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A. DE MUSSET, 64.

Avez-vous noté, dans cette poésie de Musset, deux choses, je veux dire les différents moments qu'il représente dans son passé, et un événement qui se produit à chacune de ces heures de sa vie ? Nous remarquons les deux choses, et nous voyons qu'il exprime par l'imparfait ces situations différentes. Nommez ces situations. - Du temps qu'il était écolier, il veillait un soir dans une salle solitaire. Voilà sa situation et l'imparfait, mais un événement se produisit alors, son horloge marqua un instant qui ne passa pas inaperçu comme les autres. Voici le prétérit défini qui se présente, n'est-ce pas ? -Oui, car devant la table de l'écolier vint s'asseoir un pauvre enfant vêtu de noir. Cet enfant lui ressemblait comme un frère.

Pourquoi ne dites-vous pas ressembla, monsieur ? - Ne voyez-vous pas qu'il faut employer l'imparfait, madame? L'enfant vêtu de noir n'avait-il pas habituellement la figure de Musset? - Si, monsieur, je comprends: son visage était triste et beau comme celui du jeune garçon.

Mais les événements qui se passent devant l'écolier sont

tous marqués par le prétérit défini: dans mon livre il vint lire; il pencha son front sur ma main; il resta pensif jusqu'au lendemain.

Voilà, monsieur, un prétérit qui exprime une action qui dure: l'enfant resta pensif; il fut toute la nuit dans cet état. N'est-ce pas le cas d'employer l'imparfait ? Non, madame: le passé est bien déterminé et bien passé. L'enfant resta pensif jusqu'au lendemain; il fut pensif toute cette nuit-là. Il n'avait pas l'habitude de rester pensif toute la nuit. comprends, monsieur, ce prétérit défini. Écoutez.

Je

Candide, chassé du paradis terrestre, marcha longtemps sans savoir où, pleurant, levant les yeux au ciel, les tournant souvent vers le plus beau des châteaux qui renfermait la plus belle des baronnettes; il se coucha sans souper au milieu des champs entre deux sillons; la neige tombait à gros flocons." VOLTAIRE, xviii. 145.

Candide marcha longtemps, mesdames: Voltaire emploie cependant le prétérit défini. Pourquoi ? Parce que cela arriva une fois, le jour, et dans les circonstances que l'écrivain indique, je suppose. - Oui, Candide avait perdu son amie, et obligé de s'éloigner du château qui la renfermait, il marcha longtemps. N'importe combien de temps il marcha: ce n'était pas son habitude de marcher ainsi longtemps, sans savoir où, pleurant et levant les yeux au ciel. Ce jour-là il se coucha - Mais le château renfermait d'ordinaire la belle baronnette, n'est-ce pas, monsieur? Oui, mademoiselle, et pendant que Candide était couché entre deux sillons, la neige tombait à gros flocons. La neige a-t-elle cette habitude? Elle tombait ainsi dans ce moment-là, tombait, tombait; cela durait et Candide ne savait quand la neige finirait de tomber. C'était pour lors l'état habituel de la neige, et elle aura tombé ainsi jusqu'à ce qu'un événement, un changement se soit produit dans l'atmosphère.

sans souper.

La question de ces deux temps devient très-claire, monsieur. Mais tous les cas sont-ils aussi évidents? — Oui, madame: l'imparfait marque toujours un état de choses établi, quelque chose d'habituel, soit que cet état de choses dure, soit qu'il se répète. C'est ainsi que Calypso était inconsolable; sa douleur durait. Oui, et c'est ainsi d'autre part qu'elle se promenait seule; cette action se répétait souvent.

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--

J'ai ici la Grammaire des grammaires par Girault-Duvivier: vous me l'avez recommandée, monsieur. Oui, mademoiselle, parce que vous enseignez. Vous faites bien de la consulter: c'est la meilleure grammaire, quoiqu'elle soit pleine d'erreurs. Ne vous y fiez entièrement sur aucune question. - Cette grammaire donne trois cas d'imparfait, et vous n'en donnez qu'un. Lisez, s'il vous plaît. - Je commence par la

voici le troisième cas.

queue:

"On se sert de l'imparfait pour n'exprimer qu'un rapport au présent; mais il doit être précédé de si, signifiant supposé que: Si j'étais en crédit, je vous serais utile."

Quelle langue métaphysique, monsieur !-Oh! mesdames, les grammairiens écrivent comme cela.

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Eh bien, mademoiselle, ce cas d'imparfait ne demande aucune explication. Ne l'avez-vous pas dans votre langue? - Si. IF I WAS IN FAVOR I WOULD SERVE YOU. · En conséquence je ne m'y arrête point. Continuez, je vous en prie.

66

'L'imparfait marque une chose faite dans un temps passé, mais comme présente à l'égard d'une autre chose faite dans un temps également passé."

Cette règle est fausse. Voyez: Il sortit au moment où Vous entrâtes. Cette chose sortir est faite dans un temps passé, n'est-ce pas ?- Oui. Et l'autre chose, entrer est faite aussi dans le passé ? Oui. La première chose sortir n'est-elle pas présente à l'égard de l'autre chose entrer ? — Si, mais vous parlez comme la grammaire, monsieur. - Vous

avez raison, mesdames, ce langage est affreux. Que j'achève bien vite.

Les deux choses sont au prétérit défini, malgré la règle de Girault-Duvivier. Vous voyez donc qu'elle est fausse et qu'il ne reste que cette règle unique que les maîtres viennent de nous enseigner.

rence.

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Ne peut-on pas dire: Il sortait au moment où vous entrâtes? -On le peut, madame. Notre règle seule explique la différence des deux phrases. Je ne comprends pas cette diffé- Elle est grande et évidente. Quand je dis Il sortit au moment où vous entrâtes, je marque deux événements, et nécessairement je les exprime par le passé défini. Dans ma chambre deux événements se produisirent: lui, il était là, près de moi, causant avec moi, ou, que sais-je? écoutant une lecture que je lui faisais, et vous, vous n'étiez pas dans ma chambre, vous étiez dehors, vous montiez mon escalier probablement. Voilà l'état dans lequel vous étiez, vous et lui, quand un changement, un double événement se produisit : il sortit, vous entrâtes. Comprenez-vous, mesdames ? — Parfaitement.

Mais il sortait au moment où vous entrâtes, ne vous présente qu'un événement: vous entrâtes. Mais, monsieur, celui qui était auprès de vous sortit. - Pardon, mademoiselle, il ne sortit pas, car il sortait; il était déjà dans cet état quand vous entrâtes, et voilà pourquoi j'emploie l'imparfait. C'est clair, monsieur.

Tenons-nous donc, mesdames, à cette loi unique, et efforçons-nous toujours de simplifier les règles, et d'en diminuer le nombre. C'est parce que les grammairiens ne s'adressent qu'à notre mémoire, parce qu'ils ne comprennent pas la langue, et ne s'efforcent même pas de la comprendre, c'est pour cette raison qu'ils formulent tant de règles et tant d'exceptions.

Pour finir notre première étude, je vous lis encore quelques passages des grands écrivains.

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