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assis en face de lui au banc d'œuvre, levez-la bien haut, s'il vous plaît, monsieur le président, afin que tout le monde vous voie. Et le président était contraint d'obéir, car le peuple, exalté par la harangue démagogique, l'eût infailliblement mis en pièces.

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L'éloquence des prédicateurs parlait quelquefois aux yeux du peuple par d'imposants spectacles. Telle fut cette procession où plus de cent mille personnes portant des cierges les éteignaient tout d'un coup en s'écriant: « Dieu, éteignez ainsi la race des Valois!» Un témoin oculaire, qui ne peut être suspect, le protestant d'Aubigné, nous atteste en ces termes la puissance que la chaire exerçait alors sur les esprits: « La France, comme étant venue au période de son éloquence, déployant plusieurs discours dans les chaires et par les écrits, étoit agitée de raisons contraires. Les ligués étoient plus avantagés que ceux de la Réforme par les sermons des prêcheurs comme possédant les suggestes des grandes villes, et puis ayant l'acte de Blois (le meurtre des Guises) sur lequel les prêcheurs paratragédioient à plein fond; ils avoient encore la grande secte des jésuites tout entière pour eux, comme servant au grand dessein. Ces esprits choisis, comme l'on sait, se servirent de l'horreur de l'acte que nous avons dit, et élevèrent pour un temps la plupart des courages de la France à un haut degré de vengeances qui sentoient le juste et le glorieux1. >

C'est dans les revers, c'est quand il fallait contre-balancer la souffrance par l'enthousiasme qu'éclatait la puissance des prédicateurs. Le moine Christin, chargé d'annoncer au peuple la défaite d'Ivry, que les Seize venaient seuls d'apprendre par un prisonnier relâché sur parole, prit pour texte de son sermon ces mots de l'Écriture: « Je châtie ceux que j'aime.» Dans son premier point, il prépara les Parisiens, le peuple aimé de Dieu, à recevoir quelque marque sévère de cette prédilection divine. Il allait commencer le second point quand un courrier entra dans l'église et lui remit une lettre. Alors l'orateur se haussant dans la chaire, cette missive à la main,

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4. D'Aubigné, Histoire universelle, t. III, p. 288

s'écria que le ciel l'avait inspiré sans doute et avait voulu faire de lui en ce jour un prophète. Il raconta alors la bataille d'Ivry à cette foule ainsi préparée; puis, avec toute la force de son éloquence, il se répandit en exhortations si pathétiques, en prières si efficaces, que ce peuple, qui l'écoutait d'abord en silence et avec tristesse, passa de la terreur à l'enthousiasme, et se montra disposé à tout souffrir pour la sainte cause de l'Union.

Pendant le siége de Paris et la famine qui l'accompagna, ce furent encore les prédicateurs qui soutinrent le courage du peuple. Leur éloquence mérita le bel éloge que Pline décernait à l'orateur romain: Te dicente alimenta sua abdicaverunt tribus! Ces orateurs, dit un contemporain, charmoient en quelque façon la langue pour se plaindre, et l'estomac pour aboyer après le pain1.

Toutefois ces résultats merveilleux ne doivent pas nous donner une idée trop haute des moyens oratoires destinés à les obtenir; chez un peuple grossier, la vulgarité du langage, l'impudeur des invectives est souvent un moyen de succès.

L'éloquence peut être alors un pouvoir, mais elle n'est point encore une littérature. Pour entrer dans le domaine de l'art, elle doit non-seulement émouvoir les cœurs, mais encore élever les âmes jusqu'à la vue calme et sereine de la vérité..

Quelquefois la verve triviale des orateurs de la Ligue trouvait quelque trait d'esprit au milieu de ses grossièretés trop fréquentes. Boucher faisait ainsi le portrait de Henri III:

« Ce teigneux est toujours coiffé à la turque d'un turban, lequel on ne lui a jamais vu ôter, même en communiant; et quand ce malheureux hypocrite faisoit semblant d'aller contre les reistres, il avoit un habit d'Allemand fourré et des crochets d'argent, qui signifioient la bonne intelligence et accord qui étoient entre lui et ces diables noirs empistolés. Bref, c'est un Turc par la tête ; un Allemand par le corps, une harpie par les mains, un Anglois par la jarretière, un Polonois par les pieds 2, et un vrai diable en l'âme. »

4. Mathieu, Histoire de France, t. II, p, 44.

2. Allusion à la fuite du roi de Pologne, quittant précipitamment ses États.

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Ce ton vif, pénétrant, familier, revient souvent chez ce prédicateur. Veut-il mettre en doute la sincérité de la conversion du Béarnais: « On l'a vu, dit-il, en une même heure huguenot, et en la même catholique! et puis le voilà à la messe! et sonne le tambourin! Vive le roi! Ailleurs, dirigeant au même but un trait plus sérieusement lancé, il oppose éloquemment la pompe militaire de l'abjuration à l'humilité qui convient à un pénitent. « Quelle cendre? s'écrie-t-il, quelle haire? quels jeûnes? quelles larmes? quels soupirs? quelle nudité des pieds? quels frappements de poitrine? quel visage baissé? quelle humilité de prières? quelle prostration par terre en signe de pénitence? Les gens de guerre embâtonnés, les fifres, les tambours sonnant, l'artillerie et escopetterie, les trompettes et clairons, la grande suite de gentilshommes, les demoiselles parées, la délicatesse du pénitent, appuyé sur le col d'un mignon, pour le grand chemin qu'il avoit à faire, environ cinquante pas, depuis la porte de l'abbaye jusqu'à la porte de l'église ; la risée qu'il fit, regardant en haut, avec un bouffon qui étoit à la fenêtre : « En veux-tu pas être? » Le dais, l'appui, les oreillers, les tapis semés de fleurs de lis, l'adoration faite par les prélats à celui qui se doit soumettre et humilier devant eux, sont les traits de cette pénitence. »

Voici le jugement que porte sur le style de ce chef des ligueurs parisiens, type des orateurs sacrés de cette époque, un jeune et spirituel écrivain, qui en a fait l'objet d'une étude approfondie 2.

