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aux choses ordinaires; et la pluralité aux autres. D'où vient cela? de la force qui y est.

Et de là vient que les rois, qui ont la force d'ailleurs, ne suivent pas la pluralité de leurs ministres.

Sans doute l'égalité des biens est juste; mais, ne pouvant faire qu'il soit force d'obéir à la justice, on a fait qu'il soit juste d'obéir à la force; ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force, afin que le juste et le fort fussent ensemble, et que la paix fût, qui est le souverain bien.

XVI

Ils sont contraints de dire: Vous n'agissez pas de bonne foi; nous ne devrions pas, etc. Que j'aime à voir cette superbe raison humiliée et suppliante! Car ce n'est pas là le langage d'un homme à qui on dispute. son droit et qui le défend les armes et la force à la main. Il ne s'amuse pas à dire qu'on n'agit pas de bonne foi; mais il punit cette mauvaise foi par la force.

XVII

Quand il est question de juger si on doit faire la guerre et tuer tant d'hommes, condamner tant d'Espagnols à la mort, c'est un homme seul qui en juge, encore intéressé : ce devroit être un tiers indifférent.

XVIII

Ces discours sont faux et tyranniques: Je suis beau, donc on doit me craindre; je suis fort, donc on doit m'aimer. Je suis... La tyrannie est de vouloir avoir par une voie ce qu'on ne peut avoir que par une autre. On rend différents devoirs aux différents mérites: devoir d'amour à l'agrément; devoir de crainte à la force; de

voir de croyance à la science. On doit rendre ces devoirs-là; on est injuste de les refuser, et injuste d'en demander d'autres. Et c'est de même être faux et tyran de dire: Il n'est pas fort, donc je ne l'estimerai pas; il n'est pas habile, donc je ne le craindrai pas. La tyrannie consiste au désir de domination universelle et hors de son ordre.

ARTICLE XXV

PENSÉES DIVERSES

I

Il y a des vices qui ne tiennent à nous que par d'autres, et qui, en ôtant le tronc, s'emportent comme des branches.

II

Quand la malignité a la raison de son côté, elle devient fière, et étale la raison en tout son lustre : quand l'austérité ou le choix sévère n'a pas réussi au vrai bien, et qu'il faut revenir à suivre la nature, elle devient fière par le retour.

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L'homme est plein de besoins : il n'aime que ceux qui peuvent les remplir tous. C'est un bon mathématicien, dira-t-on; mais je n'ai que faire de mathématiques : il me prendroit pour une proposition. C'est un bon guerrier: il me prendroit pour une place assiégée. Il faut donc un honnête homme qui puisse s'accommoder à tous mes besoins généralement.

IV

Quand on se porte bien, on admire comment on pourroit faire si on étoit malade; quand on l'est, on prend médecine gaiement: le mal y résout. On n'a

plus les passions et les désirs de divertissements et de promenades que la santé donnoit et qui sont incompatibles avec les nécessités de la maladie. La nature donne alors des passions et des désirs conformes à l'état présent. Il n'y a que les craintes que nous nous donnons nous-mêmes, et non pas la nature, qui nous troublent : parce qu'elles joignent à l'état où nous sommes les passions de l'état où nous ne sommes pas.

V

Les discours d'humilité sont matière d'orgueil aux gens glorieux, et d'humilité aux humbles. Ainsi ceux du pyrrhonisme sont matière d'affirmation aux affirmatifs. Peu parlent de l'humilité humblement; peu de la chasteté chastement; peu du pyrrhonisme en doutant. Nous ne sommes que mensonge, duplicité, contrariété, et nous cachons et nous déguisons à nousmêmes.

VI

Les belles actions cachées sont les plus estimables. Quand j'en vois quelques-unes dans l'histoire, elles me plaisent fort. Mais enfin elles n'ont pas été tout à fait cachées, puisqu'elles ont été sues; et, quoiqu'on ait fait ce qu'on a pu pour les cacher, ce peu par où elles ont paru gâte tout, car c'est là le plus beau, de les avoir voulu cacher.

VII

Diseur de bons mots, mauvais caractère.

VIII

Le moi est haïssable: Vous, Miton, le Couvier, vous ne l'êtes pas pour cela vous êtes donc toujours haïs

sable. Point [direz-vous]; car en agissant, comme nous faisons, obligeamment pour tout le monde, on n'a plus sujet de nous haïr. Cela est vrai, si on ne haïssait dans le moi que le déplaisir qui nous en revient. Mais si je le hais parce qu'il est injuste, et qu'il se fait centre de tout, je le haïrai toujours. En un mot, le moi a deux qualités : il est injuste en soi, en ce qu'il se fait centre de tout; il est incommode aux autres, en ce qu'il les veut asservir: car chaque moi est l'ennemi et voudroit être le tyran de tous les autres. Vous en ôtez l'incommodité, mais non pas l'injustice: et ainsi vous ne le rendez pas aimable à ceux qui haïssent l'injustice vous ne le rendez aimable qu'aux injustes, qui n'y trouvent plus leur ennemi; et ainsi vous demeurez injuste et ne pouvez plaire qu'aux injustes.

IX

Je n'admire point l'excès d'une vertu, comme de la valeur, si je ne vois en même temps l'excès de la vertu opposée, comme en Épaminondas, qui avoit l'extrême valeur et l'extrême bénignité; car autrement ce n'est pas monter, c'est tomber. On ne montre pas sa grandeur pour être à une extrémité, mais bien en touchant les deux à la fois, et remplissant tout l'entre-deux. Mais peut-être que ce n'est qu'un soudain mouvement de l'âme de l'un à l'autre de ces extrêmes, et qu'elle n'est jamais en effet qu'en un point, comme le tison de feu [que l'on tourne]. Soit. Mais au moins cela marque l'agilité de l'âme, si cela n'en marque l'étendue.

X

J'avois passé long temps dans l'étude des sciences

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