côté se trouvaient alors, sans parler de Chateaubriand, que nous avons étudié plus haut, MM. Victor Hugo et de Lamartine, de l'autre étaient Casimir Delavigne et Béranger. Les deux camps possédaient aussi leurs illustres prosateurs; ici, par exemple, était l'abbé de Lamennais, et là Paul-Louis Courier. Une noble et féconde idée planait sur chacune de ces deux divisions; d'un côté la religion, de l'autre la patrie. Nous devons maintenant faire connaître avec quelques détails les ouvrages de ces écrivains qui coïncident avec la période que nous étudions.

Premières odes de M. Victor Hugo; M. de Lamartine.

Nous avons déjà nommé et cité plusieurs fois le poëte illustre dont le parti religieux et monarchique protégeait et quelquefois gâtait les débuts. M. V. Hugo' avait vingt ans quand il publia son premier volume d'Odes (1822), et vingtdeux quand parurent les Odes et Ballades (1824). Mais plusieurs pièces du premier recueil furent écrites à quinze et à dix-sept ans. Ces poésies, qu'on louerait davantage si l'auteur ne les avait fait oublier depuis, annonçaient un talent hors ligne. On y trouve déjà l'éclat de l'imagination, le trait hardi et fier, et surtout l'instinct du contraste; mais tout cela dans des proportions relativement étroites qualités et défauts y sont encore en germe. On ne sent pas dans les Odes cette puissante haleine à qui une seule inspiration suffira pour soulever et remplir toute une pièce; on y chercherait en vain ces larges perspectives qui se déroulent avec une simplicité sublime autour d'une idée dominante. Chaque pièce semble composée de parties rapportées, faites soigneusement l'une après l'autre et soudées avec intelligence: le talent est dans les détails plutôt que dans la conception. Les Odes sont les Messéniennes du parti royaliste. L'antithèse, cette perfide

1. Né en 1802, à Besançon. OEuvres avant 1830: Odes et Ballades; les Orientales (1829), les Feuilles d'automne (écrites en 1830, publiées en 1831); les romans Han d'Islande (1823) et Bug Jargal (1826); le Dernier jour d'un condamné (4829); les drames Cromwell (1827), Hernani et Marion Delorme

beauté qui a séduit trop souvent le poëte, s'y montre déjà, mais en miniature. Elle arrive, sous forme de trait final, au dernier vers de la strophe, comme chez J. B. Rousseau, quoique avec plus d'éclat. Elle grandira dans les ouvrages suivants de M. V. Hugo; elle passera des mots dans la pensée; alors une seule antithèse constituera une ode (les Deux iles; Ce qu'on entend sur la montagne); et dans son théâtre une seule antithèse encore produira des rôles, des pièces entières (Hernani, Triboulet, Lucrèce Borgia, etc.). Du reste, la phrase des Odes est nette, académique, correcte dans ses contours; nous avons entendu d'estimables lecteurs, qui préfèrent les vers à la poésie, dire que M. V. Hugo n'a jamais rien fait de mieux.

Les rédacteurs de la Muse française, les uns trop faibles, les autres trop jeunes encore, accusaient plutôt qu'ils ne satisfaisaient un besoin moral du pays. Cependant l'année 1820 avait révélé à la France un poëte qui, sans système, sans coterie, par l'expression simple de ses sentiments, par son inspiration largement chrétienne, par la hardiesse toute spontanée de son langage, devait atteindre, dans l'élégie et dans l'ode, le véritable caractère de la poésie française. M. de Lamartine1 venait de publier ses premières Méditations.

Ce livre n'était pas un de ces exercices littéraires par lesquels un jeune homme continue, en entrant dans le monde, les travaux et les succès du collége. L'auteur avait trente ans; il connaissait par expérience les orages de l'âme, et c'est avec son cœur qu'il avait composé ses vers. Cela même en constituait l'originalité. Notre langue allait avoir enfin un poëte lyrique dont la vie et les œuvres ne fussent pas deux choses distinctes, et chez qui toute création de l'esprit eût été d'abord un sentiment réel.

En effet, on saisit avec charme, dans les Confidences un peu trop discrètes que le poète vient de faire au public2, la racine

1. Né en 1790, à Mâcon.

2. Il ne faut pas prendre à la lettre les renseignements contenus dans les charmants récits intitulés Confidences et Raphaël. M. de Lamartine, en confiant ses aveux au feuilleton-roman, a trop souvent jugé à propos de lui parler son langage.

des qualités et même des défauts qu'on avait remarqués dans

ses ouvrages.

Né d'une famille noble et attachée aux traditions monarchiques, élevé dans un collége de jésuites, Alphonse de Lamartine se trouvait, au début de sa carrière, en harmonie avec les opinions d'un parti nombreux et puissant. Son éducation religieuse et séquestrée le disposait à être poëte autrement qu'on ne l'était alors. Il ne pouvait goûter « la poésie toute matérialiste et toute sonore de la fin du dix-huitième siècle et de l'Empire, celle de Delille et de Fontanes1. » Tout en lui, même les passions de la jeunesse, prenait une teinte religieuse et mystique. Il trouva dans l'amour « le sérieux, l'enthousiasme, la prière, la piété intérieure, les larmes qui lavent le cœur sans l'amollir.» Cependant l'orthodoxie du jeune homme recélait déjà des germes menaçants. Rousseau et Bernardin de Saint-Pierre sont les deux génies qui planent sur son berceau. Sa mère, élevée avec les enfants du duc d'Orléans par Mme de Genlis, « devait transporter aux siens ces traditions de son enfance.» L'éducation du jeune poëte fut une éducation philosophique de seconde main, une éducation philosophique corrigée et attendrie par la maternité2. » Ce fut une influence bien puissante sur le talent de Lamartine que cette direction exclusive d'une mère, d'une femme. On en trouve la trace dans chaque page de ses écrits. « Mon éducation, nous dit-il, était toute dans les yeux plus ou moins sereins, dans le sourire plus ou moins ouvert de ma mère.... Je lisais à travers ses yeux, je sentais à travers ses impressions, j'aimais à travers son amour. Elle me traduisait tout, nature, sentiment, sensations, pensées. Du reste, nulle discipline pour former ce jeune esprit, nulle règle précise et austère; on lui donne l'instinct, mais non la science du bien. Placé quelques jours dans une pension de Lyon, il ne peut supporter le joug du règlement et s'échappe. Chez les jésuites même, malgré les douces et maternelles câlineries de leur direction, il n'aspire qu'à la maison des champs où s'est

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4. Raphaël, ch. XLVIII.

2. Ibidem, ch. XLV.

3 Confidences; Presse, 6 janvier 1849.

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