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autre fois il guérit un tueur de lions qui avait été blessé à la cuisse, en combattant un de ces animaux, par la seule apposition des mains sur le membre blessé. Il enseignait aux femmes à enfanter sans douleurs, en cachant sous leurs vêtements un lièvre vivant. Il leur enseignait également à préserver leurs enfants de l'intempérance en leur faisant manger des œufs de hibou avant qu'ils aient bu de vin.

Apollonius était tout à la fois devin et nécromancien. A Pergame, sur les ruines de Troie, il passa la nuit sur le tombeau d'Achille, et par le moyen d'un sortilége, qu'il avait appris dans l'Inde, il évoqua l'âme du héros, et eut avec cette àme une très-longue conversation. A Éphèse, il annonça l'approche d'une peste et d'un tremblement de

terre; il se trouvait encore dans cette ville au moment même de la mort de Domitien, et l'on raconte qu'il s'arrêta tout à coup au milieu d'une discussion publique, et s'écria: «C'est bien fait! Stéphanus, courage, tue le tyran. » Ensuite, après un moment de silence, il reprit : « Le tyran est mort, il est tué en ce moment même. »

Apollonius n'était pas moins habile dans la pratique de cette médecine merveilleuse qui guérissait avec des mots. Dans la ville de Tarse, un chien enragé avait mordu un jeune homme, et celui-ci s'était mis à faire comme les chiens, à aboyer et

à marcher à quatre pattes. La famille du jeune homme était désespérée de cet accident, et sur la grande réputation d'Apollonius, elle le pria de guérir cette maladie étrange. Celui-ci demanda où était le chien, on lui dit qu'il se tenait ordinairement auprès d'une fontaine, et que là, toujours altéré et n'osant jamais boire, on le voyait s'agiter sans cesse avec des mouvements convulsifs. « Qu'on me l'amène,» dit le magicien. L'ordre fut exécuté; le chien en voyant Apollonius, s'approcha de lui dans l'attitude d'un suppliant et avec des gémissements. Celui-ci le caressa et, se faisant amener le jeune homme qui avait été mordu, il ordonna à l'animal de lécher la plaie qu'il avait faite. La guérison fut instantanée. Quant au chien, il le conduisit sur le bord du fleuve qui traversait la ville, et lui ordonna de le passer à la nage. Le chien, toujours docile, obéit encore, et quand il eut touché l'autre rive, il se mit à courir, à aboyer, à redresser les oreilles et à remuer la queue, car il était joyeux de se sentir guéri.

Nous avons insisté sur ces détails parce que Simon le Magicien et Apollonius sont célèbres entre tous les faiseurs de prodiges, et que tous deux, au seuil même du moyen âge, sont comme le type et la souche originelle de cette double race qui se perpétue à travers les légendes, l'une s'adressant, comme Simon, au génie du mal, pour faire le

mal; l'autre, comme Apollonius, cherchant dans une science supérieure le pouvoir d'adoucir les maux de l'humanité, et d'étendre la puissance de l'homme au delà des limites imposées à sa faiblesse; en un mot, le sorcier et l'enchanteur.

Pour épuiser la liste de tous les hommes célèbres, il faudrait pour ainsi dire citer les noms de tous ceux qui, dans les arts, la médecine, les sciences, la philosophic, ont fait faire au moyen âge quelques progrès à l'esprit humain. Ce qui contribua puissamment à corroborer cette croyance, c'est que les sciences comme les arts technologiques s'enveloppèrent toujours, à ces époques de ténèbres, d'un certain mystère; que leurs formules étaient considérées comme des secrets, et que souvent on ne les communiquait qu'à un petit nombre d'initiés, ce qui sans aucun doute fit perdre une foule de découvertes précieuses. L'illustre Roger Bacon ne parut à la plupart de ses contemporains qu'un sorcier vulgaire. Il en fut de même des encyclopédistes Thomas d'Aquin, Albert le Grand, Raymond Lulle, car on ne pouvait comprendre qu'un homme parvînt sans le secours du diable à embrasser l'universalité des connaissances humaines.

On voit par le grand nom de saint Thomas, qne les théologiens n'étaient pas plus épargnés que les savants, et les papes à leur tour furent accusés

comme les théologiens. Ces papes sont Sylvestre II, Benoît IX, Jean XX, Jean XXI, Grégoire VII, et Léon III, six en tout. Les communications que Sylvestre II (Gerbert) avait eues avec les Arabes, et les connaissances qu'il leur devait, attirèrent sur lui les soupçons les plus absurdes, et on alla jusqu'à l'accuser de ne s'être élevé à la papauté qu'en se vendant au diable, en un mot d'avoir échangé son âme pour la tiare. Des reproches du même genre furent adressés à Grégoire VII, et ce qu'il y a de curieux, c'est que ces reproches ont fait le sujet d'un livre écrit par un grand dignitaire de l'Église, le cardinal Beno.

Toutes les absurdités que peut rêver une imagination en délire sont entassées dans les biographics légendaires des prétendus sorciers, et nous recommandons aux personnes curieuses du fantastique l'histoire du docteur Faust, de ce même Faust que le génie de Gœthe devait emprunter aux démonographes, pour en faire un des types les plus grandioses de la poésie moderne. Fils d'un paysan des environs de Weimar, Jean Faust, né au commencement du xvr siècle, après avoir étudié la théologie et la médecine, se livra exclusivement à la magic, et devint pour les Allemands l'idéal du sorcier. Faust, qui excellait à conjurer le diable, avait asservi à ses ordres, par un pacte de vingtquatre ans, un démon nommé Méphistophélès. A

l'aide de ce démon, il descendit aux enfers, parcourut les sphères célestes et toutes les régions du monde sublunaire. Il eut un commerce de galanterie avec Hélène, femme de Ménélas, qu'il avait rappelée de l'autre monde pour s'assurer de sa beauté. Il fit apparaître Alexandre le Grand devant Charles-Quint, et pour terminer convenablement son infernale existence, il eut à l'expiration de son pacte le cou tordu par le diable1.

La plus célèbre comme la plus cruelle de ces accusations de magie est sans contredit celle qui fut portée contre Jeanne d'Arc, ce miracle vivant de notre histoire, cette figure presque divine, qui semble grandir encore chaque jour à la distance des siècles, et qui représentera désormais pour tous les âges, comme pour tous les peuples, le symbole de l'héroïsme élevé par la foi à son dernier degré de puissance. Les détails du procès de cette sainte et noble fille sont trop connus pour qu'il soit besoin de les rapporter ici, même en ce qui se rattache directement à notre sujet. Mais ce que nous tenons à constater, ce que personne jusqu'ici n'a remarqué, c'est que de ce procès date en France et en Europe une ère nouvelle dans l'histoire de la sorcellerie; le doute se manifeste pour la première fois. L'évidente absurdité des re

1. Voy. l'Histoire prodigieuse et lamentable du docteur Faust avec sa mort espouvantable. Paris, 1603, pet. in-12.

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