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L'affaire jugée, le procès gagné par Agnelet, qui, grâce à son bêlement, a passé pour un idiot, Patelin le félicite de sa docilité, et se vante lui-même de son stratagème.

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Ta partie est retraite (retirée, sortie):

Ne dit plus Bée; il n'y a force,
Lui ai-je baillé belle entorse?
T'ai-je pas conseillé a point?
Bée....

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Le dialogue se prolonge ainsi de la manière la plus comique entre l'avocat qui demande, supplie, se fàche, et le client qui bêle. A la fin Patelin, se voyant joué, jure qu'il va chercher un sergent, et Agnelet, de son côté, jure que sergent ni avocat ne le retrouveront; il s'échappe, et, plus heureux que son maître, revient sans doute à ses moutons.

Les Enfants sans souci; Sotles.

Du mélange de la farce avec la moralité naquit la sotie, genre intermédiaire où dominait la satire. Une troupe nouvelle découvrit et sut exploiter cette veine dramatique. Ce furent les Enfants sans souci, joyeuse réunion de jeunes Pa

risiens qui recommencèrent presque Aristophane, au moins pour la malice et l'audace à tout dire. Politique, religion, vie publique ou privée, rien n'était à l'abri de leurs attaques. Ils avaient commencé par s'exécuter eux-mêmes, pour avoir meilleure grâce à faire justice des autres. Leur chef s'appelait le prince des sots, mais son royaume n'était autre que le genre humain tout entier. Ils obtinrent de Charles VI la permission de représenter leurs soties sur des échafauds élevés sur la place des halles. Louis XII se servit de leur verve caustique pour appeler à lui l'opinion populaire dans ses démêlés avec le pape Jules II. Ce bon roi savait supporter lui-même les traits de leur satire, et entendait en souriant ces jeunes étourdis le taxer d'avarice. On pense bien que les divers ordres de l'État n'étaient pas épargnés dans ces audacieuses bouffonneries. On y voyait paraître Sot-Dissolu, en costume ecclésiastique, Sot-Glorieux, vêtu en gendarme, Sot-Trompeur, habillé en marchand. Tous les intérêts du temps, toutes les allusions fugitives qu'un siècle emporte avec lui, étaient saisis et personnifiés sur ce théâtre. Dame-Pragmatique y était aux prises avec le légat, et Peuple-Italique y déplorait le gouvernement de Mère-Sotte déguisée en robe d'église. Une telle liberté provoqua souvent la répression. Les rois, le parlement autorisèrent, suspendirent, prohibèrent tour à tour ces dangereuses représentations. François Ier établit la censure théâtrale et proscrivit les farces et les soties. Une autorité plus puissante encore leur donna le coup de grâce; le goût du public les abandonna pour les tragédies et les comédies qui prétendaient imiter le théâtre antique. On touchait à la Renaissance. Mərot fut l'un des Enfants sans souci.

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CHAPITRE XXI.

QUINZIÈME SIÈCLE: Age de TRANSITION.

Littérature populaire; les prédicateurs, Menot, Maillart et Raulin. Le poëte Villon.

Littérature populaire; les prédicateurs, Menot, Maillart et Raulin.

A partir du quatorzième siècle tout sort de l'Église, tout se sécularise et s'émancipe. Le moyen âge tombe en ruines. La chevalerie française est frappée à mort par la flèche plébéienne des archers anglais, aux plaines de Crécy, de Poitiers, d'Azincourt. L'invention de l'artillerie va déplacer la force et achever la ruine du pouvoir féodal. D'un autre côté la théocratie a renoncé elle-même ses magnifiques rêves. Les papes ne songent plus à l'empire universel, mais à la souveraineté temporelle de l'Italie. La petite ambition tue la grande. Boniface VIII est souffleté par un légiste de Philippe le Bel; Clément V rampe jusqu'au saint-siége, et laisse brûler les templiers, les restes de la chevalerie sainte ! Le grand schisme éclate. Le concile de Pise proclame la nécessité d'une réforme. Le pieux Gerson, le docte Clémengis font déjà pressentir Luther.

En face des deux pouvoirs qui meurent, il en est un, bien faible encore, qui s'élève et se prépare de loin à de grandes destinées. C'est la bourgeoisie, c'est le peuple. Il apparaît aux états de 1357 avec Robert le Coq et le prévôt Marcel: il se montre plus redoutable encore en 1413, quand il assiége une première fois la Bastille et coiffe déjà le roi (c'était alors

1. Jean Charlier, né à Gerson, diocèse de Reims, en 1363, chancelier de l'Université de Paris, mourut à Lyon, en 4429. On a de lui une soixantaine de traités en latin et quelques discours en français. On lui attribue, mais sans preuve certaine, l'Imitation de J. C.-Mathieu de Clémengis, né vers le milieu du quatorzième siècle, fut recteur de l'Université, et mourut vers 1440. Le plus remarquable de ses traités a pour titre : De corrupto Ecclesiæ statu.

