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LXIX

La nature s'imite. Une graine jetée en bonne terre produit. Un principe jeté dans un bon esprit produit. Les nombres imitent l'espace, qui sont de nature si différente.

Tout est fait et conduit par un même maître : la racine, la branche, les fruits, les principes, les conséquences.

LXX

La nature agit par progrès : itus et reditus. Elle passe et revient; puis va plus loin, puis deux fois moins, puis plus que jamais, etc.

La nature de l'homme n'est pas d'aller toujours; elle a ses allées et ses venues.

La fièvre a ses frissons et ses ardeurs, et le froid montre aussi bien la grandeur de l'ardeur de la fièvre que le chaud même.

Les inventions des hommes de siècle en siècle vont de même. La bonté et la malice du monde, en général, en est de même.

LXXI

L'admiration gâte tout dès l'enfance. O que cela est bien dit qu'il a bien fait ! qu'il est sage! etc.

Les enfants de Port-Royal, auxquels on ne donne point cet aiguillon d'envie et de gloire, tombent dans la nonchalance.

LXXII

Nous ne nous soutenons pas dans la vertu par notre propre force, mais par le contre-poids de deux vices opposés, comme nous demeurons debout entre deux vents contraires : ôtez un de ces vices, nous tombons dans l'autre.

LXXIII

Ils disent que les éclipses présagent malheur, parce que les malheurs sont ordinaires; de sorte qu'il arrive si souvent du mal, qu'ils devinent souvent; au lieu que s'ils disoient qu'elles présagent bonheur ils mentiroient souvent. Ils ne donnent le bonheur qu'à des rencontres du ciel rares; ainsi ils manquent peu souvent à deviner.

LXXIV

Il n'est pas bon d'être trop libre.

Il n'est pas bon d'avoir tout le nécessaire.
Instinct et raison, marque de deux natures.

I

Jésus souffre dans sa passion les tourments que lui font les hommes; mais dans l'agonie il souffre les tourments qu'il se donne à lui-même : turbavit semetipsum. C'est un supplice d'une main non humaine, mais toutepuissante, et il faut être tout-puissant pour le soutenir.

Jésus cherche quelque consolation au moins dans ses trois plus chers amis, et ils dorment. Il les prie de soutenir un peu avec lui, et ils le laissent avec uné négligence entière, ayant si peu de compassion qu'elle ne pouvait seulement les empêcher de dormir un moment. Et ainsi Jésus étoit délaissé seul à la colère de Dieu.

Jésus est seul dans la terre, non-seulement qui ressente et partage sa peine, mais qui la sache : le ciel et lui sont seuls dans cette connoissance.

Jésus est dans un jardin, non de délices comme le premier Adam, où il se perdit, et tout le genre humain; mais dans un de supplices, où il s'est sauvé, et tout le genre humain.

Il souffre cette peine et cet abandon dans l'horreur de la nuit.

Je crois que Jésus ne s'est jamais plaint que cette seule fois; mais alors il se plaint comme s'il n'eût plus

1. Le Mystère de Jésus.» Ce morceau précieux a été publié pour la première fois par M. Faugère.

pu contenir sa douleur excessive: Mon âme est triste jusqu'à la mort.

Jésus cherche de la compagnie et du soulagement de la part des hommes. Cela est unique en toute sa vie, ce me semble. Mais il n'en reçoit point, car ses disciples dorment.

Jésus sera en agonie jusqu'à la fin du monde : il ne faut pas dormir pendant ce temps-là.

Jésus, au milieu de ce délaissement universel, et de ses amis choisis pour veiller avec lui, les trouvant dormant, s'en fâche à cause du péril où ils exposent, non lui, mais eux-mêmes; et les avertit de leur propre salut et de leur bien avec une tendresse cordiale pour eux pendant leur ingratitude, et les avertit que l'esprit est prompt et la chair infirme.

Jésus, les trouvant encore dormant, sans que ni sa considération, ni la leur les en eût retenus, il a la bonté de ne pas les éveiller, et les laisse dans leur repos.

Jésus prie dans l'incertitude de la volonté du père, et craint la mort; mais l'ayant connue, il va au-devant s'offrir à elle. Eamus. Processit (Joannes).

Jésus a prié les hommes, et n'en a pas été exaucé. Jésus, pendant que ses disciples dormoient, a opéré leur salut. Il l'a fait à chacun des justes pendant qu'ils dormoient, et dans le néant avant leur naissance, et dans les péchés depuis leur naissance.

Il ne prie qu'une fois que le calice passe, et encore avec soumission; et deux fois qu'il vienne s'il le faut. Jésus dans l'ennui. Jésus voyant tous ses amis endormis, et tous ses ennemis vigilants, se remet tout entier à son père. ·

Jésus ne regarde pas dans Judas son inimitié, mais l'ordre de Dieu qu'il aime et.... puisqu'il l'appelle ami.

Jésus s'arrache d'avec ses disciples pour entrer dans l'agonie; il faut s'arracher de ses plus proches et des plus intimes pour l'imiter.

Jésus étant dans l'agonie et dans les plus grandes peines, prions plus longtemps.

II

Console-toi : tu ne me chercherois pas si tu ne m'avois trouvé.

Je pensois à toi dans mon agonie; j'ai versé telles gouttes de sang pour toi.

C'est me tenter plus que t'éprouver, que de penser si tu ferois bien telle et telle chose absente je la ferai en toi si elle arrive.

Laisse-toi conduire à mes règles; vois comme j'ai bien conduit la Vierge et les Saints qui m'ont laissé agir

en eux.

Le père aime tout ce que JE fais.

Veux-tu qu'il me coûte toujours du sang de mon humanité, sans que tu donnes des larmes?

C'est mon affaire que la conversion : ne crains point, et prie avec confiance comme pour moi.

Je te suis présent par ma parole dans l'Écriture; par mon esprit dans l'Église, et par les inspirations; par ma puissance dans les prêtres; par ma prière dans les Fidèles.

Les médecins ne te guériront pas, car tu mourras à la fin. Mais c'est moi qui guéris et rends le corps immortel. Souffre les chaînes et la servitude corporelles; je ne et délivre que de la spirituelle à présent.

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