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Trente ans plus tard, l'abbé Faria avait encore une autre méthode. Il faisait asseoir dans un fauteuil la personne à magnétiser, et l'engageait à fermer les yeux en se recueillant. Puis, tout à coup il lui disait d'une voix impérative et forte Dormez! répétant, s'il le fallait, cet ordre jusqu'à quatre fois. Il se vantait d'avoir ainsi fait tomber en somnambulisme plus de cinq mille personnes. Par une singulière coïncidence, il arrivait de la médecine antimagnétique de singuliers récits. Un médecin distingué de Lyon, le docteur Pététin, très-ennemi de la nouvelle doctrine, assurait avoir observé un cataleptique qui voyait, entendait et sentait par le creux de l'estomac et même par le bout des doigts et des orteils. Il le déclara en 1787, et consignait encore sept observations du même genre dans un mémoire publié après sa mort, où il attribuait ces faits à l'électricité animale accumulée en certaines parties du corps. Dans sa première relation, il expliqua les faits comme il voulut; les magnétiseurs les expliquèrent par le magnétisme.

Ainsi le magnétisme se transformait. A la place du baquet de Mesmer, de simples attouchements ou des volontés; à la place des crises violentes, un sommeil réparateur; à la place des traitements publics et des excitations de la foule, en général, des traitements particuliers, sous l'impression des

merveilles racontées. Puis, dans les sujets magnétisés, des vertus nouvelles : l'obéissance absolue, pendant tout le sommeil, au magnétiseur, qui dirige à son gré leurs pensées et leurs sentiments; la faculté de deviner, sans aucune communication extérieure, les pensées du magnétiseur; la connaissance des maux des personnes qui leur sont présentées, et même le sentiment de ces maux dans leur propre corps; quelquefois l'indication des remèdes utiles. Enfin, outre les prévisions des crises à venir, une vertu qu'on désirerait bien avoir, mais qui n'est pas encore suffisamment constatée, le don de voir et d'entendre sans yeux et sans oreilles. Le somnambulisme ne se développe pas chez tous les magnétisés; mais, à cette époque, on en vint à ce qu'un cinquième des malades magnétisés tombaient en somnambulisme plus ou moins parfait.

Tardy de Montravel célébrait (1785) les merveilles du magnétisme en ces termes : « L'âme plane, comme l'aigle, au haut des nues, pendant le sommeil des sens extérieurs. Dominant alors sur les opérations de la matière, elle embrasse d'un vaste coup d'œil toutes les possibilités physiques, qu'elle n'eût parcourues dans l'état de veille que successivement; mais sa vue est toujours bornée dans la sphère des sens, dont elle n'a pu se dégager entièrement. Si quelques motifs viennent déter

miner plus particulièrement son attention vers une des portions de l'ensemble, elle voit alors cette portion dans le plus grand détail, tandis que le reste devient vague et confus. »

Porté par la première impulsion et par le bruit des prodiges nouveaux, le magnétisme se répandit dans les provinces. Les traitements magnétiques de Lyon, de Bordeaux, de Strasbourg, de Bayonne, où le comte Maxime de Puységur opéra jusqu'à soixante cures certifiées, devinrent surtout célèbres. Dans Strasbourg, la société de l'Harmonie était composée de plus de cent cinquante membres, et profitait tous les jours. Elle a publié des annales. Il y avait plus de quarante de ces sociétés en différentes villes, qui comptaient en France et à l'étranger plus de quatre mille associés. Thouret fait remarquer, comme un argument contre le magnétisme, que dans les pays d'universités, où le contrôle était plus facile, il ne réussit pas, à Montpellier, par exemple, et à Rennes, tandis qu'il prenait à Marseille et dans les petites villes de Bretagne. A Loudun, l'ancienne ville des possédées, il tomba complétement. Malgré des échecs, le magnétisme se développa hardiment en province. On entendit bien parler à Paris de ces merveilles; mais à Paris on ne s'occupe pas de la même chose deux fois de suite. Puis la Révolution approchait, avec ses préoccupations d'un autre

genre Beaumarchais et Mirabeau firent oublier Mesmer. Le magnétisme émigra, fut pour cela un peu suspect au retour, et dut reconquérir la place, ce qui est toujours plus difficile que d'y entrer une première fois.

VIII.

Dernière apparition de Mesmer: jugement et explication du somnambulisme. Derniers écrits.

A partir du rapport de Bailly, Mesmer avait disparu de la scène. Retourné en Allemagne, il y apprit les merveilles du somnambulisme nouveau. Cela l'émut sans doute : il vit à la fois avec plaisir et avec inquiétude cet enfant survenu en son absence, et, en 1799, il publia à Paris le Mémoire sur ses découvertes. Il s'y plaint de ce qu'on a confondu le magnétisme avec le somnambulisme, et il s'empare du somnambulisme en en fournissant la théorie. Suivant lui, il y a un sens interne, un centre nerveux formé par la réunion de l'entrelacement des nerfs, dont les extrémités que nous appelons les sens ne sont que les prolongements. Le sens interne est en rapport avec toute la nature par le moyen d'un fluide subtil qui agit sur lui comme la lumière sur nos yeux, mais dans toute sorte de directions. Il peut, dans certaines circon

stances, acquérir une irritabilité excessive. Alors il remplit les fonctions de tous les autres sens qui, par cela même, semblent avoir reçu une extension prodigieuse. La plupart des maladies nerveuses, la folie, l'épilepsie, la catalepsie, ne sont qu'un somnambulisme. imparfait ou dégénéré. Dans ce Mémoire le maître se plaint déjà des exagérations, des abus et des absurdités auxquels sa découverte a donné lieu. Il publia encore pour les Allemands son Mesmerismus (Berlin, 1815) et mourut cette même année. Deleuze, sur le souvenir des anciens amis de Mesmer, le représente comme un homme R avide de gloire, mais en même temps plein de charité pour l'humanité souffrante, L'opinion publique est beaucoup moins assurée sur ce personnage, et ne sait au juste quelle part il faut faire chez lui à l'enthousiasme et à l'habileté. Il y eût probablement été bien embarrassé lui-même.

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IX.

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Résurrection du magnétisme: histoire critique de Deleuze (1813). Procédés pour magnétiser. Caractères du somnambulisme. Cours public du docteur Bertrand.

Expériences dans les hôpitaux de Paris (M. Dupotet). — Enquête demandée à l'Académie de médecine par le docteur Foissac.

En 1813 parut l'Histoire critique du magnétisme, de Deleuze. C'était une bonne fortune pour une

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