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croire et de les adorer? Car n'est-il pas plus clair que le jour que nous sentons en nous-mêmes des caractères ineffaçables d'excellence? et n'est-il pas aussi véritable que nous éprouvons à toute heure les effets de notre déplorable condition? Que nous crie donc ce chaos et cette confusion monstrueuse, sinon la vérité de ces deux états, avec une voix si puissante, qu'il est impossible de résister?

IV

Nous ne concevons ni l'état glorieux d'Adam, ni la nature de son péché, ni la transmission qui s'en est faite en nous. Ce sont choses qui se sont passées dans l'état d'une nature toute différente de la nôtre, et qui passent notre capacité présente. Tout cela nous est inutile à savoir pour en sortir; et tout ce qu'il nous importe de connoître, est que nous sommes misérables, corrompus, séparés de Dieu, mais rachetés par JésusChrist; et c'est de quoi nous avons des preuves admirables sur la terre.

V

Le christianisme est étrange : il ordonne à l'homme de reconnoître qu'il est vil, et même abominable; et il lui ordonne de vouloir être semblable à Dieu. Sans un tel contre-poids, cette élévation le rendroit horriblement vain, ou cet abaissement le rendroit horriblement abject.

VI

La misère persuade le désespoir; l'orgueil inspire la présomption.

L'incarnation montre à l'homme la grandeur de sa misère par la grandeur du remède qu'il a fallu.

VII

On ne trouve pas dans la religion chrétienne un abaissement qui nous rende incapables du bien, ni unę sainteté exempte du mal.

Il n'y a point de doctrine plus propre à l'homme que celle-là, qui l'instruit de sa double capacité de recevoir et de perdre la grâce, à cause du double péril où il est toujours exposé, de désespoir ou d'orgueil.

VIII

Les philosophes ne prescrivoient point des sentiments proportionnés aux deux états. Ils inspiroient des mouvements de grandeur pure, et ce n'est pas l'état de l'homme. Ils inspiroient des mouvements de bassesse pure, et ce n'est pas l'état de l'homme. Il faut des mouvements de bassesse, non de nature, mais de pénitence; non pour y demeurer, mais pour aller à la grandeur. Il faut des mouvements de grandeur, non de mérite, mais de grâce, et après avoir passé par la bassesse.

IX

Nul n'est heureux comme un vrai chrétien, ni raisonnable, ni vertueux, ni aimable. Avec combien peu d'orgueil un chrétien se croit-il uni à Dieu! avec combien peu d'abjection s'égale-t-il aux vers de la terre!

X

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Incroyable que Dieu s'unisse à nous.

Cette considération n'est tirée que de la vue de notre bassesse. Mais si vous l'avez bien sincère, suivez-la aussi loin que moi, et reconnoissez que nous sommes en effet si bas, que nous sommes par nous-mêmes in

capables de connoître si sa miséricorde ne peut pas nous rendre capables de lui. Car je voudrois bien savoir d'où cet animal, qui se reconnoît si foible, a le droit de mesurer la miséricorde de Dieu, et d'y mettre les bornes que sa fantaisie lui suggère. Il sait si peu ce que c'est que Dieu, qu'il ne sait pas ce qu'il est luimême : et, tout troublé de la vue de son propre état, il ose dire que Dieu ne peut pas le rendre capable de sa communication ! Mais je voudrois lui demander si Dieu demande autre chose de lui, sinon qu'il l'aime en le connoissant, et pourquoi il croit que Dieu ne peut se rendre connoissable et aimable à lui, puisqu'il est naturellement capable d'amour et de connoissance. Il est sans doute qu'il connoît au moins qu'il est, et qu'il aime quelque chose. Donc, s'il voit quelque chose dans les ténèbres où il est, et s'il trouve quelque sujet d'amour parmi les choses de la terre, pourquoi, si Dieu lui donne quelques rayons de son essence, ne sera-t-il pas capable de le connoître et de l'aimer en la manière qu'il lui plaira de se communiquer à nous? Il y a donc sans doute une présomption insupportable dans ces sortes de raisonnements, quoiqu'ils paroissent fondés sur une humilité apparente, qui n'est ni sincère, ni raisonnable, si elle ne nous fait confesser que, ne sachant de nous-mêmes qui nous sommes, nous ne pouvons l'apprendre que de Dieu.

ARTICLE V

SOUMISSION ET USAGE DE LA RAISON

I

La dernière démarche de la raison est de reconnoître qu'il y a une infinité de choses qui la surpassent. Elle n'est que foible si elle ne va jusqu'à connoître cela. Il faut savoir douter où il faut, assurer où il faut, et se soumettre où il faut. Qui ne fait ainsi n'entend.pas la force de la raison. Il y en a qui pèchent contre ces trois principes, ou en assurant tout comme démonstratif, manque de se connoître en démonstrations; ou en doutant de tout, manque de savoir où il faut se soumettre; ou en se soumettant en tout, manque de savoir où il faut juger.

II

Si on soumet tout à la raison, notre religion n'aura rien de mystérieux et de surnaturel. Si on choque les principes de la raison, notre religion sera absurde et ridicule.

La raison, dit saint Augustin, ne se soumettroit jamais, si elle ne jugeoit qu'il y a des occasions où elle doit se soumettre. Il est donc juste qu'elle se soumette quand elle juge qu'elle doit se soumettre.

III

La piété est différente de la superstition. Soutenir la piété jusqu'à la superstition, c'est la détruire. Les hérétiques nous reprochent cette soumission superstitieuse. C'est faire ce qu'ils nous reprochent [que d'exiger cette soumission dans les choses qui ne sont pas matière de soumission].

Il n'y a rien de si conforme à la raison que le désaveu de la raison [dans les choses qui sont de foi; et rien de si contraire à la raison que le désaveu de la raison dans les choses qui ne sont pas de foi]. Deux excès exclure la raison, n'admettre que la raison.

IV

La foi dit bien ce que les sens ne disent pas, mais non pas le contraire de ce qu'ils voient. Elle est audessus, et non pas contre.

V

Si j'avois vu un miracle, disent-ils, je me convertirois. Comment assurent-ils qu'ils feroient ce qu'ils ignorent? Ils s'imaginent que cette conversion consiste en une adoration qui se fait de Dieu comme un commerce et une conversation telle qu'ils se la figurent. La conversion véritable consiste à s'anéantir devant cet Être universel qu'on a irrité tant de fois, et qui peut vous perdre légitimement à toute heure; à reconnoître qu'on ne peut rien sans lui, et qu'on n'a rien mérité de lui que sa disgrâce. Elle consiste à connoître qu'il y a une opposition invincible entre Dieu et nous, et que sans un médiateur il ne peut y avoir de commerce.

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