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de cent mille sorciers, il est sans aucun doute resté bien au-dessous du chiffre véritable.

XXIII.

Procès de sorcellerie au Xive et au XVe siècle. Affaire des vaudois d'Arras. Contradiction expliquée par une absur

dité.

Au xive et au xv siècle, on voit les procès de sorcellerie se multiplier d'une manière extraordinaire, principalement en Espagne et en Italie. Les accusés appartiennent à toutes les classes de la société, aux plus éclairées comme aux plus ignorantes, et les membres du clergé ne sont pas même épargnés.

Pierre d'Albano, écrivain italien et savant fort distingué, fut accusé d'avoir appris les sept arts libéraux par le secours de sept démons. On voulut le convaincre d'avoir enfermé ces sept démons dans une grosse bouteille qu'on trouva chez lui remplie d'une mixtion de sept drogues différentes. Il fut mis en prison à l'âge de quatre-vingts ans; on lui fit son procès, mais il mourut avant le jugement; et comme il n'avait point été condamné, on l'enterra d'abord dans l'église Saint-Antoine de Fadoue. Bientôt les inquisiteurs le firent déterrer, et, par leur ordre, on brûla ses os dans la grande place.

En 1453, le prieur de Saint-Germain en Laye, Guillaume Édeline, docteur en théologie, fut accusé de s'être donné au démon dans l'intention de posséder une femme dont il était vivement épris, et de s'être trouvé souvent au sabbat. La sentence fut prononcée à Évreux; mais protégé qu'il était par sa qualité de prêtre, il en fut quitte pour une prison perpétuelle, et le pain et l'eau pour toute nourriture.

Ce fut surtout dans les procès intentés aux vau-. dois que se révélèrent en France la sottise et la cruauté des lois, la crédulité des juges et la perversité de certains hommes qui exploitaient dans un intérêt de vengeance et de fortune l'ignorance et la méchanceté de leurs contemporains. Les vaudois du xv siècle sont mentionnés pour la première fois dans une bulle du pape Eugène IV donnée à Florence le 10 avril 1439. Eugène accuse Amédée VIII, duc de Savoie, que le concile de Bâle venait d'élire pape, après l'avoir déposé lui-même, de s'être laissé séduire par des sorciers, frangules, straganes ou vaudois, et de s'être servi de leur aide pour l'exécution de ses coupables projets. Voici ce que dit Monstrelet:

« Le duc, le prince et l'ouvrier de toute cette néphande œuvre a esté ce très desloyal Sathan Asmodus, jadis duc de Savoye, lequel jà piéçà a ces choses prémedictées en son couraige et a esté acer

né de plusieurs fauches prenostications et sorcees de plusieurs inexcécrés et maulditz hommes et mmes, lesquelz ont délaissé leur Sauveur derrière se sont convertiz aprez Sathan, séduitz par illuon de dyables, lesquelz en commun langage sont mmées sorceries, frangules, straganes ou vauyses, desquelz on dit en avoir grant foison son pays. Et par telles gens, jà passé aulcuns s, a esté séduyt tellement que affin que il peust leue estre ung chief monstrueux et difforme en Eglise de Dieu, il print ung habit de hermite, etc. » Les accusations de vaudrerie se multiplièrent entôt avec une extrême rapidité, principalement

nord de la France, en Flandre et en Picardie. ns un chapitre général des frères prêcheurs tenu Langres en 1459, un nommé Robinet de Vaulx, tif de Hébuterne, en Artois, condamné au feu mme vaudois ou sorcier, car les deux noms ient synonymes, signala un grand nombre de rsonnes comme coupables du même délit. De uvelles arrestations furent faites, et les vicaires l'évêque d'Arras, voyant que le nombre des acsés augmentait dans une proportion effrayante, de plus que les faits étaient loin d'être prouvés, 'ent d'avis d'abandonner les poursuites. Jacques bois, docteur en théologie, et l'évêque Jean Faulnnier, soutinrent au contraire la culpabilité, et étendirent que « aussitôt qu'un homme estoit

print et accusé pour ladicte vaulderie, on ne les debvoit aider ny secourir, feust père, mère, frère ou quelque autre proche parent ou amy, sous peine d'estre prins pour vaudois. » Ces doctrines prévalurent. La pitié fut interdite; on nomma des commissions composées de clercs, de moines et de jurisconsultes, on amena les accusés, la tête couverte d'une mitre, sur un échafaud au milieu de la cour du palais épiscopal; et là, l'inquisiteur Pierre Broussard leur reprocha d'avoir assisté au sabbat. On les soumit ensuite à la torture, et quand on leur demanda si les faits allégués contre eux étaient réels: vaincus par la douleur, ils répondirent que oui. Peu de jours après on les brûla, et tous, en mourant, protestèrent de leur innocence. L'année suivante, en 1460, de nouvelles exécutions eurent lieu. Mais en 1461 le nouvel évêque, Jean Geoffroy. qui pendant toutes ces scènes lugubres avait été absent de sa ville épiscopale, y revint enfin pour mettre un terme à ces cruautés; il désapprouva vivement la conduite des juges; le parlement s'intéressa dans l'affaire; on relâcha les prétendus vaudois qui se trouvaient encore en prison, et trente ans plus tard, le 10 juillet 1491, la mémoire des malheureuses victimes de cette odieuse persécution fut solennellement réhabilitée au lieu mème où elles avaient subi le dernier supplice1.

1. F. Bourquelot. Les vaudois au xve siècle, in-8o de 32 pages.

Ici se présente naturellement cette question qui ressort de la nature même des accusations dont les sorciers étaient l'objet : comment des hommes qui avaient asservi les éléments, qui se transportaient par les airs avec la rapidité de la pensée, et dont le diable lui-même s'était fait l'esclave complaisant, comment de pareils hommes pouvaient-ils se laisser prendre, ou comment une fois pris n'échappaient-ils point à la prison, et par cela même au supplice? Il y avait là, pour ceux qui croyaient au pouvoir des sorciers, un fait embarrassant; mais le moyen âge avait toujours une réponse prête pour toutes les absurdités, et les juges aussi bien que la foule ignorante étaient persuadés que du moment où le sorcier se trouvait dans les mains de la justice, le diable l'abandonnait aussitôt; qu'il pouvait bien, pendant la durée du procès, lui donner quelques conseils, mais qu'il était tout à fait impuissant à le sauver. L'absurdité de l'accusation se trouvait ainsi sauvegardée par une absurdité nouvelle.

XXIV.

La sorcellerie au xvre siècle.

Scepticisme et crédulité de celte époque. Les diableries de Luther. Poursuites nomCauses de ces poursuites. Julerrogatoires,

breuses.

areux et supplices.- Sorciers emportés par le diable.

Le avr siècle, que l'on est convenu de regarder

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