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un but, il se promène; pour lui le chemin est l'essentiel : peu lui importe d'arriver. Il cueille, en passant, les contrastes, les antithèses, les comparaisons, les parallélismes. Il y a déjà du Fléchier dans Balzac. Il prend autant de peine à travailler ses ouvrages que les anciens sculpteurs à faire les dieux1. A ce beau corps il ne manque qu'une âme, qu'une idée grande, un intérêt sérieux. Quand par hasard il le rencontre, la véritable éloquence éclate aussitôt sous sa plume. Dans son Socrate chrétien, que M. Sainte-Beuve appelle spirituellement l'Isocrate chrétien, on trouve quelques pages admirables, celles où l'auteur développe la merveilleuse diffusion de l'Évangile, celles encore où il montre la main de Dieu cachée derrière les événements de l'histoire. Dans ses lettres même, dès qu'il s'occupe d'une affaire, si petite qu'elle soit, comme par exemple de la publication de ses œuvres, confiée au prudent et silencieux Conrart, le style devient infiniment meilleur. Ces dernières lettres sont de 1648, 1649, 1650; l'auteur est vieux, fatigué, malade; il écrit à un ami, il ne prend pas la peine de mal faire. D'ailleurs, le Cid, suivi des autres chefs-d'œuvre de Corneille, a paru depuis plus de douze ans (1636), et il y a presque aussi longtemps que Descartes a publié sa Méthode (1637) et ses Méditations (1641).

Le malheur de Balzac fut de n'avoir pas souvent à traiter d'affaires sérieuses. Son éloquence est généralement creuse et vide. Elle ne s'occupe que d'elle-même et porte dans sa stérilité la peine de son égoïsme. Retiré orgueilleusement près d'Angoulême, dans son château, Balzac communique à peine avec ses semblables. Il est aux antipodes, où il n'y a que de l'air, de la terre et une rivière. Pour trouver un homme, il faut faire plus de dix journées; partant, il n'a de communication qu'avec les morts. Ne voyant quasi que des objets qui ne parlent point, et passant sa vie parmi des choses mortes et in animées, il chemine sans guide et sans compagnie; tous les secours qu'un autre pourrait avoir lui manquent. Encore si

4. Lettres diverses de M. de Balzac, livre I, lettre xvu.

2. Discours III et discours VIII.

3. Lettres diverses, livre I, lettre I

4. Le Prince, chap. I.

cette retraite était celle du philosophe! Mais Balzac n'est point un Descartes. De plus, il est aussi indifférent au genre humain qu'il en est éloigné. Il regarde ce qui se passe chez nous et chez nos voisins comme l'histoire du Japon ou les affaires d'un autre siècle. Il pense que nous n'aurions jamais fait si nous voulions prendre à cœur les affaires du monde et avoir de la passion pour le public, dont nous ne faisons qu'une petite partie1. Les arts sont pour lui aussi muets que la société. S'il va à Rome, il jette à peine un regard dédaigneux sur les chefs-d'œuvre qu'elle renferme. Il n'a pas beaucoup de curiosité pour ces choses-là, et admire peu du marbre qui ne parle point et des peintures qui ne sont point si belles que la vérité. Il faut, dit-il, laisser cela au peuple. Il lui laisse probablement aussi les sentiments de famille. « Depuis ma dernière lettre, écrit-il négligemment à un correspondant, j'ai perdu mon bonhomme de père. » Voilà toute sa sensibilité. Un pareil être ne risquait pas de tenir tous les hommes pour ses parents et de porter le deuil tout le temps de sa vie.

