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du raisonnement des hommes, et si impliquées, qu'elles frappent peu; et quand cela serviroit à quelques-uns, ce ne seroit que pendant l'instant qu'ils voient cette démonstration; mais, une heure après, ils craignent de s'être trompés. Quod curiositate cognoverint superbia ami

serunt.

[D'ailleurs ces sortes de preuves ne peuvent nous conduire qu'à une connoissance spéculative de Dieu : et ne le connoître que de cette sorte, c'est ne pas le connoître.]

VII

Le Dieu des chrétiens ne consiste pas en un Dieu simplement auteur des vérités géométriques et de l'ordre des éléments; c'est la part des païens et des épicuriens. Il ne consiste pas simplement en un Dieu qui exerce sa providence sur la vie et sur les biens des hommes, pour donner une heureuse suite d'années à ceux qui l'adorent; c'est la portion des Juifs. Mais le Dieu d'Abraham et de Jacob, le Dieu des chrétiens, est un Dieu d'amour et de consolation: c'est un Dieu qui remplit l'âme et le cœur qu'il possède : c'est un Dicu qui leur fait sentir intérieurement leur misère et sa miséricorde infinic, qui s'unit au fond de leur âme; qui la remplit d'humilité, de joie, de confiance, d'amour; qui les rend incapables d'autre fin que de lui-même.

Le Dieu des chrétiens est un Dieu qui fait sentir à l'âme qu'il est son unique bien; que tout son repos est en lui; qu'elle n'aura de joie qu'à l'aimer; et qui lui fait en même temps abhorrer les obstacles qui la retiennent, et l'empêchent de l'aimer de toutes ses forces. L'amour-propre et la concupiscence qui l'arrêtent lui

sont insupportables. Ce Dieu lui fait sentir qu'elle a ce fonds d'amour-propre, et que lui seul peut la guérir.

[Voilà ce que c'est que de connoître Dieu en chrétien. Mais pour le connoître de cette manière, il faut connoître en même temps sa misère, son indignité, et le besoin qu'on a d'un médiateur pour se rapprocher de Dieu, et pour s'unir à lui. Il ne faut point séparer ces connoissances, parce qu'étant séparées, elles sont non-seulement inutiles, mais nuisibles.] La connoissance de Dieu sans celle de notre misère fait l'orgueil. La connoissance de notre misère sans celle de JésusChrist fait le désespoir. Mais la connoissance de JésusChrist nous exempte et de l'orgueil et du désespoir, parce que nous y trouvons Dieu, notre misère, et la voie unique de la réparer.

Nous pouvons connoître Dieu sans connoître nos misères, ou nos misères sans connoître Dieu; ou même Dieu et nos misères, sans connoître le moyen de nous délivrer des misères qui nous accablent. Mais nous ne pouvons connoître Jésus-Christ sans connoître tout ensemble et Dieu, et nos misères, et le remède de nos misères; parce que Jésus-Christ n'est pas simplement Dieu, mais que c'est un Dieu réparateur de nos misères.

Ainsi, tous ceux qui cherchent Dieu hors de JésusChrist et qui s'arrêtent dans la nature, ou ils ne trouvent aucune lumière qui les satisfasse, ou ils arrivent à se former un moyen de connoître Dieu et de le servir sans médiateur, et par là ils tombent ou dans l'athéisme, ou dans le déisme, qui sont deux choses que la religion chrétienne abhorre presque également.

Il faut donc tendre uniquement à connoître JésusChrist, puisque c'est par lui seul que nous pouvons pré

tendre connoître Dieu d'une manière qui nous soit utile.

:

C'est lui qui est le vrai Dieu des hommes, c'est-àdire des misérables et des pécheurs. Il est le centre de tout et l'objet de tout et qui ne le connoît pas ne connoît rien dans l'ordre du monde, ni dans soi-même. Car non-seulement nous ne connoissons Dieu que par JésusChrist, mais nous ne nous connoissons nous-mêmes que par Jésus-Christ.

Sans Jésus-Christ, il faut que l'homme soit dans le vice et dans la misère; avec Jésus-Christ, l'homme est exempt de vice et de misère. En lui est toute notre vertu et toute notre félicité; hors de lui il n'y a que vice, misère, erreurs, ténèbres, désespoir, et nous ne voyons qu'obscurité et confusion dans la nature de Dieu et dans notre propre nature 1.

1. Une partie seulement de ce paragraphe se trouve dans le manuscrit, mais il est en entier dans l'édition de 1670 et dans l'Histoire de l'abbaye de PortRoyal, 1752, tome 1V, p. 468-476.

ARTICLE XV

PENSÉES SUR LES MIRACLES

I

La doctrine discerne les miracles, et les miracles discernent la doctrine.

II

Il y en a de faux et de vrais. Il faut une marque pour les connoître; autrement ils seroient inutiles. Or, ils ne sont pas inutiles, et sont au contraire fondements. Il faut que la règle qu'on nous donne soit telle, qu'elle ne détruise pas la preuve que les vrais miracles donnent de la vérité, qui est la fin principale des miracles.

S'il n'y avoit point de faux miracles, il y auroit certitude. S'il n'y avoit point de règle pour les discerner, les miracles scroient inutiles, et il n'y auroit pas de raison de croire.

Moïse en a donné une, qui est lorsque le miracle mène à l'idolâtrie (Deut., XIII, 1, 3); et Jésus-Christ une: Celui, dit-il, qui fait des miracles en mon nom ne peut à l'heure même mal parler de moi (Marc, Ix, 38).

[D'où il s'ensuit que quiconque se déclare ouvertement contre Jésus-Christ ne peut faire des miracles en son nom. Ainsi, s'il en fait, ce n'est point au nom de Jésus-Christ, et il ne doit pas être écouté. Voilà les occasions d'exclusion à la foi des miracles mar

quées. Il ne faut pas y donner d'autres exclusions: dans l'Ancien Testament, quand on vous détournera de Dieu; dans le Nouveau, quand on vous détournera de Jésus-Christ.]

[D'abord donc qu'on voit un miracle, il faut ou se soumettre, ou avoir d'étranges marques du contraire; il faut voir si celui qui le fait nie un Dieu, ou Jésus-Christ et l'Église.]

III

[Toute religion est fausse, qui dans sa foi n'adore pas un Dieu comme principe de toutes choses, et qui, dans sa morale, n'aime pas un seul Dieu comme objet de toutes choses. Toute religion qui ne reconnoît pas maintenant Jésus-Christ est notoirement fausse, et les miracles ne peuvent lui servir de rien.]

Les Juifs avoient une doctrine de Dieu, comme nous en avons une de Jésus-Christ, et confirmée par miracles; et défense de croire à tout faiseur de miracles; et, de plus, ordre de recourir aux grands prêtres, et de s'en tenir à eux. Et ainsi toutes les raisons que nous avons pour refuser de croire les faiseurs de miracles, ils les avoient à l'égard de leurs prophètes.

Et cependant ils étoient très-coupables de refuser les prophètes à cause de leurs miracles, et Jésus-Christ; et n'eussent pas été coupables s'ils n'eussent point vu les miracles. Si opera non fecissem in eis quæ nemo alius fecit, peccatum non haberent (Joan., xv, 24). Si je n'avois fait parmi eux des œuvres que jamais aucun autre n'a faites, ils n'auroient point de péché.

Il s'ensuit donc qu'il jugeoit que ses miracles étoient des preuves certaines de ce qu'il enseignoit, et que les Juifs avoient obligation de le croire. Et, en effet, c'est particulièrement les miracles qui rendoient les Juifs coupables dans leur incrédulité. Les preuves que Jé

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