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Lafaye dit: "Le barreau est une barre ayant une certaine forme, et appliquée à un usage spécial: c'est une barre de fer mise en dehors des fenêtres." Pourquoi la barre est-elle du féminin ? Ce n'est rien qu'une barre, elle n'a pas d'existence, de forme déterminée. Je la coupe en deux, en trois, en dix, et j'ai autant de barres. Et le barreau ? Oh! c'est autre chose; je ne puis pas y changer sans le détruire. individu qui a sa figure.

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"Un noir cachot peut illustrer mes vers;
A ses barreaux je suspendrai ma lyre."

C'est un

BÉRANGER.

Les barreaux du cachot de Béranger en garnissent les fenêtres; ils ont été faits pour ces fenêtres-là; ils ont pris leur forme définitive.

C'est de la même manière que diffèrent la tombe et le tombeau. Le mort est dans la fosse. Elle est couverte d'une table de marbre ou de pierre. Cette grande table c'est la tombe. Les grands et les riches élèvent sur la tombe un monument à la mémoire de celui qu'ils pleurent: c'est le tombeau. Comme toutes les fosses, toutes les tombes se ressemblent, n'est-ce pas ?— Oui, monsieur.- Mais les tombeaux, ils ont chacun leur forme propre, chacun leur manière de rappeler le souvenir de celui qui n'est plus.

Dans l'Oraison funèbre de la duchesse d'Orléans, Bossuet dit: "Que ce tombeau nous convainque de notre néant pourvu que cet autel nous apprenne en même temps notre dignité." Et dans l'Athalie de Racine, Abner qui croit que la race de David est éteinte depuis huit ans, s'écrie:

"Les morts après huit ans sortent-ils du tombeau ?”

A. de Musset dit, en s'adressant au Christ:

"Nous sommes aussi vieux qu'au jour de ta naissance. Nous attendons autant, nous avons plus perdu.

Plus livide et plus froid, dans son cerceuil immense,
Pour la seconde fois Lazare est étendu,

Où donc est le Sauveur pour entr'ouvrir nos tombes ?
Où donc le vieux saint Paul haranguant les Romains,
Suspendant tout un peuple à ses haillons divins?
Où donc est le Cénacle? où donc les Catacombes ?
Avec qui marche donc l'auréole de feu?
Sur quels pieds tombez-vous, parfums de Madeleine?
Où donc vibre dans l'air une voix plus qu'humaine?
Qui de nous, qui de nous va devenir un Dieu ?"

A. DE MUSSET, POÉSIES Nouvelles, 2.

Pardonnez-moi, mesdames, d'avoir prolongé la citation. Nous vous en remercions, monsieur: c'est si beau, si grand. — Le sens de la beauté ne permet pas qu'on s'arrête au milieu d'un passage quand on cite de tels vers. Et puis je prends plaisir à jeter des fleurs sur la grammaire. Il ne faut pas, mesdames, que cette profonde étude des lois du langage soit aride, et par suite abhorrée. - C'est notre plus grand bonheur, monsieur, d'étudier de la sorte le code de votre langue. Écoutez donc encore Musset:

"Puisque, jusqu'aux rochers, tout se change en poussière; Puisque tout meurt ce soir pour revivre demain ; Puisque c'est un engrais que le meurtre et la guerre ; Puisque sur une tombe on voit sortir de terre

Le brin d'herbe sacré que nous donne le pain;

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muse, que m'importe ou la mort ou la vie? J'aime et je veux pâlir; j'aime et je veux souffrir; J'aime et pour un baiser je donne mon génie; J'aime et je veux sentir sur ma joue amaigrie Ruisseler une source impossible à tarir."

A. DE MUSSET, POÉSIES NOUVELLES, 86.

Il faut bien finir, mesdames. La théorie que je vous ai présentée explique les genres de: un foudre et la foudre; un aigle et une aigle; un œuvre et une œuvre; une graine et un grain; la pâte et un pâté; un limaçon et une limace; une côte et un coteau; une forteresse et un fort; une charrette et un chariot; une bande et un bandeau; un espoir et une espérance. Le point du jour et la pointe du jour; etc., etc.

La théorie sera grandement confirmée demain, quand nous nous occuperons du nombre des substantifs. Car de même que le masculin exprime plus que le féminin, le singulier exprime plus que le pluriel.

N'avez-vous pas le temps de nous dire la différence entre l'espérance et l'espoir? nous ne la soupçonnons pas. - L'espoir est plus particulier; c'est quelque chose de très-précis que nous désirons obtenir. L'espérance est plus vague: grâce à Dieu, elle nous accompagne tout le long de la vie; nous avons tous l'espérance d'un heureux avenir. Le poëte dit à

sa muse:

"S'il ne te faut, ma sœur chérie,
Qu'un baiser d'une lèvre amie,
Et qu'une larme de mes yeux,
Je te les donnerai sans peine ;
De nos amours qu'il te souvienne,
Si tu remontes dans les cieux.

Je ne chante ni l'espérance,

Ni la gloire, ni le bonheur,
Hélas! pas même la souffrance.
La bouche garde le silence

Pour écouter parler le cœur."

A. DE MUSSET, POÉSIES NOUVELLES, 51.

Pauvre Musset, il avait perdu l'espoir de regagner le cœur de celle qu'il aimait, et malgré les sollicitations de

sa muse, il ne voulut plus chanter, pas même la vague espé

rance.

Racine a bien employé le mot espoir quand Pyrrhus qui rencontre Andromaque lui dit :

"Me cherchiez-vous, madame?

Un espoir si charmant me serait-il permis?"

Voyez-vous comme l'espoir est particulier ? — Oui. — Le fils d'Achille était amoureux de la veuve d'Hector; la vague espérance d'un bonheur indéterminé est devenue dans son cœur l'espoir de conquérir l'amour d'Andromaque, et de la posséder un jour comme sa reine. Qu'il serait heureux si elle le cherchait en ce moment, comme lui la cherche toujours!

"Un espoir si charmant me serait-il permis?"

Adieu, mesdames.

VI.

LES NOMBRES.

COMME VOUS, nous avons deux nombres, le singulier et le pluriel; les Grecs avaient de plus le duel pour marquer la

dualité.

Les noms communs qui conviennent à chaque individu d'une espèce prennent les deux nombres. On les met au singulier, quand on les applique à un seul individu: Ce roi est clément. On les met au pluriel, quand on les applique à plusieurs Les rois sont ambitieux; les hommes sont mortels. Le nom propre ne sert qu'à nommer un individu : il est donc toujours employé au singulier. On dit les Bourbons, monsieur. Oui, madame, mais Bourbon n'est pas ici le nom d'un individu, c'est le nom d'une classe, il en est ainsi des Césars et même des Henris. – Vous avez parmi vos écrivains deux Corneille, deux Racine, et deux Rousseau. — Oui, ce sont là des noms propres : ne les écrivez pas au pluriel. Les Racines et les Corneilles sont rares. - Oui, madame, nous n'avons pas dans ce siècle des poëtes tragiques comme Vous voyez bien que nous parlons ici d'écrivains qui ressemblent à Corneille et à Racine, par conséquent ces noms propres sont employés comme des noms communs et s'écrivent au pluriel.

eux.

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Par exception, il y a des substantifs communs qui n'ont pas de pluriel, et d'autres qui n'ont pas de singulier.

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