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comme une époque d'affranchissement pour l'esprit humain, se montra, en ce qui touche les sciences occultes, plus crédule et aussi cruel que les siècles précédents. Le nombre des sorciers s'accrut par toute l'Europe dans une proportion considérable; et les traités de sorcellerie et de démonologie qui furent à cette date publiés dans toutes les langues et chez tous les peuples de la chrétienté, contribuèrent à fortifier encore les erreurs populaires, chez les catholiques aussi bien que chez les réformés.

La plupart des prédicateurs institués après l'adoption des doctrines de Luther étaient en général des hommes dépourvus d'instruction, des artisans étrangers à toute espèce de science et de littérature. Au lieu de combattre la sorcellerie, ils contribuèrent encore à la propager dans les sectes nouvelles, et Luther lui-même leur donna l'exemple. Les sympathies de l'orgueil et de la révolte rapprochent le démon et le réformateur, et pour le moine de Worms il semble que le monde ne soit qu'une immense diablerie il tient avec le diable des conférences théologiques; et il arriva même un jour que Luther, ne sachant que répondre aux arguties de son adversaire, lui lança, à défaut de raisonnements et de textes, son écritoire à la figure; on montra longtemps dans la chambre célèbre de la Wartbourg une large tache d'encre qui rappelait la dispute. Dans ce grand siècle du scepti

cisme', qui est aussi le grand siècle de la crédulité, Satan se relève de son antique déchéance, et il vient d'un souffle puissant éteindre les lueurs tremblantes de la raison, comme autrefois il éteignait les lampes dans le cloître de Cîteaux.

Ainsi qn'au temps de Salvien, le diable est partout avec son cortége de sorciers. Au nord et au midi, en Italie, en Espagne, en France, en Angleterre, la ronde échevelée du sabbat emporte dans son tourbillon fantastique les adorateurs de Satan. Les bûchers brûlent sans s'éteindre. En quelques années, le seul électorat de Trèves vit périr plus de six mille de ses habitants. En Angleterre, un enfant de cinq ans fut accusé de tourmenter ceux que lui désignaient les initiés, et des gens qui s'imaginaient avoir été mordus par lui montraient sur leur corps les marques de ses dents. Les animaux mêmes ne furent point épargnés, et l'on pendit un chien pour crime de sorcellerie.

En France, la persécution fut incessante et sans miséricorde. Pierre de Lancre, magistrat au parlement de Bordeaux, devint conseiller d'État pour avoir envoyé à la mort, dans le pays de Labourd, environ cinq cents malheureux, qui furent tous brûlés. Un conseiller du duché de Lorraine, Nicolas Rémi, dit avec un certain orgueil, en résumant ses services : «Je compte que depuis quinze ans que je juge à mort en Lorraine, il n'y a pas

eu moins de neuf cents sorciers convaincus envoyés au supplice par notre tribunal. » Il existait, dit-on, à Paris, sous le règne de Charles IX, plus de trente mille individus qui s'occupaient de sorcellerie. En 1515, cinq cents sorciers furent exécutés à Genève dans le cours de trois mois. Un millier périrent en une année dans le diocèse de Côme, et, plus tard, dans le même diocèse, on en brûla une centaine, terme moyen, par année.

A cette triste époque, l'art de reconnaître les sorciers, de les interroger, de les torturer, de pénétrer dans les secrets de leur science, devint, pour quelques hommes, une spécialité qui leur valut des honneurs, du pouvoir, de la renommée. De Lancre, Bodin, Delrio, Boguet, le roi d'Angleterre Jacques II, ont excellé dans les questions de sorcellerie, et l'on conçoit que du moment où ces écrivains admettaient la réalité des faits consignés dans leurs livres, ils aient cru réellement rendre un grand service à la société et à la religion en débarrassant la terre de ces malfaiteurs insignes qui la souillaient par leur présence. On peut en juger par les quinze chefs d'accusation suivants qui nous ont été conservés par Bodin, et qui tous, selon lui, méritent une mort exquise: 1o Les sorciers renient Dieu; 2° ils le blasphèment; 3° ils adorent le diable; 4° ils lui vouent leurs enfants; 5o ils les lui sacrifient avant qu'ils soient baptisés;

6° ils les consacrent à Satan dès le ventre de leur mère; 7° ils lui promettent d'attirer tous ceux qu'ils pourront à son service; 8° ils jurent par le nom du diable, et s'en font honneur; 9° ils commettent des incestes; 10° ils tuent les personnes, les font bouillir et les mangent; 11° ils se nourrissent de charognes et de pendus; 12° ils font mourir les gens par le poison et par les sortiléges; 13° ils font crever le bétail; 14° ils font périr les fruits et causent la stérilité; 15° enfin ils ont copulation charnelle avec le diable.

On frémit quand on voit sur quels soupçons et sur quelles preuves impossibles reposent la plupart des procès de sorcellerie. Les juges voient des coupables partout, et comme le dit avec raison Walter Scott en parlant des écrits de de Lancre, son histoire ressemble à la relation d'une guerre à outrance entre Satan, d'un côté, et les commissaires du roi de l'autre, attendu, dit le démonographe, que rien n'est plus propre à frapper de terreur le diable et tout son empire qu'une commission armée de tels pouvoirs. La simple accusation équivalait la plupart du temps à un arrêt de mort, car il était toujours impossible de prouver qu'on n'avait point de rapports avec Satan. Une épidémie venait-elle à éclater dans une ville, un orage avaitil ravagé la campagne, un paysan perdait-il ses bœufs ou ses moutons, il ne manquait jamais de

gens pour accuser les sorciers de ces malheurs. C'était là, pour les haines et les vengeances, une accusation commode, et c'était aussi, pour la cupidité, une source féconde de profit, car, en plusieurs pays, les biens des condamnés étaient répartis, après confiscation, non-seulement entre les rois, les princes, les villes, etc., mais encore entre les dénonciateurs et les juges, et ce fait, aussi bien que la crédulité, peut expliquer le grand nombre des accusations'. Le président Hénault rapporte que demandant à La Peyrère, auteur d'une histoire de Groënland, pourquoi il y avait tant de sorciers dans le nord, celui-ci lui répondit : « C'est que le bien de ces prétendus sorciers que l'on fait mourir est en partie confisqué au profit de ceux qui les condamnent. »

Dans les procès pour sortiléges, l'audition des témoins n'était qu'une formalité insignifiante, et souvent dangereuse pour ces témoins eux-mêmes, que l'on ne manquait pas d'accuser aussi lorsqu'ils manifestaient le moindre doute ou la moindre pitié. Les circonstances les plus futiles étaient regardées comme des preuves irrécusables de culd'apabilité. Ainsi nous avons vu plus haut que,

1. Voy. Discours des sorciers, avec six advis en faict de sor cellerie, et une instruction pour un juge en semblable matière, par H. Boguet, grand juge en la terre de Saint-Oyan-de-Joux. Lyon, 1610, 3 édit.

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