Son style est un style de transition. Sa phrase est longue, savante, périodique, chargée d'incises et de retours, n'évitant pas l'expression franche, attrapant souvent l'expression pittoresque à la manière du seizième siècle; mais aussi elle est déjà pleine d'images prétentieuses; elle vise au bel esprit, comme dans les homélies de Godeau, comme au temps de T'hôtel de Rambouillet. Boucher procède volontiers par énu

1. Sermons de la simulée conversion et nullité de l'absolution de Henri de Bourbon. Paris, Chaudière, 1594. Réimprimés à Douai, 1594.

2. Ch. Labitte, dans son curieux et intéressant ouvrage de la Démocratie chez les prédicateurs de la Ligue, où nous avons puisé la plus grande partie des détails qui précèdent.

mération et par apostrophes. Il y a chez lui un certain souffle abondant, une certaine verve amère, une certaine plénitude verbeuse, qui devaient séduire les imaginations faciles de ce temps. Ces citations entremêlées de l'histoire profane et de la Bible, cette succession incohérente d'anecdotes, de plaisanteries, de périodes solennelles, et enfin, si l'on peut dire, ce cliquetis perpétuel de l'érudition du rhéteur, n'étaient pas sans charme à une époque confuse qui n'avait pas même le pressentiment de ce goût sobre et sévère dont les écrivains de Louis XIV allaient trouver le secret. »

CHAPITRE XXV.

PAMPHLETS ET MÉMOIRES AU SEIZIÈME SIÈCLE.

Pamphlets calvinistes. Pamphlets politiques; satire Ménippée. Mémoires. L'historien de Thou.

Pamphlets calvinistes,

La chaire des ligueurs n'avait fait qu'appliquer d'une manière plus ou moins heureuse les anciens procédés de l'éloquence; le seizième siècle éleva aux passions oratoires une tribune inconnue à l'antiquité et mille fois plus retentissante: il créa le pamphlet: mélange admirable du discours et du livre, le pamphlet est la voix du moment, l'idée de chaque jour il naît et étincelle au choc de l'événement : c'est l'improvisation de la presse. Répandu à flots dans un peuple, il franchit des distances inabordables à la voix et se fait un seul forum d'une vaste contrée : c'est la vraie harangue des nations modernes. Le pamphlet est déjà le journal, moins la puissance créée par la répétition quotidienne des doctrines, mais aussi moins la régularité monotone des publications. Plus rare, il est mieux écouté: il arrive par accident à l'improviste : c'est un journal qui ne paraît que quand il a quelque chose à dire.

On comprend que de pareilles compositions doivent en général être peu littéraires pour la forme. Ce sont des actions plutôt que des écrits. Mais aussi c'est là qu'il faut aller chercher les passions des partis, la racine des faits, la pensée intime des hommes. Ces légères feuilles recèlent la vie d'une époque surprise tout à coup par l'immobilité quien perpétue l'image; pareilles à ces merveilleuses peintures tracées par la lumière même, où l'action fugitive, arrêtée pour ainsi dire au passage, demeure à jamais fixée sur une lame fragile. Les pamphlets du seizième siècle nous révèlent la véritable physionomie des factions rivales qui s'y choquaient. On y voit le protestantisme grave et supérieur par la pensée et par le style, surtout au début de la lutte, donner à ses publications légères quelque chose de l'austérité pesante d'une dissertation. Henri Estienne ouvre la marche avec son Apologie d'Hérodote, où le pamphlet ne s'avoue pas encore, mais se dissimule malignement sous le masque de l'érudition. Viennent ensuite la Gaule Française (Franco-Gallia) de François Hottman, espèce de Contrat social du seizième siècle, livre habile et érudit, où pour la première fois les doctrines démocratiques sont appliquées à notre histoire nationale, et où l'écrivain, avec une grande verve de paradoxe, justifie le droit populaire par la tradition comme remontant au berceau même de la monarchie française; les Réclamations contre is tyrans (Vindicia contra tyrannos) d'Hubert Languet, agression violente, mais théorique, contre la royauté. Dans ces ouvrages la langue et le style sont ceux de l'érudition: nous touchons encore à Bodin et à la Boétie. Mais peu à peu le pamphlet s'accélère dans sa marche, comme une pierre dans sa chute. Nous lisons l'Epître au tigre de la France, espèce de catilinaire contre le cardinal de Lorraine; la France-Turquie; le Discours merveilleux de la vie, actions et déportements de la reine Catherine de Médicis; les Apophthegmes, ou discours notables recueillis de divers auteurs contre la tyrannie et les tyrans; le Réveil-matin des Français et de leurs voisins; le Discours des jugements de Dieu contre les tyrans; le Politique, dialogue traitant de la puissance, autorité et devoir des princes, des divers gouvernements, jusques où l'on doit supporter la tyrannie; si en une oppression extrême,

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