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proches dont Jeanne fut l'objet, la grandeur de sa raison quand elle réfuta ces calomnies grossières, son amour du pays et sa foi, démontrèrent à tous les esprits qui gardaient quelque notion du bon sens qu'il était possible dans ce monde de faire de grandes choses sans l'intervention du diable. Les écrivains qui s'efforcèrent de la justifier du reproche d'avoir été sorcière, en arrivèrent nécessairement à se demander ce que c'était que la sorcellerie, et tandis que, d'un côté, il y avait une véritable recrudescence de crédulité, de l'autre il se formait une école investigatrice qui devait aboutir au remarquable livre de Naudé, Apologie des grands hommes accusés de magie, mais il s'écoula près de quinze siècles, à dater de notre ère, avant que cette école se fût formée; et si en demandant plus haut ce qu'avait fait la raison, nous avons pu dire justement qu'elle s'était inclinée, nous pouvons dire ici plus justement encore qu'elle avait abdiqué complétement.

XXII.

Dispositions diverses de la législation, relatives à la sorcellerie: -Lois romaines. Lois barbares. Lois ecclésiastiques. Influence des hérésies du XIIe et du XIe siècle sur la démonologie. La sorcellerie est dévolue à l'inquisition.

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On conçoit que, du moment où certains hommes étaient investis par la tradition universelle d'un

pouvoir aussi grand, et surtout aussi malfaisant que celui des sorciers, la société se soit crue sérieusement menacée, et qu'elle ait pris, pour se défendre, les plus grandes précautions. On conçoit également que l'Église, outragée dans sa foi, se soit armée d'une réprobation sévère. Cette réprobation était légitime; mais comme en semblable matière, les délits étaient le plus souvent imaginaires, la répression atteignit une foule de victimes innocentes, et les châtiments furent presque toujours d'une effroyable rigueur.

L'antiquité elle-même avait compris le danger qui pouvait résulter d'une science ténébreuse dont le but était de changer l'ordre éternel de la nature; elle avait reconnu que les maléfices et les philtres cachaient souvent de véritables empoisonnements; que ceux qui, à côté des oracles et des prêtres, se mêlaient de prédire l'avenir par l'évocation des morts n'étaient que des charlatans qui cherchaient des dupes; et tout en admettant une espèce de magie, moitié scientifique, moitié religieuse, elle poursuivit avec sévérité les adeptes des sciences occultes, qu'on désignait alors sous le nom de mathématiciens. Une loi de Constantin, promulguée en 321, établit nettement la distinction entre les deux sciences, en admettant que certains magiciens peuvent rendre de véritables services, guérir les maladies, conjurer les

vents, et que, dans ce cas, il faut les laisser faire; mais bientôt Constance frappa d'une même réprobation tous les adeptes des sciences occultes. Il leur imposa un silence éternel, et par une loi promulguée en 358, il condamna les magiciens et les Chaldéens à être déchirés avec des ongles de fer. Les codes barbares les proscrivirent également, et le chapitre LXVII de la loi salique porte que les sorcières qui dévoreront des hommes seront condamnées à huit mille deniers d'amende.

Les Pères de l'Église, persuadés que la magie était l'héritière directe des rites et des impuretés du paganisme, se montrèrent aussi pour elle d'une grande sévérité. Les conciles d'Ancyre et de Laodicée frappèrent les sciences occultes d'anathèmes, mais en punissant seulement par la pénitence et des peines spirituelles ceux qui se livraient à des maléfices. Dès ce moment, la législation civile et religieuse fut nettement établie, et la pénalité seule se modifia suivant les temps. Charlemagne, dans ses Capitulaires, s'inspirant des lois romaines, des lois barbares, des canons des conciles, déclara les magiciens des hommes exécrables. Jusqu'au xnr siècle, les condamnations furent peu nombreuses, et beaucoup moins sévères qu'elles ne l'ont été depuis. Charlemagne, tout en ordonnant qu'on se saisît des sorciers, ne veut pas qu'on les fasse périr, et il recommande seulement qu'on les tienne

en prison, afin qu'ils s'amendent. On voit même, en 936, le pape déclarer solennellement que, quoique les devins, les enchanteresses et les sorciers soient condamnés à mort par l'ancienne loi, les juges ecclésiastiques doivent cependant leur sauver la vie, pour qu'ils puissent faire pénitence. Cette indulgence, trois siècles plus tard, fit place à la plus inexorable sévérité.

Jusqu'à la fin du xu siècle, les hérésies, en France, avaient été avant tout philosophiques; mais, à cette époque, elles s'imprégnèrent d'une foule de superstitions, qui semblent en certains points reproduire les doctrines orientales. Les vaudois et les albigeois, qui furent considérés comme les descendants directs des manichéens, admettaient comme eux l'existence de deux principes, entièrement indépendants, qui se partageaient le gouvernement du monde. Bardesanes, Manès, Priscillien, semblaient renaître dans les sectes que nous venons de nommer. Ces sectes, en élevant le diable jusqu'à l'idée de cause, en firent le vice-roi tout-puissant de ce monde; elles partagèrent leurs adorations, et l'importance que prit alors la sorcellerie fut une conséquence de leurs doctrines. L'Église, qui retrouvait là d'antiques erreurs, s'arma d'une rigueur nouvelle. Elle enveloppa dans une même proscription les hérétiques et les sorciers, et pour punir des crimes qui re

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montaient jusqu'à Dieu, on recourut aux supplices que Dieu lui-même imposait aux réprouvés on brûla ceux que l'on regardait comme coupables d'hérésie et de sorcellerie. Une juridiction nouvelle, celle de l'inquisition, fut instituée pour connaître de ces crimes, et une bulle du pape Innocent VIII signala les sorciers à la sévérité des inquisiteurs. « Nous avons appris, dit cette bulle, qu'un grand nombre de personnes des deux sexes ne craignent pas d'entrer en communication avec le diable, et que par leurs sorcelleries elles frappent également les hommes et les animaux, rendent les mariages stériles, font périr les enfants des femmes et les petits des bestiaux, flétrissent les blés, les jardins, les fruits et l'herbe des pàturages. Par ces motifs, les inquisiteurs furent armés de pouvoirs extraordinaires. Les juges civils les secondèrent dans l'œuvre de la répression. Les bùchers s'allumèrent, et les sorciers, ou ceux que l'on regardait comme tels, furent immolés par centaines. Déjà, dès les premiers siècles de notre ère, le juif Philon avait dit que leur mort ne doit pas être différée d'un instant; qu'il faut les tuer, « comme on écrase les serpents, les scorpions, et autres bêtes venimeuses, avant qu'elles aient fait un mouvement pour mordre. » Le moyen åge suivit à la lettre cette recommandation cruelle, quand Voltaire dit qu'on a brûlé en Europe plus

et

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