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et des effets précieux. Il devint l'entremetteur des amours d'une de ses cousines avec un de ses amis, à qui il extorquait de l'argent en lui persuadant que la belle exigeait des cadeaux et des bijoux. Balsamo recevait les pièces d'or, n'achetait rien pour sa cousine, et s'appropriait les fonds que son ami lui confiait.

Sur une pente pareille, il est presque impossible de s'arrêter. Le jeune Balsamo fit bientôt très-bon. marché de son honneur et se livra à des actes criminels de la plus haute gravité. Il y avait à Palerme un certain marquis Maurigi, de mœurs très-dissolues. Maurigi convoitait un héritage qui devait revenir à une communauté. Il connaissait Balsamo et s'ouvrit à lui. Celui-ci imagina bientôt un expédient. Il avait un notaire pour parent. Il se mit à fréquenter son office, et trouva moyen de fabriquer un testament en faveur du marquis Maurigi, avec tous les caractères d'authenticité voulus par la loi. Muni de cette pièce soi-disant notariée, Maurigi fit valoir ses droits à l'héritage, et frustra bel et bien la communauté d'une grande partie de la somme qui lui revenait. Il est plus que probable que le marquis récompensa largement Balsamo de ses soins. Ce faux fut découvert plusieurs années après l'époque où il avait été commis; mais les coupables étaient depuis longtemps en pays étranger. Faut-il ajouter foi à une accusation plus grave en

core? Le bruit courut un jour que Balsamo avait contribué à l'assassinat d'un riche chanoine; mais ce crime ne fut jamais prouvé.

On se demande avec raison comment la justice ne parvint pas à se saisir de Balsamo, et comment elle n'arrêta pas ce jeune bandit, qui avait encouru les peines les plus sévères. Reportons-nous au temps et au pays. Au xvIIIe siècle, qu'était la justice en Sicile? quelle force de répression pouvait-elle exercer?... Et d'un autre côté, rappelons-nous ce que Balsamo était à quatorze ans; cela pourra nous donner une idée du degré d'habileté et d'audace où il était parvenu à l'âge de vingt-deux ou vingt-trois ans. Plusieurs fois, cependant, Balsamo fut arrêté et enfermé, mais il se tira toujours d'affaire, soit par le défaut de preuves, soit par le crédit de ses parents et d'honnêtes Palermitains qui s'intéressaient à sa famille.

Doué de facultés assez remarquables pour les arts, il donna des leçons de dessin, et plusieurs fois il fut en bonne voie de repentance. Son adresse dans le maniement des armes était reconnue; il sentait sa supériorité, et il lui arriva souvent, à la suite de querelles, de se battre en duel; malheureusement il ne reçut jamais un coup d'épée assez sérieux pour le mettre hors d'état de recommencer sa vie criminelle. Du reste, sa nature impétueuse le portait à prendre fait et cause pour ses com

pagnons; il méprisait le danger et payait de sa personne, dans l'occasion, comme le bandit le plus déterminé.

Ce fut environ à cette époque qu'eut lieu l'aventure du trésor caché, disait-il, dans la campagne qui avoisine Palerme. Il avait noué des relations avec un orfévre nommé Marano, dont il avait été à même de connaître l'esprit faible et superstitieux. Ce Marano croyait à la magie, et Joseph Balsamo passait déjà pour être très-initié aux sciences occultes. Un jour, il arriva chez l'orfévre, avec un air composé et mystérieux. « Vous savez, lui dit-il, quels sont mes rapports avec les esprits supérieurs, et vous connaissez la puissance des incantations auxquelles je me livre. Il y a dans un champ d'oliviers, à quelques milles de la ville de Palerme, un trésor caché; j'en ai la preuve, et, au moyen d'une évocation, je suis certain de découvrir le lieu précis où il faut opérer des fouilles. Mais cette opération exige des préparations coûteuses. Il me faut soixante onces d'or. Les avezvous à mon service? »

Marano se récria sur la somme, prétendant que les herbes et les drogues nécessaires aux préparations alchimiques étaient à des prix modérés.

« C'est bien, ajouta Balsamo, restons-en là. J'aurai le trésor tout seul. Un bonheur partagé n'est jamais qu'une moitié de bonheur pour chacun. »

Le lendemain, Marano était chez l'enchanteur; il avait eu une fièvre d'or toute la nuit.

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Je me suis muni, lui dit-il, de la somme que vous me demandez. Cependant marchandez un peu avec les esprits.

Vous les prenez pour de mesquins spéculateurs, répondit le fourbe. Le diable n'est pas juif, bien qu'il ait longtemps habité la Judée. C'est un magnifique seigneur, vivant largement dans tous les pays du monde. Si on le traite avec honneur, il est prodigue et rend au centuple. Je trouve ailleurs les soixante onces d'or, et je me passerai de

vous.

-Les voilà, dit Marano en tirant de sa poche un sac de cuir.

On se rendit au clair de la lune dans le champ d'oliviers. Balsamo avait tout préparé pour ses évocations. Les préliminaires de l'incantation furent assez longs, et Marano haletait sous le charme de ces opérations magiques. Enfin la terre trembla, et des fantômes parurent surgir du sol. Marano se jeta la face contre terre. Le coup était prévu, el l'orfévre fut roué de coups de baton par les esprits infernaux, qui le laissèrent pour mort et prirent la fuite en compagnie de l'enchanteur et des soixante onces d'or.

Le lendemain l'orfévre, recueilli par des muletiers, fut ramené chez lui et dénonça le fait à la

justice. L'aventure fit grand bruit. On voulut arrêter Balsamo, qui, ayant prévu la visite des archers, avait pris du champ. Marano jura de faire assommer le fripon, si jamais il parvenait à le découvrir. Le fripon comprit parfaitement le péril de sa situation, et il sè décida à s'embarquer sur une tartane qui faisait voile pour Messine.

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En débarquant dans cette seconde capitale de la Sicile, le jeune Balsamo était muni d'une assez belle somme pour subvenir aux frais de son séjour, qui du reste ne fut pas de longue durée. Il possédait une fort bonne part des soixante onces d'or de l'orfévre. Il se logea dans une auberge en renom, près du port (un des plus beaux de la Méditerranée), et se mit en devoir de courir les aventures. Messine était alors le rendez-vous de l'Europe commerçante et le séjour favori des étrangers de distinction qu'attiraient dans cette charmante ville la douceur du climat et les riants paysages des environs. Cette heureuse et fière rivale de Reggio, qu'elle regarde sur la rive opposée, était bien loin, mule à cette époque, de prévoir les désastres du tremtablement de terre qui faillit la renverser de fond

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