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qui arriva Mme Fry gagna deux mille livres sterling (50 000 fr.) avec des numéros du choix de l'enchanteur le hasard fait de ces coups. Sa tête s'affola. Comment témoigner sa reconnaissance au comte de Cagliostro? Il possédait un secret qui était une mine inépuisable. Le comte, toujours magnifique, refusait des cadeaux; mais, pour obliger Mme Fry, il voulait bien consentir à opérer en sa faveur certaines transformations scientifiques bien autrement merveilleuses que le don de divination des numéros. Il fallait pour cela un collier de diamants et une boîte d'or. On doublerait, on triplerait, on sextuplerait leur valeur au moyen de la chimie. Mme Fry ne marchanda pas. Elle acheta un magnifique collier de brillants qu'elle passa au cou de la belle Lorenza, et une superbe boîte d'or qu'elle glissa d'une manière toute gracieuse dans la poche de la veste de M. le comte. On laissa faire cette bonne Mme Fry.

Les diamants devaient être cachés dans de la terre végétale pendant un certain temps; là ils devaient se ramollir et se gonfler. Puis, au moyen d'une certaine poudre rose, appelée poudre consolidante, il était prouvé qu'ils reprendraient bientôt leur densité ordinaire. L'opération était claire comme le jour les diamants, grossis par la chimie, devaient acquérir un poids proportionnel à leur volume. Quant à la boîte d'or, c'était une ba

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gatelle. Elle devait prendre des proportions quadruples, et peser en conséquence de sa masse. Mme Fry était aux anges. Elle allait être initiée. aux secrets de la création; elle eût donné pour cela deux fois la somme gagnée à la loterie. Les deux mille livres sterling suffisaient; cependant on était loin de les regretter, et on attendit.

Quant à M. Scott, son tour de faveur n'étant pas encore arrivé, il fut invité à nourrir encore quelque temps certains numéros indiqués, et qui devaient infailliblement sortir à une époque prochaine. C'est ce qu'il fit avec une persévérance digne de tout éloge, en consciencieux Anglais qu'il était.

Cependant la grande œuvre de Cagliostro était de fonder la maçonnerie égyptienne. C'est à Londres qu'il en jeta les premières bases; il recruta des adeptes parmi les francs-maçons des loges ordinaires, soit par persuasion, soit par séduction. A tous il promettait un Eldorado. Nous aurons occasion, dans ce livre même, de donner des détails précis au sujet de cette étrange et célèbre maçonnerie, qui venait en quelque sorte détrôner son aînée. C'était un schisme maçonnique, d'autant plus redoutable aux loges anciennes, qu'il ouvrait une carrière sans borne aux avidités sensuelles, aux cupidités et aux imaginations éprises de merveilleux.

Le séjour de Cagliostro à Londres fut bien un

peu troublé par quelques démêlés avec la police, et mème avec la justice, grâce à certaines plaintes, à certaines dénonciations d'honnêtes bourgeois e gentlemen devenus les dupes de leur crédulité e des ruses amorçantes du seigneur Cagliostro; mais, en somme, ce second séjour fut profitable au grand aventurier, qui trouva moyen de quitter l'Angleterre avec un coffre-fort d'une richesse suffisante pour parcourir l'Europe.

Cagliostro se dirigea sur Venise. Là il crut devoir se produire sous le nom et avec le titre de marquis Pellegrini. Venise était assez défiante par nature et par la forme même de son gouvernement. La police de la république ne plaisantait pas, et le pont des Soupirs était bien près du palais ducal, c'est-à-dire de certains succès trop bruyants. Le marquis Pellegrini avait laissé en Italie de vieilles dettes et des irritations mal assoupies. Il partit inopinément pour l'Allemagne, toujours accompagné de la belle Lorenza. Traversant Vienne sans s'y arrêter, ils arrivèrent dans le Holstein.

Si nous en croyons certains mémoires du temps1, c'est dans le Holstein que Cagliostro et sa femme eurent l'insigne honneur de visiter le comte de Saint-Germain, qui reposait alors son immortalité dans ce pays-là. Nous allons parler succincte

1. Mémoires authentiques pour servir à l'histoire du comte de Cagliostro, 1785.

ment de cette étrange entrevue, tout en faisant nos réserves, et sans garantir la véracité des documents que nous avons consultés. Quelle garantie voulez-vous demander au mystère? quelle authenticité peut avoir le surnaturel?

Selon les mémoires de 1785 que nous avons sous les yeux, le comte Cagliostro fit demander la faveur d'une audience secrète à l'illustre comte de Saint-Germain (vivait-il encore, mon Dieu?), afin d'aller se prosterner devant le dieu des croyants (textuel).

Saint-Germain lui assigna deux heures de la nuit. « Ce moment arrivé, continuent les mémoires, lui et sa femme se revêtirent d'une tunique blanche coupée par une ceinture aurore, et se présentèrent au château. » Le pont-levis se baisse; un homme de six pieds, vêtu d'une longue robe grise, les mène dans un salon mal éclairé. Tout à coup deux grandes portes s'ouvrent, et un temple resplendissant de mille bougies frappe leurs regards. Sur un autel était assis le comte de SaintGermain; à ses pieds deux ministres tenaient deux cassolettes d'or, d'où s'élevaient des parfums doux et modérés. Le dieu avait sur sa poitrine une plaque de diamants dont on supportait à peine l'éclat. Une grande figure blanche et diaphane soutenait dans ses mains un vase sur lequel était écrit : Elixir de l'immortalité. Un peu plus loin, on aper

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cevait un miroir immense devant lequel se promenait une figure majestueuse, et au-dessus du miroir était écrit: Dépôt des âmes errantes.

Le plus morne silence régnait dans cette enceinte sacrée; une voix étrange fit cependant entendre ces mots : « Qui êtes-vous ? d'où venez-vous? que voulez-vous?» Alors le comte Cagliostro se prosterna la face contre terre, ainsi que la comtesse, et, après une assez longue pause, il répondit :

« Je viens invoquer le dieu des croyants, le fils de la nature, le père de la vérité. Je viens demander un des quatorze mille sept cents secrets qu'il porte dans son sein. Je viens me faire son esclave, son apôtre, son martyr. »

Le dieu ne répondit rien; mais, après un assez long silence, une voix se fit entendre et dit : «Que se propose la compagne de tes voyages? »

Lorenza répondit : « Obéir et servir. »>

Alors les ténèbres succèdent à l'éclat des lumières, le bruit à la tranquillité, la crainte à la confiance, le trouble à l'espoir, et une voix aigre et menaçante dit : « Malheur à qui ne peut supporter les épreuves! >>

Le comte et la comtesse furent séparés. Elle se trouva dans un cabinet, enfermée avec un homme pâle, maigre et grimacier. Il se mit à lui conter ses bonnes fortunes, à lui lire les lettres des plus grands rois; il finit par lui demander les diamants

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