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Y signifie chez quelqu'un ou avec quelqu'un: Demeurezvous chez votre frère? J'y demeure. Je ne reçois pas aujourd'hui, je n'y suis pour personne.

Quant à la place de y, je vous l'indique par ces exemples. Nous allons au théâtre, venez-y avec nous; nous n'y allons pas; je vous y conduirai; menez m'y; vas-y, et j'y irai; mènes-y-moi; je t'ai dit que j'y irais. On supprime souvent y dans cette dernière phrase pour éviter l'hiatus. C'est une fausse délicatesse d'oreille.

Nous aborderons demain le pronom indéfini. Adieu, mesdames.

XVII.

LE PRONOM INDÉFINI ET L'ADJECTIF INDÉFINI.

Nous voici arrivés à notre dernière étude des pronoms et des adjectifs, mesdames, aux indéfinis. Ils ont été tout particulièrement mal compris et mal traités par les grammairiens. M. Littré lui-même semble ignorer souvent la différence qu'il y a entre un adjectif, un pronom et un substantif, quand il traite les indéfinis. La question est trèsdifficile; je réclame en conséquence toute votre attention.

Le caractère des indéfinis est, comme le terme l'indique, de donner aux choses une signification non définie. Les indéfinis ne particularisent pas, ne déterminent pas. Des mots comme quiconque, autrui, on, personne, ne marquent pas clairement l'extension qu'ils expriment (je vous ai expliqué ce terme. Voyez p. 49). Ils ne sont pas définis.

Je vais appeler les indéfinis devant vous, mesdames, et m'efforcer de vous montrer qu'ils sont vraiment indéfinis, et de vous faire reconnaître ceux d'entre eux qui sont adjectifs et ceux qui sont pronoms. Vous nous avez donné la clef, monsieur, pour reconnaître les adjectifs des pronoms : les premiers sont compagnons des noms, les derniers sont remplaçants. Employez toujours cette clef, mademoiselle. Si M. Littré l'avait eue, il n'aurait pas commis les erreurs qui étonnent dans son admirable dictionnaire.

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Un premier indéfini est on. C'est le plus grand, le plus riche de nos indéfinis, je puis ajouter, le plus riche que pos

sède aucune langue moderne, une puissante beauté du français. Vous savez combien son équivalent vous manque en anglais, et dans quelle pauvreté vous vous trouvez à cet égard. Vous n'avez aucun moyen de rendre pleinement, exactement, avec tout l'indéfini qui est désirable, ce que nous exprimons par ces deux lettres on. Cet indéfini est dans votre esprit, dans votre pensée, comme dans la nôtre, vous sentez comme nous le besoin de le produire dans votre langage. Vous ne trouvez rien. Vous dites par exemple THEY SAY; mais THEY est un pluriel et non pas l'indéfini sans genre ni nombre; vous dites ONE SAYS, mais ONE est singulier et trop déterminé. Nous avons en outre, I AM TOLD, IT IS - Oui, ce sont des passifs que vous employez en désespoir de ne savoir comment exprimer votre pensée.

SAID.

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C'est

vrai, monsieur. J'ai parlé de l'anglais non seulement pour signaler un avantage de notre langue, ce qu'il convient de faire dans une grammaire française, mais encore pour mieux marquer la nature indéfinie du pronom on. Il n'est ni du masculin, ni du féminin, ni du pluriel, ni du singulier; il représente un être collectif, un je ne sais qui, et un je ne sais combien.

D'où vient dans le français ce précieux petit mot? - Du latin qui cette fois nous a donné, chose étrange, plus qu'il ne possédait, car il n'avait pas lui-même cet indéfini, et était réduit à employer comme vous un pluriel DICUNT ou un passif DICITUR.

