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séance n'était qu'une simple initiation, et que le cours serait continué et régularisé au gré des nobles adeptes.

On embrassa Lorenza, on la fêta, on la trouva ravissante. On soupa gaiement et de grand appétit, et, vers trois heures du matin, au moment où le rossignol chantait sa dernière roulade et où l'aurore jetait au levant ses premières roses, chacune des belles initiées s'enveloppa de sa mante, regagna la rue par une porte secrète, monta dans une voiture de louage qui attendait, et fut ramenée avec mystère au logis marital, où, probablement, tout dormait en paix.

Le secret de cette séance fut bien gardé pendant huit jours. Peu à peu la chose s'ébruita, mais avec des commentaires fabuleux. Les gazettes parlèrent, et tout ce bruit fut cause qu'il fallut renoncer au cours de magie, au grand regret des initiées.

Cependant nulle ne fut ingrate envers Cagliostro. Il était prôné et porté aux nues. Paris tout ențier s'occupa de lui; l'engouement fit des progrès immenses, et bientôt l'opinion publique se déclara en sa faveur.

Le moment était opportun; Cagliostro le saisit en habile homme, et, fort de l'opinion contre l'autorité, il annonça publiquement qu'il fondait la franc-maçonnerie égyptienne. Les adeptes arrivaient en foule. Parmi eux se trouvèrent des per

sonnages considérables. Le grand cophte déclara qu'il formerait un cénacle composé de treize maîtres. Mais ces grades importants ne devaient être conférés qu'à des sommités sociales. Il fallait d'abord avoir une foi vive, tenir un rang dans le monde, jouir d'une réputation sans tache, etc. Il fallait aussi (bonne et prudente condition) posséder au moins cinquante mille livres de rente et n'avoir aucun lien incommode.

Les candidats pour le cénacle briguaient leur élection. Le duc de *** fut un des plus empressés. Il se permit des remontrances au grand cophte, au sujet du petit nombre des maîtres, vu le grand nombre des postulants. « Il y a tant de gens, lui disait-il, à qui il vous sera impossible de refuser un grade éminent, et qui ont des droits! Comment n'admettrez-vous pas tel conseiller au parlement, qui magnétise comme un autre Mesmer, qui s'est élevé contre l'arrêt de la grand'chambre qui frappait les novateurs physiciens? Comment refuserezvous le duc de Ch.... qui fait de l'or, des liqueurs et des teintures stomachiques, au moyen desquelles ce vieillard repousse les atteintes de l'âge? Que répondrez-vous à Mme la comtesse de M...., qui, après avoir fait un cours complet de chimie chez Demachi, a fini par établir un laboratoire chez elle, où ses femmes, son cocher, son jardinier, son cuisinier, et jusqu'à son marmiton, sont obli

gés de travailler? Et le président de V..., qui, sur les fleurs de lis de son siége, rêve d'alchimie, le repousserez-vous? Et aurez-vous assez de pouvoir pour ne pas admettre au premier rang un grand prince, amiral, architecte, banquier, directeur de spectacle, grand joueur, arbitre de la mode, cité pour ses chevaux, pour ses fêtes et pour l'éducation philosophique qu'il fait donner à ses enfants? Il vous sera impossible de refuser des gens ayant de pareils titres et une telle influence. Vous serez débordé. Augmentez le cénacle. »

Devant tant de prétentions, et en face de tant de candidats d'un haut rang et d'un mérite,incontestable, Cagliostro se trouvait dans un embarras plus grand qu'il ne l'avait prévu. Il hésitait, il demandait quelques semaines pour réfléchir et revoir ses statuts, lorsqu'un grand événement, où il était impliqué, vint tout à coup à éclater. L'attention publique se porta tout entière de ce côté; et la maçonnerie égyptienne, subitement délaissée, ou bliée, se fondit, pour ainsi dire, comme une vapeur brillante emportée par un coup de vent.

Suivons cet événement l'histoire à la main.

X.

Le collier.

L'année 1786 avait commencé par des jours sinistres. Les blés avaient manqué et la disette avait fait sentir ses irritants aiguillons. Dans sa sollicitude paternelle, Louis XVI prit des résolutions énergiques. Les spéculateurs sur les grains furent punis, et le roi contribua par des sacrifices personnels à l'approvisionnement tardif de Paris et de certaines provinces.

Dès les premiers mois de cette année, MarieAntoinette avait réduit ses dépenses, craignant d'obérer la cassette royale. Pour toute parure elle s'était contentée de faire l'acquisition de quelques brillants pour compléter son écrin, prenant du temps pour en acquitter le payement. Mais ce n'était pas là l'affaire de M. Boehmer, joaillier de la couronne. Il proposa au roi, pour la reine, une très-belle parure de rubis, que Marie-Antoinette refusa. Elle obtint même de Louis XVI la promesse de ne plus rien acheter pour elle en fait de bijoux, très-résolue qu'elle était à des économies.

Boehmer était un homme entreprenant et fort occupé de faire sa fortune. Il connaissait le goût naturel de la reine pour les diamants, et il avait spé

culé sur cet entraînement. La reine avait à peine trente et un ans, elle était encore dans tout l'éclat de sa beauté, elle était adorée du roi, qui allait audevant de ses désirs; rien ne paraissait devoir s'opposer à la réalisation des projets du joaillier. Bohmer s'était trompé.

Cependant depuis quelque temps, dans ses folles prévisions, il avait réuni à grands frais les plus beaux diamants du monde pour en composer un collier qui fût digne de la belle reine de France. Ces diamants étaient d'une eau si pure et d'un éclat si magnifique, que l'estimation du collier ne s'élevait pas à moins de seize cent mille francs. Il présenta un jour cette parure toute royale au premier gentilhomme de service, qui en parla au roi. Louis XVI allait céder, lorsque la reine le supplia de renoncer à acheter le collier. Elle ajouta « Je porte rarement des diamants aujourd'hui, et certes j'en ai d'assez beaux. Avec le prix de ce collier, on construirait un navire pour le service du roi et de l'État. >>

Le joaillier désappointé fit proposer ses diamants à plusieurs cours de l'Europe. Il ne put réussir à les placer.

Il revint à la charge et sollicita le roi. Même refus. Comme un entêté qu'il était, il se présenta chez la reine, son écrin à la main. La jeune Madame Royale était présente à cette audience. Boh

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