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toutes choses se rendirent invisibles, parce que la feue royne mère n'en voulut voir davantage.

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Les sorciers appliquaient leur science divinatoire à prédire les événements les plus importants comme les plus futiles; ils donnaient l'horoscope des peuples, des villes et des individus. Ils annonçaient les disettes, les tremblements de terre, la perte ou le gain des batailles, et leurs prédictions, propagées dans la foule, tenaient souvent pendant de longues années tout un peuple en émoi. Ils annonçaient également, dans la vie privée, les maladies, la mort, la perte de la fortune, les héritages, les infidélités des amants et des maîtresses. Plusieurs d'entre eux payèrent de leur vie leur prétendue science, et il en fut quelquefois de même de ceux qui les consultaient. En 1521, le duc de Buckingham fut décapité pour avoir écouté les prédictions d'un devin nommé frère Hopkins, et vers le même temps lord Humperford fut également décapité pour avoir consulté certains devins sur le terme de la vie de Henri VIII. A toutes les époques et dans tous les rangs de la société, chose humiliante pour la raison, ces prophètes de mensonges ont trouvé autour d'eux une foi robuste; la divination a même échappé au scepticisme moderne; bien des esprits forts, qui ne sont souvent en réalité que des esprits faibles, après avoir douté de tout, n'auraient point osé douter de cette science absurde, et comme

preuve, il suffit de nommer Cagliostro, Mlle Lenormant, les cartomanciens, les buccomanciens, l'auteur du Corbeau sanglant, et les devins de nos bals publics. Vantons-nous après cela du progrès de nos lumières, de notre perfectibilité et de notre civilisation.

XIV.

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Les sorciers font la pluie et le beau temps. Les marchands de tempêtes. Ensorcellement des terres, des moissons et des animaux domestiques.

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Formules.
Création d'animaux vivants.

Le château de Belle

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En même temps qu'ils révélaient les mystères de l'avenir, les sorciers opéraient sur les éléments, les hommes, les animaux, les objets immatériels, et enfin sur eux-mêmes une foule de prodiges désignés sous le nom de sorts, enchantements, maléfices, envoussures, aiguillettes, etc. Dans ce monde sans bornes de l'erreur, toutes les absurdités s'enchaînaient logiquement et découlaient pour ainsi dire les unes des autres. Dès que la possibilité d'un seul fait était admise, on pouvait en admettre mille; ils se valaient tous, et l'on n'avait point à choisir.

Quand ils opéraient sur les éléments, les sorciers produisaient à leur gré le beau temps ou la pluie, le froid ou le chaud; mais comme ils étaient essentiellement malfaisants de leur nature, ils ne

donnaient de beau temps que quand ils en avaient besoin pour eux-mêmes; ils excitaient le plus souvent des ouragans et des tempêtes. Ceux qui se livraient à cette spécialité sont désignés par les lois romaines de la décadence et les lois du moyen âge, dont quelques-unes les punissent de mort, sous le nom de missores tempestatum, tempestarii. Un roi des Goths, suivant le Démonographe de Lancre, n'avait, pour exciter un orage, qu'à tourner son bonnet du côté où il voulait que le vent soufflat. Les Norvégiens et les Danois, peuples navigateurs, excellaient dans ces sortes de pratiques, et leurs sorciers vendaient le vent, le beau temps et la tempête. «Un respectable voyageur allemand, qui explora le nord vers la fin du XVIe siècle, raconte, dit M. Marmier dans ses Souvenirs de voyage, qu'il acheta d'un Finlandais un mouchoir, où il y avait trois nœuds qui renfermaient le vent. Quand il fut en pleine mer, le premier nœud lui donna un délicieux petit vent d'ouest-sud-ouest, qui était précisément celui dont il avait besoin. Un peu plus loin, comme il changeait de direction, il ouvrit le second nœud, et il survint un vent moins favorable; mais le troisième nœud produisit une horrible tempète, et c'était sans doute, dit, le naïf conteur, une punition de Dieu que nous avions irrité en faisant un pacte avec des hommes réprouvés.

On ensorcelait des pays tout entiers comme on

ensorcelait un homme. Les forêts surtout jouent un grand rôle dans les traditions magiques, et quand elles sont possédées ou habitées, soit par des sorciers, soit par des enchanteurs, elles prennent le nom de forêts enchantées. Il en est souvent parlé dans la Jérusalem du Tasse. La plus célèbre l en France, était celle de Brocéliande, que nous avons mentionnée plus haut à l'occasion de Merlin, et dont la forêt de Lorges comprend encore quelques débris. Les bêtes venimeuses et les mouches qui nuisent au bétail ne pouvaient vivre sous ses ombrages. On trouvait au centre de cette forêt la fontaine de Bellenton, auprès de laquelle le chevalier Pontus fit sa veille des armes, et près de la fontaine une grosse pierre, nommée le perron) de Bellenton. Chaque fois que dans le pays on avait besoin de pluie, pour les biens de la terre, le seigneur de Montfort se rendait à la fontaine; il « arrosait la pierre avec l'eau de cette fontaine, et le jour même, de quelque côté que le vent ait soufflé, il tombait des pluies si abondantes et si tièdes que ↑ la terre en était fécondée pour longtemps.

Les sorciers se vantaient également d'arrêter le cours des fleuves, de les faire remonter vers leur source, de produire la foudre et de la faire tomber là où ils voulaient, de transporter les moissons d'un champ dans un autre, de frapper les terres de stérilité. Chez les Romains, cette dernière opéra

tion se pratiquait au moyen d'une pierre qui, placée sur le sol que l'on voulait rendre improductif, indiquait qu'il était voué à la malédiction, et que ceux qui oseraient le cultiver étaient à leur tour voués à la mort. Les lois prononçaient la peine capitale contre les sorciers qui se livraient à cet enchantement. Des faits analogues se produisirent au moyen âge et même dans les temps modernes. On vit se former en Écosse des associations de sorcières, dont le but était de s'approprier la récolte des champs qui ne leur appartenaient pas, et la superstition populaire s'emparant de ce fait, inventa une foule de légendes. On disait que, quand les sorcières voulaient s'emparer des produits d'un champ, elles labouraient ce champ avec un attelage de crapauds; que le diable lui-même conduisait la charrue, que les cordes de cette charrue étaient de chiendent, que le soc était fait avec la corne d'un animal châtré, que ce singulier labourage une fois terminé, tous les fruits passaient d'eux-mêmes dans la grange des sorcières, et qu'il ne restait au propriétaire que des épines et des

ronces.

Quand on agissait avec cette puissance sur la matière, on devait à bien plus forte raison agir sur les êtres vivants; aussi voyons-nous les croyances populaires se préoccuper constamment, et avec une insistance qui persiste encore aujourd'hui dans

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