Vous connaissez le mot latin HOMO qui fait à l'accusatif HOMINEM. – Oui, il signifie homme. - De l'accusatif HOMINEM le français tira homme, et du nominatif HOMO il fit d'abord hom, qui devint om, puis on. On fut dans le principe

traité comme synonyme de homme, et considéré comme un substantif. -M. Littré l'appelle encore un substantif. - C'est une de ses distractions, madame. Il dit que on est un substantif abstrait, comme l'est, par exemple, la grandeur. On

-

n'est point un substantif, il est remplaçant d'un substantif, aussi bien que quiconque, quelqu'un, autrui, etc. Il remplace ce substantif, cet être collectif dont j'ai parlé. — Ne peut-il pas être employé substantivement? - Si, comme presque tous les mots des langues: le boire, les car, les pourquoi, le bon, le méchant, etc. On est substantif ici: Ne croyez pas tout ce qu'on vous dit, madame: on est un sot qui se trompe bien souvent, qui médit, qui calomnie; on est une méchante langue.

Cet indéfini on est trés-clair dans sa grammaire; c'était un nominatif en latin: il ne s'emploie donc que comme sujet de la phrase. Il signifie daus la langue-mère homme, et pour cela il ne se dit que des hommes et point des choses. Il ne se dit même pas de Dieu, qui n'est pas homme, et qui ne peut être traité collectivement.

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Ne peut-il pas être suivi d'un adjectif au féminin, monsieur ? - Si, mademoiselle, en vertu d'une figure de grammaire qui s'appelle syllepse. Qu'est-ce qu'une syllepse? - C'est une figure qui règle l'accord non sur le mot lui-même, mais sur l'idée qu'on y attache. Ainsi le mot on est du singulier neutre, mais l'idée que mon esprit y attache peut en faire un féminin et un pluriel. Je pourrai donc dire en parlant à une femme On est bien jolie aujourd'hui, car mon esprit voit dans on la femme à laquelle je parle. De même, par une syllepse qui me présente une idée de pluriel: "Ici on est égaux," paroles souvent écrites au-dessus de la porte d'un cimetière.

"Le commencement et le déclin de l'amour se font sentir par l'embarras où l'on est de se trouver seuls." LA BRUYÈRE.

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Ces syllepses ôtent à on une portion de son caractère indéfini, et ne lui en laisse que ce qu'il en faut pour donner à la phrase un sens un peu vague qui a du charme. En anglais

vous ne pourriez que dire: YoU ARE PRETTY TO-DAY; Ou SOME ONE LOOKS FRETTY TO-DAY; THE EMBARRASSMENT THEY FEEL ou ONE FEELS AT BEING ALONE, sans marquer rien de cette nuance d'indéfini que le pronom on exprime quand nous voulons.

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Y a-t-il une différence entre on et l'on, monsieur? - Généralement les grammairiens ne reconnaissent entre les deux termes aucune différence. L'euphonie seule décide, disentils, s'il faut faire usage de on ou de l'on. Et ils s'étonnent que les écrivains commencent quelquefois leurs phrases par l'on, alors que l'euphonie ne le prescrit pas. Cependant, mesdames, vous remarquez l'article le dans l'on. Oui. - Or l'article détermine, définit. C'est une contradiction du sens indéfini de on que l'article apporte dans son union avec on. Ne lui enlève-t-il pas une grande partie de son sens indéfini? l'on n'est-il pas plus déterminé que on? Ne devient-il pas presque synonyme de les hommes? Il me semble qu'il doit en être ainsi, et je regrette que l'euphonie nous porte souvent à sacrifier l'exacte expression de notre pensée. Cependant, malgré ce trouble que cause la loi d'euphonie, nous reconnaissons ce sens plus déterminé de l'on dans bien des phrases écrites par les maîtres.

Comprenez-moi bien, mesdames, je dis que l'on est presque synonyme de les hommes, qu'il peut se traduire par tous les hommes, ou au moins les hommes en général, et qu'il ne signifie pas comme on un nombre tout à fait indéterminé d'hommes, ou, comme il arrive, Pierre ou Paul, vous ou moi. C'est vous quand je dis: On est bien jolie; et c'est moi dans cette phrase; On vous trouve bien jolie aujourd'hui; si j'emploie l'on dans ces deux cas; je m'exprime mal évidemment.

Vous savez que Pascal trouvait le moi haïssable et que les écrivains de Port-Royal évitaient pour cette raison d'employer je et moi. Ils disaient On a reçu votre lettre, au lieu de: J'ai reçu. L'on serait mauvais encore dans ce cas.

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