Page images
PDF
EPUB

Laissez-moi finir cette étude par la lecture de deux strophes de Musset, où la particularisation, le singulier, me semble produire sur l'imagination l'effet le plus merveilleux.

"Quand j'ai passé dans la prairie,

J'ai vu ce soir dans le sentier,
Une fleur tremblante et flétrie,
Une pâle fleur d'églantier.
Un bourgeon vert à côté d'elle
Se balançait sur l'arbrisseau ;
J'y vis poindre une fleur nouvelle ;
La plus jeune était la plus belle :
L'homme est ainsi, toujours nouveau.

Quand j'ai traversé la vallée,

Un oiseau chantait sur son nid.
Ses petits, sa chère couvée,

Venaient de mourir dans la nuit.
Cependant il chantait l'aurore.
Oma muse ne pleurez pas :

À qui perd tout Dieu reste encore,
Dieu là-haut, l'espoir ici-bas."

MUSSET, POÉSIES NOUVELLES, 83.

Ne revivent-elles pas sous vos yeux les deux fleurs d'églantier, la vieille fleur flétrie et la fleur nouvelle qui sort du bourgeon vert? Et cet oiseau qui chantait l'aurore sur son nid! Je crois entendre dans sa voix une note mélancolique, cette note que le poëte m'envoie en me disant: Dans la nuit ses petits, sa chère couvée, venaient de mourir.

[ocr errors]

Adieu, mesdames. . . . Vous ne nous avez pas dit, monsieur, comment on forme le pluriel des substantifs. Ne le savez-vous pas ? je ne veux pas vous enseigner ce que vous avez découvert par votre pratique de la langue. Dites-moi

[ocr errors]

vous-mêmes comment on forme le pluriel des noms. Nous savons que beaucoup de noms ne changent pas de forme au pluriel. Lesquels? - Ceux qui ont au singulier un s, un x, ou un z, comme: lis, croix, nez. Et les autres noms ? Ils prennent un s: la loi, les lois; le père, les pères. — Il'y a des exceptions; cherchons-les.

Comment formez-vous le pluriel des noms en eau, au, comme chapeau, gluau? - Nous y ajoutons un x.

Et les noms en eu? - Ils prennent aussi un x: le feu, les feux; le jeu, les jeux. - Bleu prend un s: Vénus avait les yeux bleus.

Les noms en ou prennent un s: les fous, les coucous, les clous, les sous, les trous, les matous. Les noms suivants font exception et s'écrivent avec un x: les choux, les bijoux, les cailloux, les hiboux, les genoux, les poux, les joujoux.

Comment formez-vous le pluriel des noms en al, ail, comme cheval, travail ? — Ils font aux au pluriel: chevaux, travaux. - C'est la règle : il y a de nombreuses exceptions. On dit : les bals, les détails, les carnavals, les éventails, les épouvantails, les gouvernails, les régals, les portails. Il y en a beaucoup d'autres; dans le doute consultez le dictionnaire.

[ocr errors]

-

Quel est le pluriel de ciel? C'est cieux. C'est quelquefois ciels, car on dit : des ciels-de-lit, et le ciel des États-Unis est un des plus beaux ciels du monde; on dit aussi : les ciels d'un tableau.

Eil fait yeux, mais il faut dire: des œils-de-bœuf.

J'ai remarqué, monsieur, que la Revue des deux Mondes écrit au pluriel les savans, les ignorans, les méchans, les instrumens; elle supprime le t que ces mots ont au singulier. Un grand nombre d'écrivains écrivent ainsi sans t au pluriel les polysyllabes terminés au singulier par ant ou par ent. Cela est permis; cependant je préfère le système qui conserve le t, parce qu'il est conforme à l'étymologie des mots. Dans les enfants, les parents, les ignorants, les instruments, les

puissants, les événements, je reconnais le latin infantem parentem, ignorantem, instrumentum, possentem et l'italien evenimento; je ne retrouverai plus ces étymologies, si vous suprimez le t. En tout cas, il n'est pas permis de retrancher le t dans les monosyllabes; il faut écrire: les dents et les

vents.

