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se rompissent le cou; le diable l'a incitée à faire devenir fous, à faire mourir subitement tous les habitants de la maison.

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Elle a mangé de la chair des petits enfants; elle en a porté sept ou huit à la synagogue, où on les a tués; elle a mangé de la chair d'un de ces cnfants, et du cœur d'autres enfants. Elle en a tué un de ses propres mains, avec un licou; c'est Béelzébuth qui le lui a commandé. Elle a été baptisée au nom de très-méchants démons.

Elle a donné au diable une cédule signée de son propre sang, par laquelle elle lui donnait son corps et son âme. Elle a renié Dieu, sa mère et toute la cour céleste. »

Pour échapper aux affreuses souffrances auxquelles ils étaient soumis dans la torture, les sorciers, au moyen de certaines drogues dont la recette est aujourd'hui perdue, arrivaient à un état complet d'insensibilité. Cet état est attesté par un grand nombre d'écrivains, entre autres par Laboureur, avocat du roi au bailliage de Dijon, qui, dans son Traité des faux sorciers et de leurs impostures, publié en 1585, dit qu'il est inutile de donner la question, à cause d'une drogue engourdissante que les geôliers vendaient aux accusés. Nicolas Eymeric, grand inquisiteur d'Aragon, dans son Directoire des inquisiteurs, parle également en termes formels de sorciers qui, appliqués à la tor

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ture, paraissaient insensibles. Les phénomènes de l'éthérisation donnent à ces faits un nouveau degré de vraisemblance; mais, si les accusés parvenaient ainsi à se dérober aux douleurs de la question, ils ne se dérobaient point pour cela au supplice,-car les juges, en voyant l'adresse des bourreaux impuissante et vaincue, se rejetaient encore sur le diable, qu'ils accusaient d'être l'auteur de ce phénomène, après l'avoir accusé, toutefois, comme nous l'avons vu plus haut, d'abandonner ses disciples lorsqu'ils tombaient sous la main de la justice, et l'insensibilité fut regardée comme la preuve la plus certaine de la culpabilité. Que pouvait-on attendre de juges comme de Lancre, comme Boguet ou comme les membres du parlement d'Aix, qui siégèrent dans le procès du curé Gaufridi? Ces derniers entraient pour tenir séance dans la grande chambre, lorsque tout à coup on vit rouler sur le parquet, au milieu d'un nuage de poussière, un objet volumineux et noir. Messieurs de la Tournelle. épouvantés, s'imaginant qu'ils avaient affaire all diable, se mirent à fuir en criant, hormis le rapporteur, qui, embarrassé dans sa robe, s'était agenouillé en marmottant des prières. L'objet noir, à son tour, demanda pardon, et tout s'éclaircit. Le prétendu diable était un petit ramoneur qui, en train de nettoyer la cheminée, avait perdu l'équi libre; les fugitifs se remirent en séance; le rappor

teur commença la lecture des pièces, et Gaufridi fut condamné au feu, sans qu'il leur vînt à l'idée que d'autres avaient pu, comme eux, prendre un ramoneur pour le diable.

C'est à peine si, durant de longs siècles, quelques voix s'élevèrent pour protester contre ces cruautés et ces folies qui infestèrent les plus beaux jours du règne de Louis XIV lui-même. Fénelon, La Fontaine, La Bruyère, Molière, s'élèvent en plusieurs passages de leurs écrits immortels contre l'absurde croyance à l'astrologie judiciaire, toute-puissante encore dans les hautes classes de la société; et, quoique tout soit possible aux hommes en fait de sottise et de méchanceté, on ne peut comprendre que les procès de Loudun et de Louviers soient contemporains de la Méthode de Descartes, de Polyeucte et de Cinna. La lumière, cependant, brillait d'un éclat trop vif pour que les ténèbres de la sorcellerie ne fussent point bientôt dissipées. La croyance absolue, qui avait été si longtemps la règle générale, devint enfin l'exception. Le parlement donna le signal de la réaction officielle. Il demanda, avant de condamner au feu, des preuves certaines et évidentes. Il infirma ou modéra un grand nombre de sentences des juges inférieurs, craignant justement, dit le père Le Brun, que certes on n'accusera pas de scepticisme, de condamner des visionnaires plutôt que des malfaiteurs, et il posa en

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principe qu'on ne devait examiner les accusés que par des voies naturelles et légitimes. En 1672, une déclaration de Louis XIV défendit à tous les tribunaux du royaume d'admettre les simples accusations de sorcellerie; enfin, en 1682, une ordonnance nouvelle réduisit les crimes de magie à des proportions naturelles, en les traitant comme des impiétés et des sacriléges. L'exemple de Louis XIV fut suivi en Angleterre, et, là comme en France, cette date de 1682 marque la fin des persécutions.

Depuis cette époque jusqu'à nos jours, on vit encore çà et là se reproduire quelques faits qui attestent combien est puissante la persistance des traditions. En 1732, Dangis publia un traité sur la magic, en appelant sur les sorciers la sévérité des lois. En 1750, à Wurtzbourg, on brûla une religieuse qui se prétendait sorcière, et qui affirmail avoir donné la mort à plusieurs personnes, quoique ces personnes vécussent encore. Des illuminés fondèrent en Allemagne une école de magie et de théurgic, et recrutèrent de nombreux disciples; enfin, de notre temps même, le 2 décembre 1823, un arrêt de la cour prévôtale de la Martinique condamna aux galères à perpétuité un nègre, nommé Raymond, comme véhémentement soupçonné d'avoir usé de sortiléges et maléfices.

Aujourd'hui la sorcellerie s'est réfugiée au fond des campagnes, plutôt comme un souvenir que

comme une croyance encore vivace et agissante. Les bergers en sont les derniers représentants, comme Matthieu Laensberg est le dernier représentant des astrologues, comme les fées sont les dernières filles des druides. Mais les fées ont perdu leur baguette; les sorts des bergers ne changent plus en loups les jeunes agneaux; le voyageur qui se met en route sans manteau, sur la foi de Matthieu Laensberg, est souvent trempé par la pluie ; et ce monde fantastique dont nous venons de raconter l'histoire s'est évanoui devant les clartés de notre âge comme le palais de Morgane aux premiers rayons du jour. Malgré son impuissance et sa folie, la sorcellerie n'en a pas moins dominé longtemps avec l'autorité des choses les plus vraies et les plus saintes; elle a tenté de supplanter la science; elle s'est révoltée contre Dieu; elle a fait éclater au grand jour tout ce qu'il y a de folie et de méchanceté au fond de l'âme humaine, et, de quelque point de vue que l'on se place pour la juger, soit du point de vue religieux, soit du point de vue physiologique ou médical, soit même du point de vue de la simple curiosité, elle présentera toujours l'un des phénomènes les plus étranges, les plus attrayants et les plus douloureux de l'histoire; un phénomène étrange, parce qu'elle montre avec quelle facilité l'erreur s'impose et persiste; douloureux, parce qu'elle laisse à travers les

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