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En lisant l'histoire de l'Orient, on n'est pas étonné de la passion des Phéniciens, des Carthaginois, des Grecs et des Romains pour la république et la liberté; car la barbarie et le despotisme sanguinaire des rois d'Asie et d'Égypte devaient inspirer la haine de la monarchie et l'horreur de l'esclavage.

SMERDIS.

(An du monde 3480. Avant Jésus-Christ 524.)

L'imposteur, le fils du mage, le faux Smerdis, prit insolemment le nom d'Artaxerce, et succéda sans obstacle à Cambyse, comme si le sceptre lui eût appartenu légitimement. Cédant aux intrigues des Samaritains, il révoqua les ordres de Cyrus relatifs au temple de Jérusalem, dont la reconstruction fut ainsi suspendue jusqu'au règne de Darius.

Smerdis croyait gagner l'affection de ses sujets par des édits populaires : il diminua tous les impôts; il exempta les Perses de tout service militaire pendant trois ans. Mais cette exagération de douceur, et le soin qu'il prenait de se renfermer dans son palais, firent soupçonner qu'il craignait qu'on ne découvrit l'imposture.

Il avait épousé les femmes de son prédécesseur, parmi lesquelles se trouvaient Atosse, fille de Cyrus, et Phédime, fille du satrape Otanès. Le père de Phédime chargea sa fille de découvrir, par le moyen d'Atosse, si Smerdis était le vrai fils de Cyrus; mais elle ne put remplir ses intentions, parce que l'imposteur interdisait à ses femmes toute communication entre elles.

Sur ces entrefaites, le satrape Otanès, ayant su que le fils du mage avait autrefois été mutilé pour un crime, manda à Phédime d'examiner adroitement la nuit si Smerdis ne portait aucune cicatrice aux oreilles. Elle obéit, et découvrit complétement l'imposture de l'usurpateur. Otanès alors, n'ayant plus de doute, fit une conjuration avec cinq autres satrapes et Darius, dont le père, nommé Hystaspe, était gouverneur de Perse.

Les mages, alarmés de leur réunion, soupçonnèrent l'objet

de leurs assemblées, et, pour déjouer ce complot, ils proposérent à Prexape de déclarer devant le peuple que le prince qui régnait était véritablement le même fils de Cyrus, le même Smerdis que Cambyse lui avait ordonné de poignarder, mais dont il n'avait pu se résoudre à terminer les jours. Prexape parut se rendre à leurs prières, à leurs menaces, à leurs promesses; mais, tout le peuple étant rassemblé, il monta sur une tour, et déclara avec sincérité qu'il n'avait que trop bien exécuté les ordres barbares de Cambyse, qu'il avait tué de sa propre main Smerdis, et que celui qui occupait le trône était un imposteur. Cet événement excita dans la ville et dans le palais un grand tumulte. Les conjurés en apprirent bientôt la cause et en profitèrent. Ils marchèrent contre l'usurpateur, dont le peuple forçait et remplissait les appartements. Smerdis, suivi d'un de ses frères et de quelques gardes, se défendit et blessa deux des conjurés; mais enfin, ayant vu tomber son frère, il cherchait son salut dans la fuite, lorsque Gobryas le saisit entre ses bras et l'arrêta. Cette scène se passait la nuit. Darius craignait, en voulant tuer l'imposteur, de percer Gobryas : mais celui-ci lui dit de ne point se laisser arrêter par cette crainte. Darius dirigea si adroitement son glaive, qu'il ne blessa que le faux Smerdis.

Après l'avoir tué, on exposa sa tête aux yeux du peuple qui, dans sa fureur, extermina tous les mages du parti de l'imposteur. Ce jour de carnage devint une fête annuelle qu'on appela le massacre des mages.

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Cette grande révolution achevée, les sept conjurés se rassemblèrent pour délibérer sur la forme du gouvernement qu'on pouvait proposer aux Perses. Otanès, frappé de tous les maux de la tyrannie, parla vivement pour le gouvernement populaire et s'efforça de prouver que ce gouvernement seul était juste, naturel et légitime, qu'il assurait à chacun ses

droits et sa liberté, et que la démocratie seule pouvait mettre le peuple à l'abri de l'inégalité des richesses, de la corruption des mœurs, de l'oppression des grands et des caprices d'un maitre. Mégabyse soutint, au contraire, que de toutes les tyrannies celle de la multitude était la plus redoutable, qu'elle n'avait ni frein, ni bornes, ni responsabilité, et que là où le peuple gouvernait on ne voyait qu'ignorance, confusion, passions et désordres. Selon son avis, le gouvernement qu'on devait choisir était l'aristocratie, la raison voulant en effet qu'on prit pour diriger les affaires les hommes les plus habiles, les plus éclairés et les plus intéressés par leur fortune à la conservation de l'ordre public. Une nation ainsi gouvernée ne pouvait, disait-il, craindre ni l'avidité et la cruauté d'un maître, ni la furie sanguinaire d'un peuple ignorant et tumultueux. Darius ne partagea aucune de ces opinions et les combattit l'une par l'autre. Il montra, comme les partisans du parti populaire, le danger de laisser le pouvoir à quelques riches qui opprimeraient le peuple à leur gré sans être contenus par aucun pouvoir supérieur, et qui rendraient continuellement la nation victime de leurs rivalités, de leur ambition et de leurs sanglants débats. Il représenta, plus fortement encore que Mégabyse, toutes les calamités qu'entraîne l'anarchie inséparable du gouvernement populaire. Il conclut en opinant pour la monarchie, qu'il regardait comme la seule barrière assez forte pour arrêter l'ambition des grands, pour comprimer les passions des peuples et pour opposer aux armes et aux intrigues de l'étranger une résistance régulière. Il n'ignorait point l'abus qu'un roi pouvait faire de son pouvoir; les exemples n'en étaient que trop communs, et le règne de Cambyse en offrait la preuve récente. Mais un seul tyran était encore préférable à la réunion de plusieurs, comme dans l'oligarchie, et à une tyrannie universelle, comme on la trouvait dans la démocratie. 'D'ailleurs rien n'empêchait de se mettre à l'abri du despotisme par l'autorité de la religion, par celle des lois et par un conseil composé des grands du royaume. L'assemblée adopta l'avis

