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portion du songe d'Athalie. Au milieu du désordre où l'a jetée l'apparition de sa mère Jézabel, un jeune enfant se présente à ses yeux. Voilà le présent, employé pour le prétérit défini: nous le connaissons. C'est bien employé, n'est-il pas vrai, monsieur?-Excellemment, mademoiselle. Peut-être le poëte a-t-il moins bien employé le verbe ranimer, mais assurément il devait dire: je sentis tout à coup un homicide acier. Cela nous paraît certain, puisque la reine exprime un moment très-précis de son songe, un événement qui se produit tout à coup.· Vous comprenez, mesdames. — Vous ne critiquez pas, monsieur, le temps dont Racine a fait usage pour les verbes plonger, prendre, revoir, et voir ?—Non, mais il fallait dire:

"Dans le temple des Juifs un instinct me poussa

Et d'apaiser leur Dieu je conçus la pensée."

Au commencement de la tragédie, Abner rappelle à Joad les pompes qui célébraient autrefois l'anniversaire du Sinaï, et l'immense concours du peuple juif au temple de l'éternel. Puis il ajoute:

"L'audace d'une femme arrêtant ce concours

En des jours ténébreux a changé ces beaux jours."

Cette heure-là fut marquée cruellement dans la vie des Juifs; ne fallait-il pas dire que cette audace changea les beaux jours en jours ténébreux? Peut-être. Je le crois.

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Et plus loin, Abner réveille le souvenir de la mort d'Ochosias et de l'assassinat de ses enfants; le poëte s'exprime ainsi :

"Ochosias restait seul avec ses enfants.

Par les traits de Jéhu je vis percer le père; Vous avez vu les fils massacrés par la mère." Ce vous avez vu est injustifiable.

D'autre part, le poëte emploie très-souvent le prétérit défini là où il ne le faut pas. Ainsi, Pyrrhus dit à Andromaque:

"He quoi? votre courroux n'a-t-il pas eu son cours?
Peut-on haïr sans cesse et punit-on toujours?
J'ai fait des malheureux sans doute; et la Phrygie
Cent fois de votre sang a vu ma main rougie.
Mais que vos yeux sur moi se sont bien exercés!
Qu'ils m'ont vendu bien cher les pleurs qu'ils ont versés!
De combien de remords m'ont-ils rendu la proie!

Je souffre tous les maux que j'ai faits devant Troie.
Vaincu, chargé de fers, de regrets consumé,

Brûlé de plus de feux que je n'en allumai,

Tant de soins, tant de pleurs, tant d'ardeurs inquiètes...
Hélas! fus-je jamais si cruel que vous l'êtes?"

ANDROMAQUE, v. 311-322.

Le prétérit défini allumai est mauvais après tous ces prétérits indéfinis; il n'y avait aucune raison de changer de temps, et le poëte n'avait nullement à marquer l'heure des incendies le fils d'Achille.

allumés par

En voilà assez, mesdames; ce serait même trop de critique, si je n'avais trouvé là un moyen d'éveiller votre attention sur la valeur des temps, et de vous faire mieux comprendre cette grande question du prétérit défini.

Pour l'emploi du prétérit défini, faut-il, monsieur, que le passé qu'il exprime soit éloigné d'un jour au moins, comme le dit la grammaire?

Je vous ai lu ce correctif, ou plutôt cette contradiction que Girault-Duvivier présente sous sa règle: "L'intervalle d'un jour n'est pas nécessaire.”—Que faut-il croire, la règle ou sa contradiction?"- Les maîtres vous parlent, mesdames: écoutez:

"J'ai reçu, ma chère sœur, le mémoire que vous avez donné

à mon cousin Parmentier, et je reçus encore hier une lettre de vous, par laquelle je vois ce qui vous reste d'argent entre les mains." RACINE, vii. LETTRE 83.

"Votre ancien laquais, dont j'ai oublié le nom, m'a fait grand plaisir ce matin en m'apprenant de vos nouvelles." RACINE, Vii. LETTRE 103.

"Je vous écrivis avant-hier si à la hâte, que je ne sais si vous aurez bien conçu ce que je vous écrivais: c'est ce qui m'oblige à vous écrire aujourd'hui.” - BOILEAU DANS LA CORRESPONDANCE DE RACINE, LETTRE 107. "J'ai reçu ce matin votre lettre à la Charité." SÉVIGNÉ, Viii. LETTRE 1037.

