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conversation. On comprend que cette forme m'aidât à être sincère dans mon enseignement, et à parvenir à la clarté dans mes explications. Un léger effort d'imagination a replacé sous mes yeux mes élèves, m'a permis de les écouter m'interroger et me présenter leurs objections. Je les ai entendues me dire bien des fois: "Nous demandons plus de lumière, monsieur." Sans cesse je me suis senti le témoin de leur curiosité et de leur avidité à trouver la raison de toutes les lois du langage. Quel stimulant pour un esprit que ce spectacle d'un auditoire intelligent qui refuse absolument de rien croire sur parole, et qui est toujours prêt à crier pourquoi !

Aussi tout est approfondi et expliqué dans les Entretiens. C'est pour cette raison que le livre est un peu plus étendu que je ne l'eusse désiré. Cependant la grosseur du volume cessera d'être une objection contre son emploi par ceux qui étudient la langue, et le recommandera, au contraire, si l'on fait cette simple réflexion. On lit une grammaire pour connaître la grammaire, pour comprendre les lois de la langue. La plus courte des grammaires est donc celle qui est la plus facile à comprendre. Dès lors la grammaire qui a le moins de pages est souvent la plus longue. L'expérience que j'ai faite avec mes élèves m'a convaincu que les Entretiens seront compris après une seule lecture par les personnes intelligentes et très-attentives, et avec un travail à peine plus consi- · dérable par les élèves des écoles supérieures. Si cela était vrai, ne pourrais-je pas conclure que cette grammaire est la plus courte des grammaires?

Quand j'arrive, dans mes leçons, au moment de com

mencer l'enseignement de la grammaire, j'ai l'habitude de demander à mes élèves ce qu'elles connaissent des règles de la langue. Parmi elles, il en est chaque année plusieurs qui ont appris le français pendant deux, trois ou quatre ans, avant d'entrer dans mes classes. Cependant ces dames me répondent ainsi : "Nous avons beaucoup étudié la grammaire, nous l'avons récitée tout entière plus d'une fois; mais supposez, monsieur, que nous n'en connaissons rien. Nous ne l'avons pas comprise. - Ne l'aimez-vous pas ? C'est un travail de mémoire ennuyeux, et qui ne nous a rien appris." Les personnes qui auront lu les Entretiens n'auront jamais avec leur professeur un semblable dialogue. S'il leur pöse la question que je pose à mes élèves, elles lui répondront: "Nous avons étudié la grammaire, elle nous a intéressées, et nous sommes prêtes à en discuter les règles."

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Je tiens à appeler l'attention des lecteurs sur un autre point qui caractérise aussi la présente publication, et la fait différer entièrement des autres grammaires. C'est qu'elle établit les lois de la langue en s'autorisant seulement des grands écrivains. Les grammairiens n'avaient jamais su s'occuper que des grammaires qui avaient précédé la leur. Ils avaient fait une grammaire nouvelle avec les vieilles grammaires, copiant et répétant tous les mêmes règles et les mêmes exceptions, et produisant les mêmes exemples. Ils n'ont jamais songé à être originaux, et à se mettre en présence des maîtres de la langue, pour les interroger sur la langue, semblant ignorer que ces maîtres ont seuls le droit d'en dicter les lois.

D'autre part, quand ils ont présenté dans leurs

grammaires des matières à lire par les élèves, ils ont imprimé des pages mal écrites, sans élévation, sans pensée et sans goût, prises à des écrivains qu'il ne faudrait pas lire. Devant de telles pages, on se sent affligé de voir des grammairiens donner une idée aussi fausse et aussi pauvre d'une langue qui a produit plus d'écrivains de génie et plus de profonds penseurs qu'aucune autre dans les temps modernes.