Charles VI) du chaperon populaire. Il fait mieux: sous les traits d'une jeune fille des champs, il s'arme pour l'indépendance du pays et reconquiert le royaume. Enfin l'esprit bourgeois et antichevaleresque s'assied sur le trône dans la personne du roi Louis XI, et achève d'accabler le génie féodal dans celle des vaillants et téméraires ducs de Bourgogne.

La littérature du quatorzième au seizième siècle exprime cette situation politique. Elle est en général chétive et souffrante comme la France. Ses productions les plus remarquables ont un caractère plébéien et vulgaire. Nous avons déjà vu, dans la chronique, Commines succéder à Froissart: sur le théâtre nous avons entendu les confréries et la basoche. La chaire chrétienne n'échappe pas à cette commune destinée. Le prêtre lui-même se fait peuple. C'est alors que retentit dans l'Église la parole vive, originale, mais vulgaire des Menot, des Maillart, des Raulin'. Cette éloquence est également populaire par son inspiration et par ses formes. C'est contre les riches et les puissants du monde que s'exerce la verve de ces tribuns sacrés. Louis XIV aimait à prendre sa part dans un sermon: il ne voulait pas qu'on la lui fît; les prédicateurs du quinzième siècle épargnent volontiers à leurs nobles auditeurs la peine de deviner ce qui les concerne. Chez eux l'allusion n'est guère plus voilée que chez le missionnaire Bridaine. « Êtes-vous de la part de Dieu? s'écrie Maillart. Le prince et la princesse, en êtes-vous? baissez le front!... Les chevaliers de l'ordre, en êtes-vous? baissez le front! Et vous, gentilshommes, en êtes-vous? baissez le front! » Menot trouvait, dans son indignation bourgeoise autant que religieuse, quelques inspirations d'une haute éloquence: « Aujourd'hui, disait-il, messieurs les gens de justice portent de longues robes, et leurs femmes sont vêtues comme des princesses; si leurs vêtements étaient mis sous le pressoir, le sang des pauvres en découlerait. » La critique littéraire a longtemps dédaigné outre mesure ces braves doc

4. Michel Menot, cordelier et professeur de théologie à Paris, mort

en 1518.

Olivier Maillart, cordelier, mort en 1502.

Jean Raulin, directeur du collége de Navarre, mort en 1514.

teurs au simple et trivial langage: un habile professeur a réhabilité leur mémoire avec réserve1. Il les a justifiés de l'accusation assez peu vraisemblable, mais généralement admise depuis Voltaire, d'avoir employé une langue bizarre mi-partie de mauvais latin et de mauvais français. Il a cité des passages remarquables tirés de leurs sermons, et montré que la trivialité qu'on leur reproche est due à l'état actuel du langage, qui ne connaissait point de degrés de noblesse entre les mots, et au caractère des auditoires auxquels s'adressaient ces orateurs.

Cela même est un fait littéraire d'une haute importance. Au quinzième siècle, il n'y a en France qu'un langage, et c'est celui du peuple, qu'une éloquence, et c'est une éloquence plébéienne. Nous allons voir que la poésie présente le même caractère.

Le poëte Villon'.

Les époques de transition, comme le quinzième siècle, comme le nôtre peut-être, sont en général peu littéraires. Le poëte le plus remarquable des temps qui nous occupent, le premier en date de tous les poëtes modernes (car Charles d'Orléans est le dernier des trouvères), fut maître François Villon, écolier de l'Université de Paris, vrai basochien, espiègle, tapageur, libertin et, qui pis est, larron; passant sa vie entre le cabaret, la prison, la faim et la potence, toujours pauvre, toujours gai, toujours railleur et spirituel; mêlant aux saillies de sa joyeuse humeur des traits nombreux d'une sensibilité rêveuse et quelquefois éloquente, il fut le premier qui saisit et dégagea la poésie que recèle la plus vulgaire et la plus misérable de toutes les conditions: il exprima la na

4. M. Géruzez, dans son Cours d'éloquence française, 1836-1837, leçons v et suivantes. Ces pages réunissent au plus haut degré l'instruction et l'in

térêt.

2. Nous devons au moins un souvenir à un autre poëte populaire du commencement du quinzième siècle, à Olivier Basselin, foulon de son métier, Normand de naissance, et poëte par l'inspiration du cidre. C'est du vallon dé la Vire, qu'il habitait, que ses joyeux couplets ont pris et légué à leurs suc cesseurs le nom de Vaux-de-Vire, et par corruption Vaudevilles. Le texte de ses chansons n'a pas été moins altéré que leur titre elles n'ont été imprimées que deux siècles après sa mort, et dans un langage changé et rajeuni.

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