MME DE

"Je ne vous ai point écrit cette année, mon très-cher Comte, et ne vous ai point souhaité une heureuse année; cependant Dieu sait quels sont mes désirs, et si je donnerais volontiers des miennes pour augmenter le nombre des vôtres. Après ce petit compliment je vous dirai que je revins samedi de Versailles." MME DE SÉVIGNÉ, Viii. LETTRE 1688.

Ces exemples pris au grand siècle de notre langue montrent que le prétérit défini doit s'employer seulement pour exprimer un passé précis, déterminé, entièrement écoulé, et éloigné au moins d'un jour. C'est ainsi que Mme de Sévigné, ce maître par excellence dans l'art d'écrire, dit: "J'ai reçu ce matin votre lettre," et non pas Je reçus. Et aussi : "Je ne vous ai point écrit cette année," parce que cette année n'est pas entièrement écoulée.

Les modernes sont moins exacts, mesdames, même les plus grands. Voici comment s'exprime P. Mérimée, un des plus illustres académiciens.

"Je suis arrivé hier soir ici, où j'ai trouvé une lettre de vous de date ancienne." LETTRES À UNE INCONNUE, ii. 15. "J'ai reçu votre lettre hier au soir."— Id., ii. 45.

"J'ai été retardé par toute sorte d'embarras, et je n'ai pu partir qu'hier matin, par un temps de chien." Id., ii. 104.

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"Nous avons eu mardi une assez bonne cérémonie, trèssemblable à celle du Bourgeois Gentilhomme." - Id., ii. 163.

Voyez-vous que cette langue n'est plus celle de Mme de Sévigné, ni d'aucun des grands maîtres. Assurément ce n'est pas toujours que nos écrivains modernes sont aussi peu élégants; G. Sand écrit comme on le faisait sous Louis XIV, et P. Mérimée s'exprime quelquefois fort bien, comme ici :

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"Je suis très-contrarié et à moitié empoisonné pour avoir pris trop de laudanum. En outre j'ai fait des vers pour sa Majesté Néerlandaise, joué des charades, et MADE a fool of MYSELF. C'est pourquoi je suis absolument abruti. Que vous dirai-je de la vie que nous menons ici? Nous prêmes un cerf hier, nous dînâmes sur l'herbe; l'autre jour, nous fûmes trempés de pluie et je m'enrhumai. Tous les jours nous mangeons trop; je suis à moitié mort. Le destin ne m'avait pas fait pour

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Nous ne demandons

pas plus de lumière, monsieur. — Ai-je besoin de parler des autres temps du verbe : nous les employons comme vous Anglais.

Le futur absolu exprime les événements de l'avenir, n'estce pas ? Oui.

“Nous mourrons, tous, disait cette femme dont l'Écriture a loué la prudence, au second livre des Rois, et nous allons sans cesse au tombeau, ainsi que des eaux qui se perdent sans retour." BOSSUET, 66.

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Le futur a quelquefois la signification d'un impératif. "Tu aimeras Dieu par-dessus tout, et tu aimeras tes frères comme

tu t'aimes toi-même." C'est un commandement, n'est-il pas vrai? Oui.

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Il est singulièrement fort: celui qui l'emploie ne doute pas que son commandement ne soit exécuté. Napoléon faisait sans cesse usage de ce futur impératif pour communiquer ses ordres à ses généraux, aux rois eux-mêmes.

"Le futur passé marque qu'une chose sera faite lorsqu'une autre qui n'est pas encore aura lieu.". GIRAULT-Duvivier.

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Voici ce futur passé et en même temps le futur absolu.

"Rappelle-toi, lorsque les destinées
M'auront de toi pour jamais séparé,
Quand le chagrin, l'exil et les années
Auront flétri ce coeur désespéré ;

Songe à mon triste amour, songe à l'adieu suprême !
L'absence ni le temps ne sont rien quand on aime.
Tant que mon cœur battra,
Toujours il te dira:
Rappelle-toi.

Rappelle-toi, quand sous la froide terre,
Mon cœur brisé pour toujours dormira;
Rappelle-toi, quand la fleur solitaire

Sur mon tombeau doucement s'ouvrira;
Je ne te verrai plus; mais mon âme immortelle
Reviendra près de toi, comme une sœur fidèle.
Écoute dans la nuit,

Une voix qui gémit:
Rappelle-toi.

MUSSET, POÉSIES NOUVELLES, 211.

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Je demande la parole, monsieur. Je vous la donne, madame. Vous avez deux temps que je ne distingue guère. - Lesquels? - Le plus-que-parfait et le prétérit antérieur.

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