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les campagnes, des maléfices et des sortiléges au quels sont exposés les animaux domestiques. L bergers avaient, pour ainsi dire, monopolisé cet sorte de maléfices. On les accusait de répandre leur gré les épizooties, de rendre les chevaux in mobiles, de dessécher les pâturages pour fai mourir de faim les troupeaux de leurs ennemis, ( de changer en loups les agneaux naissants, qui dé voraient leurs mères au lieu de les teter; mais par compensation, s'ils étaient puissants pour 1 mal, ils l'étaient également pour le bien. Ils avaien des formules infaillibles pour guérir les animau ou pour éloigner les loups; en voici un échantillon:

« Le château de Belle-Garde pour les chevaux. Prenez du sel sur une assiette; puis, ayant le dos tourné au lever du soleil, et les animaux devant vous, prononcez, étant à genoux, la tête nue, ce qui suit:

«Sel qui es fait et formé au château de Belle, sainte belle Élisabeth, au nom de Disolet, Soffe portant sel, sel dont sel, je te conjure au nom de Gloria, Dorianté et de Galliane, sa sœur; sel, je te conjure que tu aies à me tenir mes vifs chevaux de bêtes cavalines que voici présents, devant Dicu et devant moi, saints et nets, bien buvants, bien mangeants, gros et gras, qu'ils soient à ma volonté; sel dont sel, je te conjure par la puissance

de gloire, et par la vertu de gloire, et en toute mon intention toujours de gloire.

«Ceci prononcé au coin du soleil levant, vous gagnez l'autre coin, suivant le cours de cet astre, Vous y prononcez ce que dessus. Vous en faites de même aux autres coins; et étant de retour où vous avez commencé, vous y prononcez de nouveau les mêmes paroles. Observez, pendant toute la cérémonie, que les animaux soient toujours devant vous, parce que ceux qui traverseront sont autant de bêtes folles.

« Faites ensuite trois tours autour de vos chevaux, faisant des jets de votre sel sur les animaux, disant Sel, je te jette de la main que Dieu m'a donnée; Grapin, je te prends, à toi je m'attends.—

-

«Dans le restant de votre sel, vous saignerez l'animal sur qui on monte, disant :-Bête cavaline, je te saigne de la main que Dieu m'a donnée; Grapin, je te prends, à toi je m'attends. »

On pourrait choisir entre mille recettes du même genre; mais comme elles se valent toutes, et que quelques-unes seulement se distinguent par des profanations et des blasphèmes, nous n'insisterons pas plus longtemps, et pour en finir avec les maléfices de cette espèce, nous ajouterons que certains sorciers avaient la prétention de créer des animaux, et de les tirer, comme Dieu, du néant. L'auteur du Monde enchanté, Bekker, a examiné à

fond cette question, et si, forcé, dit-il, par l'évi dence, il accorde aux magiciens le pouvoir de fair des poux, il croit que ce pouvoir se borne là, et leur refuse même celui de faire des grenouilles.

XV.

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Opérations de la sorcellerie contre les hommes. Maladie effroyables. Envoûtement. La fièvre du roi Duffus. L'évêque Guichard, la reine Blanche et sa fille Jeanne. - De l'envoûtement à la cour de France au xvie siècle.

... En suivant les pratiques de la sorcellerie d'après l'échelle ascendante des êtres, nous arrivons des éléments à la matière, de la matière à l'animal, de l'animal à l'homme, et nous trouvons le magicien opérant sur ses semblables et, en dernière analyse, sur lui-même; en d'autres termes, le sorcier ensorcelle les autres et finit aussi par s'ensorceler. Ici encore nous allons le suivre pas à pas à travers ses ténébreuses pratiques.

Lorsque le sorcier agit sur les autres ou pour les autres, c'est, en général, pour nuire ou servir des passions coupables, et en cela il diffère essentiellement de l'enchanteur et même du magicien, tel que ce dernier est présenté par les croyances orientales, ou par les plus anciens poëmes chevaleresques, car dans ces poëmes, comme dans ces croyances, le magicien fait plus volontiers le bien

que le mal, et on peut le prendre sans scrupule pour un savant ou pour un sage. Quant au sorcier, c'est toujours et partout, dans ses rapports avec ses semblables, l'homme que nous avons vu plus haut pactiser avec le diable; c'est toujours un être foncièrement méchant; on en jugera par ce qui suit.

Comme les dieux de l'enfer païen, le sorcier ne sait point s'attendrir, et pour se venger de ses ennemis, quelquefois même pour tourmenter par plaisir ceux qui lui font envie, il les frappe de maladies effroyables. M. de Saint-André parle d'une jeune fille ensorcelée, qui, après avoir perdu le mouvement et la respiration, vomit, pendant plusieurs mois, des coques d'œufs, du verre, des coquilles, des clous de roues de chariot, des couteaux, des aiguilles et des pelotes de fil. D'autres Vomissaient des crapauds, des serpents, des hiboux; quelquefois le sorcier ordonnait au diable lui-même d'entrer dans le corps de la victime, et alors on voyait se produire, par l'effet du maléfice, tous les phénomènes de la possession. Les ensorcelés qui portaient en eux un autre être, se détournaient de la société des hommes pour s'exiler dans les cimetières, et jusque dans les tombeaux. Leur figure avait la couleur du cèdre; leurs yeux rouges comme des charbons, sortaient des orbites; leur langue, roulée comme un cornet, pendait sur

leur menton, et le contact et la vue des choses saintes produisaient sur eux le même effet que l'eau sur les hydrophobes. La médecine était impuissante à les guérir, et ils mouraient souvent comme suffoqués par le diable.

On envoyait aussi la maladie et la mort, soit aux personnes avec lesquelles on pouvait communiquer, soit à celles qui se trouvaient à de grandes distances, à l'aide de figures de cire, faites à leur image; ce genre de maléfice, connu au moyen âge sous le nom d'envoussure ou d'envoûtement, fut souvent pratiqué, principalement contre les grands personnages. Après avoir baptisé, nommé et habillé la figure qui servait à l'envoûtement, on la frappait, on la blessait plus ou moins fort, on la jetait à l'eau, on la brûlait, on l'enterrait, on la pendait, on l'étouffait, et toutes les tortures à laquelle elle était soumise se répétaient sur les corps des vivants. Quelquefois, lorsqu'on voulait faire mourir à petit feu l'envoussé, on enfonçait dans la statuette, où on les laissait fixées à demeure, des épingles très-aiguës, de telle sorte que le malheureux sentit constamment dans ses chairs la pointe meurtrière.

Les affaires d'envoûtement sont très-nombreuses au moyen âge, et même à une époque assez rapprochée de nous; elles sont de plus répandues dans toute l'Europe. On racontait en Écosse que le roi Duffus, ayant été attaqué tout à coup d'une

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