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premiers temps jusques aux derniers, leur histoire enferme dans sa durée celle de toutes nos histoires.

Je considère cette loi qu'ils se vantent de tenir de Dieu, et je la trouve admirable; c'est la première loi de toutes, et de telle sorte qu'avant même que le mot loi fût en usage parmi les Grecs, il y avoit près de mille ans qu'ils l'avoient reçue et observée sans interruption. Ainsi je trouve étrange que la première loi du monde se rencontre aussi la plus parfaite, en sorte que les plus grands législateurs en ont emprunté les leurs, comme il paroît par la loi des douze tables d'Athènes qui fut ensuite prise par les Romains, et comme il seroit aisé de le montrer, si Josèphe et d'autres n'avoient assez traité cette matière.

Mais cette loi est en même temps la plus sévère et la plus rigoureuse de toutes, obligeant ce peuple pour le retenir dans son devoir à mille observations particulières et pénibles, sur peine de la vie. De sorte que c'est une chose étonnante qu'elle soit toujours conservée durant tant de siècles par un peuple rebelle et impatient comme celui-ci, pendant que tous les autres États ont changé de temps en temps leurs lois, quoique tout autrement faciles [à observer].

[Ce peuple est encore admirable en sincérité.] Ils portent avec amour et fidélité le livre où Moïse déclare qu'ils ont toujours été ingrats envers Dieu, et qu'il sait qu'ils le seront encore plus après sa mort; mais qu'il appelle le ciel et la terre à témoin contre eux, et qu'il le leur a assez dit; qu'enfin Dieu, s'irritant contre eux, les dispersera parmi tous les peuples de la terre; que,

comme ils l'ont irrité en adorant des dieux qui n'étoient point leur Dieu, de même il les provoquera, il les irritera en appelant un peuple qui n'étoit point son peuple. Cependant ce livre, qui les déshonore en tant de façons, ils le conservent aux dépens de leur vie. C'est une sincérité qui n'a point d'exemple dans le monde, ni sa racine dans la nature.

[Au reste, je ne trouve aucun sujet de douter de la vérité du livre qui contient toutes ces choses; car] il y a bien de la différence entre un livre que fait un particulier, et qu'il jette dans le peuple, et un livre qui fait lui-même un peuple. On ne peut douter que le livre ne soit aussi ancien que le peuple..

[C'est un livre fait par des auteurs contemporains.] Toute histoire qui n'est pas contemporaine est suspecte, ainsi les livres des Sibylles et de Trismégiste et tant d'autres qui ont écrit au monde sont faux et se trouvent faux dans la suite des temps. Mais il n'en est pas ainsi des auteurs contemporains.

III

Qu'il y a de différence d'un livre à un autre ! Je ne m'étonne pas de ce que les Grecs ont fait l'Iliade, ni les Égyptiens et les Chinois leurs histoires. Il ne faut que voir comment cela est né.

Ces historiens fabuleux ne sont pas contemporains des choses dont ils écrivent. Homère fait un roman qu'il donne pour tel: car personne ne doutoit que Troie et Agamemnon n'avoient non plus été que la pomme d'or. Il ne pensoit pas aussi à en faire une histoire, mais seulement un divertissement. Son livre est le seul qui étoit de son temps; la beauté de l'ouvrage fait

durer la chose tout le monde l'apprend et en parle : il la faut savoir; chacun la sait par cœur. Quatre cents ans après, les témoins des choses ne sont plus vivants, personne ne sait plus par sa connoissance si c'est une fable ou une histoire : on l'a seulement apprise de ses ancêtres, cela peut passer pour vrai.

ARTICLE VII

DES JUIFS 1

Γ

La création et le déluge étant passés, et Dieu ne devant plus détruire le monde, non plus que le recréer, ni donner de ces grandes marques de lui, il commença d'établir un peuple sur la terre, formé exprès, qui devoit durer jusqu'au peuple que le Messie formeroit par son esprit.

II

Dieu, voulant faire paroître qu'il pouvoit former un peuple saint d'une sainteté invisible, et le remplir d'une gloire éternelle, a fait des choses visibles; comme la nature est une image de la grâce, il a fait dans les biens de la nature ce qu'il devoit faire dans ceux de la grâce, afin qu'on jugeât qu'il pouvoit faire l'invisible, puisqu'il faisoit bien le visible. Il a donc sauvé ce peuple du déluge; il l'a fait naître d'Abraham; il l'a racheté d'entre ses ennemis, et l'a mis dans le repos.

L'objet de Dieu n'étoit pas de sauver du déluge et de faire naître d'Abraham tout un peuple, pour ne l'introduire que dans une terre grasse.

1. L'édition de 1779 porte: Des Juifs considérés par rapport à notre religion. Celle de M. Faugère: Du Peuple juif.

III

Dieu voulant priver les siens des biens périssables, pour montrer que ce n'étoit pas par impuissance, il a fait le peuple juif.

Les Juifs avoient vieilli dans ces pensées terrestres, que Dieu aimoit leur père Abraham, sa chair, et ce qui en sortiroit que pour cela il les avoit multipliés et distingués de tous les autres peuples, sans souffrir qu'ils s'y mêlassent; que quand ils languissoient dans l'Égypte, il les en retira avec tous ses grands signes en leur faveur; qu'il les nourrit de la manne dans le désert; qu'il les mena dans une terre bien grasse, qu'il leur donna des rois et un temple bien bâti pour y offrir des bêtes, et par le moyen de l'effusion de leur sang qu'ils seroient purifiés; et qu'il leur devoit enfin envoyer le Messie, pour les rendre maîtres de tout le monde. Et il a prédit le temps de sa venue.

Les Juifs étoient accoutumés aux grands et éclatants miracles; et ainsi ayant eu les grands coups de la mer Rouge et la terre de Chanaan comme un abrégé des grandes choses de leur Messie, ils en attendoient de plus éclatantes, dont ceux de Moïse n'étoient que les échantillons.

Le monde ayant vieilli dans ces erreurs charnelles, Jésus-Christ est venu dans le temps prédit, mais non pas dans l'éclat attendu; et ainsi ils n'ont pas pensé que ce fût lui. Après sa mort, saint Paul est venu apprendre aux hommes que toutes ces choses étoient arrivées en figures; que le royaume de Dieu ne consistoit pas en la chair, mais en l'esprit; que les ennemis des hommes n'étoient pas les Babyloniens, mais leurs pas

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