de Darius; elle se détermina à établir la monarchie et à choisir un roi parmi les sept membres de la conjuration.

Suivant les idées religieuses de ce temps, on résolut de s'en rapporter pour ce choix au jugement du soleil. Les sept prétendants convinrent de se trouver le lendemain à cheval à la porte de la ville au moment où l'astre du jour paraîtrait sur l'horizon, et promirent formellement de reconnaître pour roi celui d'entre eux dont le cheval hennirait le premier. L'écuyer de Darius, informé de cette résolution, usa d'artifice pour donner la couronne à son maître : il attacha pendant la nuit úne jument dans le lieu indiqué pour la réunion, et y amena le cheval de Darius. Le lendemain, dès que les sept concurrents parurent, le cheval, reconnaissant l'endroit où il avait vu la cavale, se mit à hennir; et Darius, fils d'Hystaspe, fut proclamé roi. Il accorda de hautes dignités à ses concurrents, et leur donna de grands priviléges. Le roi seul pouvait porter une tiare droite; tous les Perses devaient pencher la pointe de la leur en arrière. Les conjurés eurent le privilége de porter la pointe de leur tiare en avant. Darius leur concéda un droit plus réel; il les fit membres d'un conseil de sept grands, sans l'avis desquels le monarque ne pouvait prendre aucune décision importante. Ce prince s'appelait précédemment Ochus; il était de la famille royale d'Achéménès. Lors de son élévation au trône, il prit le nom de Darius, ce qui signifiait en langue persane vengeur, titre qu'il méritait pour avoir puni l'insolence du mage.

Le nouveau roi, pour rendre son autorité plus respectable, voulut ajouter aux droits de l'élection ceux que lui offrait une union avec la famille de Cyrus. Il épousa Atosse et Aristone, sœurs de Cambyse. Il s'était marié précédemment à une fille de Gobryas, dont il avait eu un enfant, nommé Artabazane, qui prétendit dans la suite au trône. Le roi mit aussi au nombre de ses femmes Parmys, fille du véritable Smerdis, et Phédime, dont l'adresse avait découvert le secret de l'imposteur. Il voulut encore prouver sa reconnaissance à son écuyer, et fit ériger

une statue équestre avec cette inscription : « Darius, fils d'Hys<< taspe, est parvenu au trône de Perse par le hennissement de << son cheval et par l'adresse d'Abarès, son écuyer. »

Cyrus et Cambyse n'avaient point de revenus réguliers; ils recevaient les dons gratuits que leur offraient les différentes provinces et exigeaient d'elles le nombre de troupes que les circonstances rendaient nécessaire.

Darius pensa que le maintien de la sûreté intérieure et extérieure d'un empire, composé de tant de peuples, exigeait un revenu fixe pour entretenir sur pied des troupes réglées. Il consulta ses sujets sur la quotité de la répartition des impôts : ils lui offrirent plus qu'il n'accepta. Malgré cette modération, les Perses, gênés par un tribut permanent, donnèrent à Darius le surnom de marchand, tandis qu'ils avaient nommé Cyrus leur père, et Cambyse leur maître.

Les satrapes, anciens collègues de Darius et membres de son conseil, jouissaient du droit d'entrer à toute heure chez lui. L'un d'eux, nommé Intapherne, irrité contre un officier du roi qui lui refusait la porte, le maltraita et le frappa. Darius, jaloux de son autorité, regardant cette violence dans son palais comme un crime, condamna à mort Intapherne et toute sa famille. Touché par les pleurs de sa femme, il lui accorda à son choix la grâce d'un des condamnés : elle demanda la vie de son frère, disant qu'elle ne pouvait le remplacer, tandis qu'elle trouverait un autre époux.

Orétès, satrape de Sardes, se révolta et tua un courrier du roi, qui lui portait des ordres. Darius le fit mourir, confisqua son bien, et retint malgré lui auprès de sa personne Démocède, son ami, fameux par sa science en médecine. Ce Grec, voulant recouvrer sa liberté, soutint d'abord qu'il n'était pas médecin, mais on le mit à la torture pour lui faire avouer la vérité. Après cet aveu, il guérit le roi, alors tombé malade, et qui voulut lui donner pour récompense deux chaînes d'or. Démocède les refusa en disant : « Seigneur, j'ai guéri votre mal, et « vous doublez le mien. »>

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