Aussi les Entretiens ont-ils été autrement conçus. Les grands maîtres seuls les ont inspirés. Plus de cinquante volumes ont été étudiés et couverts de notes, avant que je prisse la plume. Je ne les ai pas tous introduits dans mon livre, mais ils m'ont tous enseigné; ceux que j'ai jugé bon de ne pas citer sont principalement des écrivains de notre siècle. En les examinant, je me suis confirmé dans cette opinion que presque tous les grands maîtres sont morts, et j'ai cru dangereux de montrer aux élèves la littérature des contemporains. J'ai fait exception pour les gloires de ce temps-ci, pour ceux qui sont dignes de nos anciens, surtout pour G. Sand et A. de Musset. Mon livre est plein d'eux. J'ai aussi beaucoup cité P. Mérimée, un artiste de la littérature. En lisant les épreuves des Entretiens, il me vient à l'esprit que la sévérité avec laquelle j'ai jugé son emploi exagéré du superlatif pourrait donner une fausse idée de mon appréciation de cet écrivain. Je déclare donc ici que, dans mon jugement, il occupe un des premiers rangs parmi les maîtres contemporains, et que je ne lui trouve guère d'autres supérieurs que les deux grands auteurs que j'ai nommés.

J'ai cité, avec une prédilection très-apparente, nos

grands moralistes, qui à eux seuls suffiraient pour illustrer une littérature, je veux dire Pascal, La Bruyère, le duc de La Rochefoucauld, et aussi l'auteur de l'Esprit des lois et des Considérations sur la grandeur et la décadence des Romains, Montesquieu. Leurs pensées, renfermant les règles que je voulais établir, pouvais-je faire mieux que de les communiquer aux élèves, et de saisir ainsi l'occasion que j'avais d'élever leur esprit, en même temps que je leur enseignais la grammaire? Il n'y a rien de plus insipidè que de trouver dans la grammaire ces phrases détachées, qui ne présentent que des mots sans idées. Aussi quand je n'ai pas choisi comme exemples à l'appui des règles les courtes pensées des moralistes, n'ai-je pas hésité à étendre mes citations, afin de présenter le développement complet d'une idée. Et j'ai été porté plus d'une fois à citer une page entière, séduit que j'étais par la beauté incomparable de la prose de Voltaire ou de la poésie d'Alfred de Musset. Je sais bien que les lecteurs seront ravis comme moi de trouver ces fleurs semées dans le champ aride des discussions grammaticales.

En choisissant avec ce soin les citations des Entretiens, j'y ai déposé un trésor de grandeur et de beauté qui ne peut pas manquer d'inspirer à leurs lecteurs la plus haute admiration pour notre littérature, et le plus avide désir de connaître ses écrivains de génie. Est-il possible de poursuivre un résultat plus grand et plus désirable que celui-là?

Afin de permettre au lecteur curieux de lire les passages d'où sont tirés les exemples, j'ai autant que je l'ai pu indiqué le lieu où je les ai pris. Les Maximes

de La Rochefoucauld sont marquées du numéro de la maxime citée. Quand j'ai puisé dans les Lettres de Racine ou dans celles de Mme de Sévigné, j'ai donné la date de la lettre, ou son numéro dans la correspondance de l'auteur. Les vers cités de Molière ou de Racine sont clairement indiqués. Pour les autres auteurs, j'ai marqué la page des éditions que j'avais entre les mains. Les voici.-Victor Hugo: le volume de l'édition Hachette, qui contient les Orientales, les Feuilles d'Automne, les Chants du crépuscule.— A. de Musset: le volume de l'édition Charpentier, qui a pour titre Poésies Nouvelles; et le volume des Contes de la même librairie. - Lamartine: le volume des Premières méditations de l'édition Hachette.-G. Sand: les romans de Valvèdre, de La Mare au diable, de La Petite Fadette, du Marquis de Villemer, de François le Champi, publiés par M. Lévy.- Bossuet: les Oraisons funèbres, édition Hachette.-J. J. Rousseau : Émile, publié par Garnier. -- Châteaubriand: le volume qui renferme Atala, René, Le dernier Abencerage, édition M. Lévy.-P. Mérimée: Lettres à une inconnue, t. ii, publiées par M. Lévy.-Montesquieu : le volume de F. Didot qui renferme les Considérations sur la grandeur et la décadence des Romains, les Lettres persanes, les Pensées, etc.- La Bruyère: le tome premier de ses œuvres dans l'édition des Grands écrivains de la France, publiée par Hachette. - Voltaire : le tome xviii de l'édition en soixante-quinze volumes, publiée Baudouin. Eugénie de Guérin: Journal et fragments, publiés par G. S. Trébutien, à la librairie académique de Didier. Les Fables de La Fontaine sont marquées par le livre et le numéro des fables.

par

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