Aussi son éloquence ressemble-t-elle trop souvent au portrait qu'il a tracé lui-même. « L'éclat ne suppose pas toujours la solidité, et les paroles qui brillent le plus sont souvent celles qui pèsent le moins. Il y a une faiseuse de bouquets et une tourneuse de périodes, je ne l'ose nommer éloquence, qui est toute peinte et toute dorée; qui semble toujours sortir d'une boîte, qui n'a soin que de s'ajuster et ne songe qu'à faire la belle; qui, par conséquent, est plus propre pour les fêtes que pour les combats, et plaît davantage qu'elle ne sert, quoique néanmoins il y ait des fêtes dont elle déshonorerait la solennité, et des personnes à qui elle ne donnerait point de plaisir2. >

Malgré ce qui manque à Balzac pour être véritablement éloquent, il faut néanmoins reconnaître en lui le créateur des formes nobles et harmonieuses dont l'éloquence devait bientôt se revêtir. Il a préparé la langue oratoire des Pascal et des Bossuet; il est le Malherbe de la prose.

4. Lettres diverses, liv. II, lettre 1.

2. Paraphrase, ou De la grande éloquence, discours v1.

Voiture en fut le Desportes, mais avec plus d'esprit et d'afféterie encore. Il serait injuste de le juger comme un auteur. Voiture n'a jamais eu l'intention de l'être : il n'a jamais rien imprimé. C'est après sa mort que son neveu Pinchesne a publié de lui quelques lettres et quelques vers de société. Pour lui, il ne songea qu'à jouir agréablement de la vie; il plaça tout son talent en viager, et devint l'homme le plus aimable et le plus recherché de son temps. Simple roturier, il vécut sur le pied de l'égalité avec les plus grands noms, fut l'idole de l'hôtel de Rambouillet, qui mourut pour ainsi dire avec lui.

Il écrivit comme il fallait écrire pour charmer ses aimables et spirituelles correspondantes. Ne lui demandez ni le sérieux de la pensée ni la gravité du langage. Tout ce qu'il en dit n'est que pour trouver moyen de remplir ses lettres. Et en vérité n'est-il pas excusable? Car, pour parler franchement, on est souvent bien empêché à trouver que dire, et, sans quelques inventions comme cela, des personnes qui n'ont amour, ni affaires ensemble ne se peuvent écrire souvent2.

Le grand moyen de Voiture, c'est la surprise; le parfait pour lui, c'est l'inattendu, fût-il bizarre ou absurde. La forme de ses lettres ressemble à celle qu'avait adoptée Balzac, si ce n'est qu'il substitue la vivacité à l'ampleur. Balzac arrondissait le madrigal, Voiture l'aiguise. Ce dernier est plus libre, plus sautillant dans son allure, plus recherché dans ses concetti, plus entortillé dans les replis parfumés de ses compliments; il creuse davantage un frivole rapport, il est plus profond dans le faux, plus riche de clinquant, plus étincelant de paillettes. Il dit encore moins de choses en plus de paroles. Il s'entend mieux à combiner les allusions légères, les jolies caprices de langage qui ont cours dans sa société. Balzac avait au moins quelques idées générales: ici tout est local, c'est l'esprit d'une réunion d'initiés, c'est un papillotage de petits riens jolis, d'imperceptibles détails, d'énigmes de galanterie

1. Né en 1598 à Amiens; mort en 4648.-OEuvres des lettres et des poésies; Histoire d'Alcidalis et de Zélide, roman non achevé; quelques poésies latines, espagnoles, italiennes. Edition 1729, a vol in-12.

2. Lettre de Voiture à MIle de Rambouillet.

LITT. FR.

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qui exigent souvent du lecteur l'attention la plus soutenue. Une spirituelle enfant de douze ans, Mlle de Bourbon, qui devint Mme de Longueville, a caractérisé Voiture mieux que tous les critiques; elle était d'avis qu'il fallait le conserver dans du sucre1. Lui-même plaisantait agréablement sur ses hyperboles; car, à la différence de Balzac, Voiture sourit ne plus ne moins que s'il était véritablement un simple mortel. Séduits par ses charmants défauts, ses contemporains voyaient en lui le plus parfait des écrivains; on se disputait ses lettres : les Condé, les Grammont, les La Valette, les d'Avaux étaient les correspondants du fils d'un marchand de vin. Boileau lui-même fut entraîné par ce torrent d'admiration; il plaça sans hésiter Voiture auprès d'Horace. Cet engouement d'un siècle peut être exagéré; il n'est jamais inexplicable. C'est qu'en effet Voiture faisait rentrer dans la littérature française ce que la France aime le mieux, l'esprit. Ses écrits étaient une aimable réaction contre le genre ennuyeux si cultivé au seizième siècle. La nation reconnaissante pardonna beaucoup à l'écrivain qui, le premier, ne voulut être qu'un homme du monde. Voiture fut l'enfant gâté de l'opinion publique 2.

