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près une croyance générale, Satan, dans les initiations du sabbat, imprimait avec l'ongle du petit doigt une marque presque invisible sur le corps des néophytes. L'un des premiers soins des juges était de retrouver cette marque sur les accusés, et il suffisait souvent de la plus légère cicatrice pour être déclaré sorcier. L'insensibilité, telle qu'elle existe dans la catalepsie, et quelquefois même dans le sommeil; l'extrême abattement du regard, l'impossibilité de pleurer, étaient aussi considérés comme des témoignages irrécusables, et les faits les plus simples, traduits en faits merveilleux, prenaient de suite le caractère du crime. Nous ne citerons qu'un exemple, tiré du démonographe Boguet, exemple qui nous dispensera des autres par sa sottise et son atrocité : Un paysan, couché auprès de sa femme, s'aperçut que celle-ci était complétement immobile. Il l'appela, la tira par le bras, mais en vain; il lui sembla que le souffle même était complétement suspendu en elle, lorsqu'il la vit tout à coup, aux premières clartés du jour, se lever sur son séant, ouvrir de grands yeux, et pousser un grand cri. Le paysan, épouvanté, alla de suite raconter cet événement à Boguet. Aussitôt celui-ci fit emprisonner la femme, et trouva dans les circonstances racontées par le mari les éléments d'une accusation des plus graves. La pauvre femme eut beau protester, en attri

buant son sommeil et son insensibilité à la fatigue éprouvée dans le travail du jour, elle fut condamnée et brûlée.

Ce n'étaient pas seulement les hommes, mais les démons eux-mêmes qui punissaient les sorciers. Wier raconte qu'une sorcière d'Angleterre, pressentant sa mort prochaine, dit à ses enfants : « Aujourd'hui ma charrue est parvenue à son dernier sillon. Les diables viendront chercher mon corps et mon âme. Je vous prie donc de prendre ce corps, de le coucher dans une peau de cerf, de l'enfermer dans une bière de pierre, et de serrer le couvercle de cette pierre avec trois grandes chaînes. Peut-être la terre ne voudra-t-elle point recevoir ma dépouille. Cependant quatre jours après ma mort, vous me donnerez la sépulture, et pendant cinquante jours et cinquante nuits, vous ferez dire des messes et réciter des prières. » Les enfants exécutèrent la volonté de leur mère; le corps fut porté dans une église, les prêtres officièrent autour du cercueil; mais vers la troisième nuit on entendit tout à coup un bruit effroyable, les portes du temple furent brisées en morceaux; des hommes d'une figure étrange apparurent aussitôt; l'un d'eux, plus grand et d'un aspect encore plus terrible que les autres, s'avança vers le cercueil, ordonna à la morte de se lever. Celle-ci répondit qu'elle ne le pouvait pas à cause de la chaîne qui

et

liait son cercueil. « Cette chaîne sera brisée, » dit l'inconnu, qui n'était autre que le diable. La chaîne en effet fut brisée comme verre; le diable poussant du pied le couvercle de la bière, prit la morte par la main et la conduisit à la porte de l'église. Là un cheval noir, magnifiquement enharnaché, hennissait et battait la terre du pied; le démon fit asseoir le cadavre sur une selle toute garnie de pointes de fer; le cheval partit au galop. On entendit pendant deux lieues la sorcière qui criait et appelait du secours; bientôt ses plaintes se perdirent dans la nuit, et ceux qui furent témoins de cette étrange aventure ne doutèrent point qu'elle ne fût partie pour l'enfer. »>

Les instruments qui servaient aux maléfices des sorciers étaient traités avec la même rigueur que les sorciers eux-mêmes; on brisait leurs anneaux, et on brûlait leurs livres. Cet usage remonte aux premiers temps de l'Église, comme on le voit par l'exemple de saint Paul, qui brùla dans la ville d'Éphèse une masse considérable de volumes magiques représentant une valeur de cinquante mille livres d'argent.

Le licencié Torralba.

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XXV.

Des procès de sorcellerie et de la croyance aux sorciers depuis le xvi° siècle jusqu'à nos jours.

Vous le connaissez tous, ce licencié fameux, car

don Quichotte en parlait avec Sancho lorsque monté sur Chevillard, il entreprenait de détruire l'enchantement qui avait couvert de barbe le men. ton des dames du château du duc. «Souviens-toi, disait le chevalier de la Manche, que les diables emportèrent Torralba dans l'air, à cheval sur un roseau, les yeux bandés; qu'il arriva à Rome en douze heures, où il descendit à la tour de Nona, qui est une rue de cette ville, d'où il put voir le choc et la mort du Bourbon, et que, le lendemain matin, il était déjà de retour à Madrid, où il rendit compte de tout ce qu'il avait vu. Il raconta aussi qu'étant dans les airs, le diable lui dit d'ouvrir les yeux, ce qu'ayant fait, il se vit si près du disque de la lune qu'il aurait pu la toucher de la main, et qu'il n'osa point tourner ses regards sur la terre, crainte de s'évanouir. »

Célèbre entre tous les sorciers de l'Espagne, Torralba a raconté lui-même sa vie aux inquisiteurs qui furent chargés de le poursuivre, et nous la raconterons d'après lui-même, parce qu'elle offre dans l'espèce une variété particulière, et qu'elle montre que, si pour de malheureux hallucinés, la sorcellerie était un rêve dangereux, elle pouvait aussi quelquefois, pour des intrigants habiles, devenir, en dépit des inquisiteurs. eux-mêmes, une assez bonne spéculation. Le licencié Torralba naquit dans la ville de Cuença; à quinze ans il fut attaché

au cardinal Soderini. Vers 1501, il fut reçu méde⚫ cin, et se lia d'amitié avec un juif nommé Alphonse, qui avait renoncé à la loi de Moïse pour celle de Mahomet, à laquelle il renonça bientôt pour se faire chrétien, et revenir ensuite par une nouvelle évolution à la religion naturelle. Alphonse fit faire à Torralba la connaissance d'un certain moine dominicain, nommé frère Pierre, lequel, à son tour, le mit en rapport avec un esprit élémentaire nommé Zéquiel, que nul autre esprit n'égalait dans la connaissance de l'avenir et des choses cachées. Zéquiel, sur l'invitation de frère Pierre, apparut sous la figure d'un jeune homme blanc et blond, vêtu d'un habit couleur de chair et d'un surtout noir. Il dit à Torralba : « Je serai à toi pour tout le temps que tu vivras, et te suivrai partout où tu seras obligé d'aller. » Depuis ce temps, l'esprit tint sa promesse; il apparut à son protégé aux différents quartiers de la lune, et lui enseigna les secrets merveilleux propres à la guérison des maladies. Il lui apprit en même temps à connaître l'avenir par l'inspection des mains, ce qui fit au licencié une grande réputation et le mit en rapport avec les principaux personnages de son temps. Torralba se trouvait, en 1510, à la cour de Ferdinand le Catholique, lorsque Zéquiel le chargea de dire à ce prince qu'il recevrait bientôt une nouvelle désagréable. Le lendemain on apprit par un courrier

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