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moral, l'imitation machinale met en jeu le physique. Dans les théâtres, quand le public est nombreux, les impressions se communiquent et se renforcent. Dans les batailles, le courage et les terreurs paniques se répandent pareillement. Autour du baquet de Mesmer et de Deslon, quand un malade entre en convulsions, les autres suivent.

Imagination, attouchement, imitation, par-dessus tout imagination, voilà à quoi se réduit, dans le rapport de Bailly, le fluide magnétique. Ainsi on observe le premier principe de la science physique, qui est de ne pas admettre de nouvelles causes sans une absolue nécessité. Deslon, tout en maintenant l'action d'un fluide, avouait la force de l'imagination; il disait aux commissaires qu'ainsi dirigée au soulagement de l'humanité souffrante, elle ferait un grand bien dans la pratique de la médecine. Il avait déjà écrit en 1780: « Si M. Mesmer n'avait d'autre secret que celui de faire agir l'imagination efficacement pour la santé, n'en aurait-il pas toujours un bien merveilleux? car si la médecine d'imagination était la meilleure, pourquoi ne ferions-nous pas la médecine d'imagination?

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En même temps qu'ils publiaient ce rapport, les commissaires en remettaient au ministre un autre secret, où ils exprimaient le danger du mesmérisme relativement aux mœurs.

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Le rapport de la Société royale de médecine suivit bientôt. C'étaient les mêmes conclusions. Il fut signé par tous les commissaires, sauf Laurent de Jussieu, qui publia un rapport à part. Au fond, il se rapprochait sur beaucoup de points de ses confrères La théorie du magnétisme ne peut être admise tant qu'elle ne sera pas développée el étayée de preuves solides; » comme eux, il niait l'existence d'un fluide particulier, et, comme eux, expliquait nombre d'effets par les trois causes que nous avons dites; mais il avait observé quelques faits qu'il ne pouvait expliquer par là, et cherchait une cause à laquelle ils fussent raisonnablement attribués. « Un seul fait positif, disait-il, qui démontrerait évidemment l'existence d'un agent intérieur, détruirait tous les faits négatifs qui constatent seulement sa non-action. » Fidèle aux scrupules de la science, il allait chercher dans la physique connue cet agent. « L'action attribuée à un fluide universel non démontré appartient certainement à la chaleur animale existant dans les corps, qui émane d'eux continuellement, se porte assez loin, et peut passer d'un corps dans un autre. La chaleur animale est développée, augmentée ou diminuée par des causes morales et par des causes physiques. Jugée par ses effets, elle participe de la propriété des remèdes toniques.... » Il l'appelle ailleurs le fluide électrique animalisé. « Poussé par une force

impérieuse, ce fluide se jette avec impétuosité sur les corps privés d'électricité, et s'échappe avec le même effort de ceux dans lesquels il est accumulé. »

Deslon protesta contre le rapport de Bailly, et annonça qu'il était sans crainte sur le sort du magnétisme, puisque Mesmer avait fait trois cents élèves et lui cent soixante, parmi lesquels vingt et un membres de la Faculté de Paris.

VI.

Défaite du mesmérisme à Paris. - Vaudevilles. Mort intempestive d'un défenseur. - Amis maladroits. — Epigrammes.

Ce qui fit plus de tort à Mesmer que les jugements des corps savants, ce fut une farce jouée à la Comédie-Italienne, intitulée les Docteurs modernes. Les éclats de rire, rapporte un témoin, partaient à chaque couplet des loges et du parterre, et les acteurs riaient comme les spectateurs. Ce qui prouve seulement qu'on avait bonne envie de rire, et, une fois de plus, qu'il n'y a ni mauvais vers ni mauvaise prose pour l'esprit de parti. On reconnut Mesmer à cette profession du docteur Cassandre:

Flatter et les sens et l'esprit et le cœur,
Tel est, mon ami, le remède enchanteur
Que je préterds mettre à la mode.

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Il y eut des malheurs. Court de Gébelin, travaillé d'une cruelle maladie, eut recours au magnétisme, et se sentit d'abord soulagé. Dans sa reconnaissance, il attesta par un écrit public qu'il était guéri par Mesmer, et le témoignage de ce personnage distingué faisait déjà le meilleur effet en faveur du magnétisme, quand il mourut. Les partisans de Mesmer assurent qu'il prolongea d'un an la vie du malade; toujours est-il qu'une de ces choses arriva mal à propos, le certificat ou la mort de l'auteur; et un journal annonça cet événement de la manière suivante : « M. Court de Gébelin, auteur du Monde primitif, vient de mourir, guéri par le magnétisme animal. » On juge si cette plaisanterie tomba.

Puis c'est un enthousiaste maladroit, Duval d'Espréménil, conseiller au Parlement, qui, voulant combattre le ridicule qu'on jette au magnétisme, y ajoute le sien. Il compose un pamphlet où il compare Mesmer à Socrate persécuté par le gouvernement d'Athènes, et livré par Aristophane aux risées du peuple railleur, et fait parvenir au roi un mémoire contre le lieutenant général de police el le censeur qui ont permis la représentation des Docteurs modernes. Le roi s'en fait lire les deux premières pages dans la société de la reine, commence par rire, et finit par dire que l'auteur est un fou et que tout cela l'ennuie. Alors d'Esprémé

nil en appelle au peuple, et, pendant la représentation de la fâcheuse pièce, il fait jeter au parterre un supplément à son premier pamphlet. « Il y dénonce, dit Grimm, la pièce comme un mauvais ouvrage dramatique, les auteurs comme des lâches qui ridiculisent, à l'abri de l'autorité, un homme de génie bien supérieur à Newton; il y dénonce et tance vivement tous ceux qui rient aux Docteurs modernes, comme des audacieux qui se donnent les airs d'avoir de la gaieté avant d'y être autorisés par un arrêt du Parlement, par-devant qui Mesmer s'est pourvu contre les différents rapports faits et publiés par ordre du gouvernement.

Enfin, pour comble d'infortune, un imbécile de laquais ayant reçu d'une dame un louis pour siffler les Docteurs modernes, et voulant honnêtement gagner son argent, prend pour la seconde pièce, qui devait être celle-là, le second acte de la première, siffle à outrance, se fait arrêter et confesse tout.

Aucun événement qui attirait l'attention du public pendant quelques minutes ne se passait alors sans fournir aux petits vers. Palissot avait composé une belle épigramme sur le ton héroïque, pour être mise au bas du portrait de Mesmer :

Le voilà ce mortel dont le siècle s'honore,
Par qui sont replongés au séjour infernal

Tous les fléaux vengeurs que déchaîna Pandore;

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