Au-dessous de Balzac et de Voiture se classent, dans la première partie du dix-septième siècle, des noms qu'il serait injuste d'oublier, tels que Mainard, écho affaibli de Malherbe; Segrais, bel esprit et agréable poëte; Benserade, si célèbre par son sonnet de Job, rival du sonnet à Uranie de Voiture; Î'emphatique Brébœuf, traducteur de Lucain, ou, pour mieux dire, auteur d'une Pharsale aux provinces si chères! Godeau, le nain de Julie, petit, laid et spirituel abbé, qui reçut de Richelieu l'évêché de Grasse, en échange d'une paraphrase du Benedicite; Chapelain, homme mérite, érudit, grammairien et critique distingué, qui eut le malheur de se croire poëte épique, et le ridicule d'attenter au plus beau sujet de notre histoire: Boileau a trop vengé Jeanne d'Arc. D'autres

4. Lettre de Voiture à Mlle Paulet.

3. On trouvera plus de détails sur la société de l'hôtel de Rambouillet, sur Balzac et Voiture, dans notre Tableau du dix-septième siècle, p. 240 à 300. 3. L'auteur de cette Histoire littéraire n'a plus le droit de médire de la Pharsale, ni peut-être, hélas! de Brébœuf.

essais épiques eurent alors le même succès. Le matamore Scudéry, gouverneur de Notre-Dame de la Garde, poëte guerrier qui se vantait d'avoir usé plus de mèches en arquebuses qu'en chandelles, ne put néanmoins triompher d'Alaric. Il se dédommagea en mettant la main aux romans héroïques de sa sœur, où il jeta des descriptions de batailles. Le badin et cynique Saint-Amant s'avisa tout à coup d'emboucher la trompette,

Et poursuivant Moïse à travers les déserts,
Vint avec Pharaon se noyer dans les mers'.

A l'exemple de Boileau, nous passerons ici sous silence le jésuite Lemoine, auteur d'un Saint Louis. « Il est trop fou pour que j'en dise du bien, écrivait le satirique, et trop poëte pour que j'en dise du mal. » A côté de ces parodies involontaires de l'épopée vint se placer la parodie moqueuse, le grotesque Scarron, aussi bizarre dans son esprit que difforme dans son corps. Tout perclus et défiguré, ce spirituel malade fit le monde à son image; il transforma l'héroïsme en ridicule, composa le Typhon et travestit l'Enéide. Une telle plume devait jouer le premier rôle dans les pamphlets de la Fronde et briller dans les Mazarinades. Mais sa gaieté fit œuvre de bon goût lorsque, à l'exemple de l'Espagnol Rojas Villandrando, il composa le Roman comique, et remporta sur les romans de métaphysique amoureuse une victoire analogue à celle de Cervantes sur les divagations chevaleresques. A la même école, où l'esprit domine plus que la décence, appartient Sarrasin, tour à tour historien, érudit et poëte, qui a fait des lettres plutôt un délassement qu'une étude, et s'est élevé bien au-dessus du médiocre sans atteindre le vrai beau3. A ces muses peu révérencieuses, le salon bleu d'Arthénice

4. George de Scudéry, né au Havre en 1601; mort en 1667. - OEuvres : seize pièces de théâtre; poésies diverses; Alaric, épopée; le Voyage fortuné, roman doucereux; des discours et des traductions.

2. Boileau, Art poétique.

3. Geruzez, Essais d'histoire littéraire. On trouve dans cet ouvrage, dont la critique, à la fois ingénieuse et savante, rappelle la manière de M. Villelemain, d'excellentes notices sur la plupart des auteurs secondaires que nous parcourons ici rapidement.

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