Je saisis cette occasion pour vous signaler deux autres points que les auteurs traitent capricieusement. D'abord les uns écrivent très-bien, très-grand; les autres suppriment le trait d'union, et disent très bien.

Le second point est que certains auteurs accentuent les majuscules; les autres ne le font pas.

L'usage vous laisse libres, mesdames, sur ces deux questions. Mais vous devez suivre un système et ne pas écrire tantôt d'une manière, tantôt de l'autre. Bien-entendu, je vous recommande le système que j'ai moi-même adopté. Adieu, mesdames.

VII.

DE L'ARTICLE.

MONSIEUR LITTRÉ en donne cette définition: "Un petit mot qui précède ordinairement le substantif, et qui a pour objet de le présenter comme défini ou indéfini." Il ajoute: "Il y a deux articles: l'article défini, le, la, les; l'article indéfini, un, une. Le latin n'a point l'article défini. En grammaire générale, l'article défini est un adjectif déterminatif qui limite l'étendue des substantifs, c'est-à-dire qui les applique positivement aux individus auxquels ils conviennent dans la circonstance actuelle."

Vous pouvez adopter cette définition, mesdames. Cependant je préférerais considérer un comme adjectif indéfini, et le mettre avec ces termes: autre, certain, nul, plusieurs, chaque, tel, quelque, quelconque, tout, maint et aucun. De même qu'eux, un donne au substantif qu'il accompagne une signification générale nullement définie. Ce caractère de généralité me semble contraire à la nature de l'article qui est de définir. Je préférerais aussi nommer l'article, le, la, les, adjectif déterminatif, comme on le fait en grammaire générale, máis vous pouvez suivre monsieur Littré.

Pourquoi les Latins n'avaient-ils pas l'article, monsieur ? Quintilien dit qu'ils n'en avaient pas besoin: " NOSTER SERMO ARTICULOS NON DESIDERAT." Mais je crois, avec M. Brachet, que c'était une imperfection de la langue latine. Aussi, comme le fait remarquer ce savant linguiste, les Romains em

ployèrent souvent le pronom démonstratif ILLE pour la clarté du discours dans les cas où nous employons le, la, les. Il donne les exemples suivants: ILLE ALTER (CICÉRON).· ILLA RERUM DOMINA FORTUNA (Id.). — VÆ AUTEM HOMINI ILLI PER QUEM FILIUS HOMINIS TRADETUR (St. Jérôme).

Vous voyez, mesdames, que dans ces citations ILLE, ILLA, ILLI, jouent le rôle de notre article. Je crois que les Latins faisaient le même usage de IS, EA, ID. En effet, n'est-ce pas notre article qui représente le EAM de cette phrase que je lis à la fin du premier chapitre de la Guerre des Gaules de César; 66 AQUITANIA A Garumna FLUMINE AD PYRENEOS MONTES ET EAM PARTEM OCEANI QUÆ Est Ad Hispaniam, PERTINET." L'Aquitaine, commençant au fleuve Garonne, s'étend jusqu'aux monts Pyrénées et à la partie de l'océan qui baigne l'Espagne. EAM PARTEM signifie précisément la partie.

Les Latins sentaient donc le besoin de l'article qui leur manquait. L'article en effet est un grand élément de la clarté du discours, puisque son caractère est de définir le nom qu'il accompagne.· Comment traduisez-vous les exemples cités par M. Brachet? Nous désirons y voir l'article français. C'est l'article et non le démonstratif pronom j'emploierai: L'autre. La fortune reine du monde, ou bien la fortune qui régit tout. - Malheur à l'homme qui livrera le

[ocr errors]

fils de l'homme.

[ocr errors]
[ocr errors]

que

Est-ce le pronom démonstratif ILLE qui a donné l'article le, la, les? — Oui, madame. Vous savez que le vieux français avait deux cas pour les substantifs. Oui, il disait: Le murs est haut, j'ai construit le mur.— Murs au sujet, et mur au régime; mais il ne disait pas également le murs et le mur, car comme le substantif, l'article avait les deux cas. Le nominatif de la vieille langue est li murs, et l'accusatif le mur. On écrivait donc li murs est haut? — Oui, et de même li chevals est fort; l'homme monte le cheval.

[ocr errors]
« PreviousContinue »